Le théâtre Le Petit Chien d’Avignon accueille jusqu’au 31 juillet prochain la nouvelle création de Jonathan Kerr, Moby Dick ou le chant du monstre (anciennement Chante Moby Dick). Après Camille C., Molière de l’inattendu en 2005, nous attendions avec une réelle impatience le résultat final de ce spectacle dont nous avions pu découvrir un avant-goût lors des découvertes Diva 2009. Le capitaine Achab saura-t-il nous faire chavirer dans cette version musicale ?
Un orchestre atypique au service d’une très belle partition
Première belle surprise sur scène, le traditionnel piano est abandonné au profit d’un ensemble composé d’un accordéon, d’une harpe et d’un violoncelle. Dépaysement garanti ! En découvrant la scénographie, on comprend par contre que le parti pris sera de faire appel à l’imagination du spectateur pour laisser la pleine place au texte. Une structure métallique suggère ainsi une passerelle de bateau sur le côté et accueille les instruments en fond de scène, avec quelques éléments mobiles tels que des miroirs.
Fond sonore marin, pénombre inquiétante sur ce décor et les comédiens apparaissent peu à peu dans une atmosphère lourde et mystérieuse installée dès les premières notes. La musique, omniprésente et magnifiée par l’orchestre, ainsi que quelques effets sonores bien choisis, constituent sans aucun doute la grande force de cette comédie musicale atypique. Le final, en particulier, est un moment splendide qui ne peut que ravir les amateurs de belles mélodies.
Un livret de qualité mais une mise en scène inaboutie
Comme à son habitude, Jonathan Kerr, qui se décrit lui-même comme un "auteur qui compose", nous propose un texte très soigné avec un niveau de langue élevé, ce qui est suffisamment rare pour être signalé. On pourra certes regretter quelques passages un peu ampoulés, mais certaines séquences happent littéralement le spectateur par le seul pouvoir des mots, offrant même de beaux moments de poésie.
Si musique et paroles nous transportent dans l’univers torturé de ce capitaine qui sombre peu à peu dans la folie, la mise en scène minimaliste, si subtile dans Camille C., trouve ici ses limites. La scénographie nous est par ailleurs apparue assez obscure. Autant les musiciens, déguisés en matelots, sont placés de façon très intelligente, autant les trois comédiens chanteurs peinent à occuper l’espace trop vide et semblent étriqués par des directives qui ne fonctionnent pas toujours.
La mise en scène est en effet très statique, souvent centrée sur un capitaine Achab immobile quoique très expressif, et semble parfois sans grand rapport avec l’intrigue. Le jeu de miroirs est à ce titre particulièrement obscur et leurs mouvements très erratiques. Reste à voir comment Erwan Daouphars, metteur en scène du spectacle, et Jean-Jacques Gernolle, scénographe, vont adapter la scénographie à la scène beaucoup plus grande du Vingtième Théâtre au printemps prochain.
Concernant les comédiens, Laurent Malot (Ismaël, le marin), qui nous avait déjà fait forte impression lors de la lecture du même spectacle, confirme ses qualités tant dans le jeu que dans ses quelques chansons. Quant à Amala Landré (Un violon sur le toit), qui a pris la place de Sophie Delmas dans le rôle de l’Andalouse, elle joue sa partition à la perfection, démontrant un talent indéniable en chant et en danse, et ce, malgré un rôle particulièrement compliqué puisqu’elle n’apparaît qu’en songe au capitaine Achab. Enfin, Jonathan Kerr s’est offert un rôle taillé pour lui, tant vocalement que sur le plan du jeu, en particulier pour créer l’illusion d’une jambe de bois. Et quelle énergie ! On sort fatigué pour lui à la fin de la représentation…
Que penser finalement de cette adaptation ? Indéniablement, Jonathan Kerr signe un texte et surtout une partition de très grande qualité, en restant sur sa ligne qui consiste à créer des spectacles intimistes où le texte occupe une place prépondérante. Cependant, la mise en scène, trop peu variée et statique, nous laisse quelque peu frustrés devant le potentiel de ce spectacle qui a pourtant beaucoup d’atouts pour conquérir son public. Reste que Moby Dick ou le chant du monstre est un spectacle à découvrir, pour sa partition, son orchestration et ses artistes, et notamment Jonathan Kerr qui livre une performance de très haut niveau. A voir notamment l’année prochaine à l’espace Boris Vian des Ulis le 1er février, puis au Vingtième théâtre du 9 mars au 21 avril 2011.
Critique co-rédigée avec Judith Sebban
Moby Dick ou le chant du monstre, de Jonathan Kerr
A l’espace Boris Vian des Ulis le 1er février.
Au Vingtième Théâtre (Paris XXème) du 9 mars au 21 avril 2011
Réservations aux théâtres et dans les points de vente habituels.
Arrangements : Roger Loubet ; Mise en scène : Erwan Daouphars ; Scènographie : Jean-Jacques Gernolle ; Costumes : Renato Bianchi ; Création lumières : Antonio De Carvalho ; Chorégraphies : Martin Matthias Ysebaert.
Avec : Jonathan Kerr, Laurent Malot, Amala Landré.
Musiciens : Margot Varret ou Myriam Serfass (harpe), Johanne Mathaly (Violoncelle) et Crystel Galli (Accordéon)