Stephen Sondheim est à l’honneur outre-manche. Pas moins de trois spectacles se jouent ce printemps entre Leicester et Londres. Du classique grand-guignolesque de la fin des années 1970 à une métaphore sur la politique américaine présentée en 2000 en passant par un spectacle incontournable dont Sondheim a signé les paroles à ses débuts dès 1959, revue de détails de ces trois œuvres revisitées.
Repris pour la deuxième fois en deux ans, Assassins, au Pleasance Theatre à Islington (Londres) est une œuvre riche et complexe. Produite à l’origine Off Broadway en 1990, et présentée pour la première fois en 2004, ce musical reportera cinq Tony Awards après avoir été repoussé en 2001 à cause des attentats du 11 septembre ; peut-être le thème de ce musical était-il trop politique et mal à propos cette année-là, puisqu’il s’agit d’une cavalcade des différents assassinats des présidents des États-Unis ! Seulement deux de ces tentatives ont aboutit (celles contre Lincoln et JFK), mais l’œuvre n’est pas pour autant l’une des plus sombre de Sondheim. En accentuant l’aspect vaudeville des numéros musicaux, cette excellente version, mise en scène par Ray Rackham, réussit à rende cette œuvre sérieuse plus optimiste et divertissante, à l’image de Parade de Robert Jason Brown et Scottsborough Boys de Kander et Ebb, où tout n’est pas pessimiste, malgré la gravité du sujet traité, en l’occurrence la peine de mort.
Il en est de même pour Sweeney Todd, transféré à l’Adelphi Theatre après un triomphe à Chichester. Ce musical explore également des aspects de l’humanité rarement traités dans la comédie musicale tels que le meurtre, le cannibalisme et la pédophilie. Malgré la noirceur de l’humour, on y rit beaucoup. Cette nouvelle version, brillamment mise en scène par Jonathan Kent, transpose l’histoire du barbier démoniaque de Fleet Street dans les bas-fonds du Londres des années 1930, et bénéficie d’un casting de haut vol. Michael Ball est à la fois méconnaissable et surprenant dans le rôle de Sweeney, et Imelda Stauntaon fait une irrésistible Mrs Lovett. Pour ma part, j’ai préféré la version du Châtelet, pour la performance de Caroline O’Connor, ainsi que l’addition de quelques chorégraphies et d’un orchestre plus fourni, même si cette nouvelle version réactualise encore plus cette œuvre, qui se joue jusqu’au 22 septembre, mais sera peut-être prolongée vue les critiques élogieuses.
J’ai eu la chance de retrouver cette même Mme O’Connor, qui fit des beaux soirs du Châtelet au printemps dernier dans le rôle de Mrs Lovett, et deux ans plus tôt dans le rôle de Miss Turnstile dans On The Town de Bernstein, dans le rôle de Mamma Rose (Le Roi Lear des rôles du théâtre musical) dans Gypsy, une œuvre antérieure de Sondheim pour laquelle il ne signa que les paroles, comme pour West Side Story. Gypsy, dont la musique magistrale est signée Jule Styne, est peut-être le plus parfait des musicals jamais écrits et Caroline est pour moi la meilleure dans le rôle ou j’ai pu déjà pourtant apprécié Angela Landsbury, Bernadette Peters et Patti LuPone dans la dernière reprise de Broadway, qu’étonnamment cette production du Curve de Leicester surpasse largement ! Le metteur en scène Paul Kerryson a su creuser encore plus dans la complexité psychologique des personnages, la dernière scène du second acte, entre Caroline et Victoria Hamilton-Barritt, dans le rôle de Louise, m’a laissé en larmes tellement le jeu des deux comédiennes était intense. On espère vivement un transfert dans le West End, où pourquoi pas au Châtelet à Paris, après la dernière représentation le 15 avril à Leicester.
Photos : Francis Loney, Chichester Festival Theatre, Catherine Ashmore/Pamela Raith