Un univers visuel plein de paillettes pour un « revival » à la française
Fait rare, de nombreux aspects du spectacle qui se joue au Théâtre Mogador ont été l’objet d’une nouvelle création. La mise en scène et les décors sont en effet originaux, tout comme les chorégraphies. L’orchestration a également été retravaillée pour coller à l’esprit des années 1950, tout en apportant des touches de modernité. De mémoire de Musical Avenue, c’est la première fois que Paris fait l’objet d’une création de cette ampleur par Stage Entertainement, fruit d’une collaboration entre les équipes créatives internationale et française.
Dès l’entrée dans le hall du théâtre, nous sommes séduits par la décoration, témoin d’une identité visuelle très pop et colorée que nous retrouvons en salle. Nous sommes plongés dans une ambiance qui rappelle les « diners » américains des années 1950, avec ses vestes en cuir et ses coiffures élaborées, marques d’un excellent travail réalisé sur les costumes et coiffures. Créés pour l’occasion, les décors sont sublimes, bien mis en valeur par des lumières pétillantes. La machinerie imaginée pour les déplacements des panneaux est fluide et maîtrisée, témoin d’une mise en scène soignée et efficace. On apprécie en particulier le jeu d’apparition de l’orchestre qui fait partie intégrante du spectacle, et qui restitue merveilleusement le rock’n roll des tubes de Grease.
Une délicieuse impertinence desservie par une adaptation française inégale
Les productions de Stage Entertainment nous ayant habitués à l’excellence, il est difficile de ne pas se laisser aller à un certain niveau d’exigence. À ce titre, au regard des productions de ces dernières années, la qualité de l’adaptation française du spectacle ne nous a pas complètement convaincus.
L’écriture manque en effet de subtilité, et prend parfois des libertés étranges avec la versification originale, voire crée des contre-sens (« There Are Worse Things I Could Do » dont la version française fait passer à tort Rizzo pour une fille dont on se moque). Les solos étant quasiment inaudibles dès que la musique est un peu forte, cela n’aide pas à valoriser le texte.
Dans les aspects plus positifs, le choix de conserver une partie des paroles en anglais permet de préserver les refrains célèbres sans nuire à la compréhension de l’intrigue. Côté livret, le parti pris de la spontanéité restitue bien l’énergie adolescente de l’œuvre, avec une impertinence réjouissante, et est en cela mieux réussi que dans l’adaptation de 2008. Tous les paramètres sont minutieusement étudiés pour plonger le spectateur dans l’époque, et c’est une réussite totale. Cette nouvelle version revoit la chronologie de certaines scènes et exploite différemment certaines chansons, comme « Hopelessly Devoted to You » qui se retrouve au premier acte et prend un nouveau sens beaucoup plus pertinent.
Une troupe jeune et talentueuse, avec la révélation Alyzée Lalande
Parmi les plus beaux moments du spectacle, citons « Greased Lightning » ainsi que toutes les scènes qui suivent ce numéro jusqu’au final du premier acte rythmé et endiablant, ponctué par un superbe ballet sur « We Go Together ». D’une façon générale, les chansons collectives sont très réussies, et « You’re The One that I Want » marque un final en apothéose.
Les personnages d’Eugène (Alexandre Faitrouni) et Miss Lynch (Céline Groussard) se posent en maîtres de cérémonie, mais leurs scènes ne sont pas toujours très heureuses. Si le public les a récompensés de beaucoup de rires et d’applaudissements lors des saluts, certaines touches d’humour tombent complètement à plat. Surtout, leurs séquences cassent parfois le rythme et sont beaucoup trop longues, rendant le second acte interminable.
Cela n’enlève rien au talent absolu d’Alexandre Faitrouni (31 ; Love Circus), qui est éblouissant de justesse. C’est un véritable clown, dans le sens philosophique du terme, et il confirme son talent dans le registre comique aperçu dans La Belle et la Bête. Parfaite sur tous les plans, Alyzée Lalande (Notre-Dame de Paris ; Le Bal des Vampires) est la révélation du spectacle, et propose une Sandy qui ferait pâlir de jalousie Olivia Newton-John.
Alexis Loizon (Roméo et Juliette ; La Belle et la Bête) campe un Danny très crédible, vocalement impeccable, mais peut-être un poil raide sur la partie dansée. Mention spéciale également pour les seconds rôles, qui constituent la force vive du spectacle, avec notamment Sarah Manesse (Sister Act) et Yanis Si Ahmed (Cats) déjà aperçus à Mogador. Enfin, Emmanuelle N’zunzi (Cats) campe une Rizzo pétillante, et particulièrement touchante sur « There Are Worse Things I Could Do ».
Nous ressortons finalement moins enthousiastes que nous aurions pu l’imaginer. Certes, la production a mis tous les ingrédients pour plaire au plus grand nombre, et beaucoup des choix faits pour cette production française ont été judicieux. Le spectacle pêche malgré tout par ses baisses de rythme fréquentes et une qualité inégale dans l’adaptation française. Cela dit, ce Grease saura conquérir le grand public, le spectacle s’inscrivant dans les standards d’excellence auxquels nous a habitués Stage Entertainment. Et quel plaisir de fredonner « We Go Together » et « You’re the One that I Want » sans arrêt depuis une semaine… N’est-ce pas là l’essentiel ?