Un succès phénoménal, sauf à Paris
Créée d’abord avec succès à Paris par Robert Hossein (1980), la comédie musicale Les Misérables est devenue une véritable machine à sous grâce au producteur britannique Cameron Mackintosh qui a ensuite remodelé l’œuvre avec l’aide de Trevor Nunn et John Caird, tous deux issus de la Royal Shakespeare Company. La suite s’apparente à un conte de fées : pluie de récompenses, records d’affluence, multiplication d’adaptations dans le monde entier….le spectacle est vite devenu un phénomène de société. Sauf peut-être dans son pays d’origine, la France, où Les Misérables version Mackintosh n’est restée "que" neuf mois à l’affiche à Paris, au Théâtre Mogador en 1991, contre près de dix-huit ans à Broadway et depuis maintenant vingt-cinq ans à Londres.
Les révolutionnaires se battent pour leur liberté
Réfractaires, les français ? Peut-être, mais bientôt plus pour longtemps si l’on en croit la chaleur des applaudissements reçus lors des premières représentations au Théâtre du Châtelet. D’abord très poli lors du prologue, le public a vite finit par exprimer son enthousiasme, les numéros les plus salués étant indéniablement "One Day More", le final d’envergure du premier acte, le solo "Bring Him Home" interprété par l’excellent John Owen Jones, ainsi que la séquence finale du spectacle sur une reprise majestueuse de "Do You Hear The People Sing?".
Des effets spectaculaires d’une beauté rare
A l’époque de la création des Misérables à Londres, soit vingt-cinq ans en arrière, Trevor Nunn et John Caird avaient introduit le concept ingénieux de scène tournante. Pour cette nouvelle tournée internationale, l’approche adoptée est plus traditionnelle avec des éléments de décors sans système tournant mais aussi plus innovante grâce à l’inclusion de décors inspirés des dessins originaux de Victor Hugo et projetés en fond de scène.
Enjolras (Jon Robyns), Jean Valjean (John Owen Jones) et Marius (Gareth Gates)
Sans être employée à outrance, l’utilisation de la vidéo en guise de décors rajoute de la profondeur de champ et créé un effet de mouvement saisissant, particulièrement bluffant lors de certaines scènes (le renversement de la charrette, la traversée des égoûts…). D’un point de vue esthétique, l’inspiration tirée des dessins d’Hugo est extrêmement cohérente avec la pièce. En outre, ce qu’on voit ne donne pas l’impression d’être de la vidéo puisque la quasi immobilité des images évoque davantage des toiles peintes.
La fluidité entre les séquences est par ailleurs accentuée par l’ingéniosité de la nouvelle mise en scène de Laurence Connor et James Powell. Chaque mouvement de décors ou de personnages est agencé avec une cadence et une précision rares, nous entraînant dans un univers parfois quasi cinématographique. Un régal pour les yeux.
Une production meilleure que les précédentes ?
Evidemment, comme dans toute œuvre revisitée, tous les changements opérés ne sont pas forcément à garder. En témoigne la scène de la mort de Gavroche qui perd de son effet dramatique tant elle est "expédiée" rapidement et ne peut bénéficer du système de plateau tournant qui permet aux spectateurs à Londres de visualiser la scène entière, même si elle se déroule au-delà des barricades.
Fantine (Madalena Alberto) chante "I dreamed a dream"
La mort d’Eponine n’est malheureusement pas mieux réussie; en raison peut-être de l’interprétation surjouée de Rosalind James (Eponine). Exit la fragilité habituelle d’Eponine qui se meurt lentement dans les bras de celui qu’elle aime : le côté tragique du moment est gâché par son envie apparente de vouloir absolument se sortir des bras de Gareth Gates (Marius) et de se concentrer exclusivement sur la qualité de son chant.
Madalena Alberto, l’interprète de Fantine, nous a également déçus. Pourtant bonne actrice et pas spécialement mauvaise chanteuse, elle n’est malgré tout pas parvenue à nous émouvoir. On s’ennuerait même presque pendant son "I dreamed a dream", empli d’un certain manque d’âme et de conviction.
Un duo Valjean/Javert impressionnant
Les travers originaux reprochés aux Misérables subsistent toujours dans cette production : les mêmes thèmes musicaux sont réemployés constamment, la longueur du prologue n’aide pas partic
ulièrement à rentrer dans l’histoire et la romance Marius-Cosette ralentit considérablement le rythme du spectacle. Heureusement, Gareth Gates (Marius) et Katie Hall (Cosette) ont une belle alchimie sur scène et semblent y mettre tout leur cœur malgré l’insipidité occasionnelle de leur personnages. Gates surprend même avec un sublime "Empty Chairs at Empty Table", que l’on croirait écrit pour sa voix.
Cosette (Katie Hall) et son fiancé Marius (Gareth Gates)
Cette production du 25ème anniversaire restera en tout cas mémorable grâce à ses deux interprètes principaux, John Owen Jones (Jean Valjean) et Earl Carpenter (Javert), qui apportent une profondeur et une sensibilité sans égal à leurs personnages. Leurs scènes de confrontation nous en donnent des frissons et laissent place à de magnifiques solos (en particulier la sublime chanson "Stars", de Javert).
L’inspecteur Javert, défenseur de la justice
Une comédie musicale à voir absolument
Il serait en tout cas difficile de tout commenter de manière exhaustive mais soulignons que les nouveaux arrangements de cette version des Misérables fonctionnent bien et participent largement à renforcer la fluidité du spectacle, grâce à un tempo plus rapide qui permet d’éviter certaines lourdeurs.
Selon nous, il s’agit bien évidemment d’une comédie musicale à ne rater sous aucun prétexte à Paris. Cette production est véritablement exceptionnelle et devrait convaincre même les plus sceptiques grâce à ses airs entraînants et à ses effets visuels spectaculaires.
Thénardier (Ashley Artus) et sa femme (Lynne Wilmot)
La qualité de la distribution vaut à elle seule le détour et les costumes, décors et lumières ne sont pas non plus en reste car permettent de recréer une atmosphère très fidèle au Paris sinistre des années 1820-1830.
Bref, Les Misérables ont mis toutes les chances de leur côté pour s’octroyer l’amour et le respect du public parisien. Et si l’on en croit les standing ovations des premières représentations, le pari est d’ores et déjà gagné.
(Credit photos : Michael Le Poer Trench)