Quand une chanteuse rencontre une autre chanteuse, qu’est-ce qu’elles se disent des histoires de mmm… Mais nan ! Pas marquises… chanteuses ! Ici, elles sont trois… chanteuses : une soprano et deux mezzo. Et leurs histoires valent largement celles des marquises, croyez-moi.
Les chanteuses lyriques ont souvent une vie tourmentée. Elles vont d’audition en concours, de phoniatre en orthophoniste, suivent des cours de Feldenkreis ou de méthode Alexander. Tout ça en quête de la sublime note qu’elles ont imaginé produire un soir après l’orage, pour généralement atterrir complètement neurasthénique. Mais je m’égare.
Revenons à nos moutons et au Théâtre du Petit Saint Martin où se donnait, lundi dernier, la dernière lecture des découvertes Diva, Libre-Échange, "opéra de poche", musique et livret de Benjamin Hamon. Oui, de poche, parce qu’écrit pour trois personnages seulement et trois instruments (piano, guitare, violoncelle). Voilà pour le casting. Mais on trouve aussi la même économie de moyens dans la dramaturgie.
La particularité de Benjamin Hamon, fondateur de la Pocket Lyrique Cie, est de composer des œuvres musicales très concentrées. Lui-même les qualifie d’opéras d’auteur, un peu comme le cinéma d’auteur né dans les années 1960 avec Jean Luc Godard, où le réalisateur décidait de tout lui-même "pour éviter qu’il y ait des interférences dans les idées". Et d’ajouter : "Par rapport à un opéra classique, chaque scène est très courte et s’enchaine rapidement sans lien apparent entre-elles".
Libre-Échange est l’histoire de trois chanteuses qui se retrouvent dans un théâtre de province pour une audition et qui, dans l’attente interminable de la décision du jury, discutent entre elles. On peut imaginer que la situation est riche de possibilités dramatiques, mais voici une lecture qui ne dévoilait pas le développement de l’action. En revanche, la musique de Benjamin Hanon était là pour retenir notre attention et nous surprendre.
Par moment, l’écriture est très contemporaine avec des enchainements et des résolutions très inattendues. Dès le début, on est frappé par le violoncelle d’Emmanuelle Lemirre dont elle tire des couleurs riches, sombres, d’une grande sensualité. Surgissent alors sur scène nos trois cantatrices et parfois s’entremêlent des airs plus classiques, dont les mélodies faciles à retenir pourraient facilement devenir des tubes.
La soprane, Valeria Altaver, comme il se doit, est frémissante, expressive, puis de plus en plus extravertie au fil de l’action. On dit des mezzo-sopranos qu’elles sont réservées, d’une grande tenue et excellentes musiciennes. Marie Kalinine et Aurore Hugolin ne feront pas mentir cet adage. Avec seulement trois répétitions à leur actif, Aurore, Valéria et Marie ont interprété à la perfection leurs soli et plusieurs ensembles, dont notamment un très joli trio final.
Le lien avec la comédie musicale dans tout cela ? Sans doute le sujet et le format de Libre-Échange démontrent combien la frontière entre l’opéra et la comédie musicale est parfois ténue. Ne l’a-t-on pas constaté, dernièrement, avec la production au Châtelet, de Sweeney Todd, le musical-opéra de Steven Sondheim ?