Un musical, une chanson – Interdit aux -18 ans (3/4) : "Let My People Come" (Lève-toi et viens)

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Un musical, une chanson - Interdit aux -18 ans (3/4) : "Let My People Come" (Lève-toi et viens)

Pour le troisième épisode de cette série, remontons le temps et découvrons l’influence de la révolution sexuelle sur le théâtre musical dans les années 70 avec Let My People Come.

En 1967, Hair chamboule le monde des comédies musicales à Broadway : jeune, rock, politique et sexuel, le spectacle rompt avec les codes du genre et laisse le livret s’effacer au profit d’un concept dont la priorité n’est plus la narration.
La nudité montrée sur scène et les paroles sans tabou de certaines chansons choquent le public et les critiques habitués d’un théâtre plus puritain.
En revanche, la jeunesse adhère en masse à cette libération qui s’oppose à la diabolisation du sexe et des orientations sexuelles non-conventionnelles qu’essaient encore d’imposer certains.

Dans le sillage de Hair, de nombreux spectacles (pièces de théâtre, musicals, revues) vont mettre à l’honneur les sexualités et la corps humain dans son plus simple appareil : Oh! Calcutta! (créé off-Broadway en 1969) en reste aujourd’hui un des plus célèbres, et est encore l’un des dix spectacles à avoir été les plus joués à Broadway.
Après de nombreuses années d’expérimentation et de succès plus ou moins grands, la tendance atteint son apogée en 1974 avec Let My People Come.

"Let My People Come" (Lève-toi et viens)

Le metteur en scène Phil Oesterman et l’auteur-compositeur Earl Wilson Junior, témoins du succès de leurs prédécesseurs, décident de tenter d’écrire un spectacle qui soit à la fois drôle, explicite et jeune. Là où Oh! Calcutta! était une série de saynètes écrites par des artistes tels que Samuel Beckett ou John Lennon, ponctuée de danses interprétatives, leur pièce sera une exploration presque exhaustive du sexe et du corps humain, avec humour et en chansons.

"Let My People Come" (Lève-toi et viens)

Puisque les critiques avaient systématiquement descendu les spectacles qui les avaient précédés, dénonçant principalement la nudité qui y est présentée, Oesterman et Wilson ne les invitent pas : leur show (sous-titré "A Sexual Musical") fait ses début au club le Village Gate dans le Greenwich Village en janvier 1974 et, bénéficiant d’un excellent bouche à oreille, fait déjà salle comble depuis longtemps lorsque les premières critiques sont publiées quatre mois plus tard. Ce qui emballe le public, c’est le discours positif que véhicule l’œuvre, offrant une vision désacralisée et éminemment ludique de la sexualité.
Le succès est tel que l’enregistrement original de Let My People Come, sorti dès les premiers mois d’exploitation du spectacle, est nominé aux Grammy Awards (équivalent américain de nos Victoires de la Musique) la même année.

"Let My People Come" (Lève-toi et viens)

Si les auteurs abordent avec subtilité l’homosexualité (féminine et masculine), ou se posent même la question de savoir de ce que peut valoir le sexe sans amour, la pièce ne fait pas toujours dans la dentelle : la chanson d’ouverture débute sur les paroles "I love to screw / With you" ("J’aime baiser / Avec toi"), d’autres parlent d’un champion du cunninlingus, ou d’une nymphomane qui aime les amants endurants…

Parmi les autres titres de l’album figure la chanson au titre évocateur "Come In My Mouth". Les anglophiles l’auront compris : cette ballade kitsch, dont la musique est digne d’un vieux film X, parle sans ambages de fellation.

Écoutez "Come In My Mouth", extrait de Let My People Come :

Avec son texte décalé mis en musique au premier degré (on est loin de l’humour assumé d’autres extraits de la pièce), c’est sans doute le morceau le plus célèbre de la comédie musicale, sans en être pour autant le plus mémorable.

Le succès de Let My People Come dérange, et tous les moyens sont bons pour y mettre un terme. Première tentative : la State Liquor Authority, une entité chargée de délivrer les licences nécessaires à la vente de boissons alcoolisées dans l’état de New York, tente de faire fermer le Village Gate en s’appuyant sur la restriction interdisant la vente d’alcool aux spectacles dans lesquels des actes sexuels sont simulés. Il faudra le soutien de figures respectables du féminisme et de la sociologie, déclarant que la pièce est une œuvre d’art et non un spectacle pornographique, pour que les poursuites soient abandonnées. L’aventure continuera ainsi jusqu’en juillet 1976 quand, après 1167 représentations, le spectacle déménage à Broadway au Morosco Theatre.
Hélas, ce transfert est accompagné d’une nouvelle levée de boucliers et d’un dernier scandale qui aura raison de la pièce : le titre parodique "The Cunnilingus Champion of Company C", inspiré d’une chanson des Andrews Sisters, coûtera à la production 20% des bénéfices engrangés à Broadway, la loi ne permettant pas la parodie sans autorisation préalable des ayants droits. Après seulement un peu plus de 100 représentations, le spectacle tire sa révérence.

"Let My People Come" (Lève-toi et viens)

"Let My People Come" (Lève-toi et viens)La même année, une adaptation française de la pièce voit le jour à la Taverne de l’Olympia sous le titre tout aussi équivoque de Lève-toi et viens (qui, comme la version origina
le, s’approprie en la détournant une phrase liée au christianisme). En français, la chanson "Come In My Mouth" devient, en toute logique, "Viens dans ma bouche", et est interprétée par Nanette Corey, une comédienne de films érotiques. L’auteur de la version française du texte n’est autre que Jacques Lanzmann, l’adaptateur de la version française de Hair en 1969.

Au début des années 1980, le public québécois aura lui aussi droit à sa version du spectacle, sous le titre Laissez venir le monde. L’adaptation, signée Pierre Légaré, était interprétée notamment par Robert Leroux, Michel Stax, Michel Pascal (Starmania) et Sylvie Prégent.

Écoutez "Viens dans ma bouche", extrait de Lève-toi et viens :

En 1976, la boucle est bouclée : le titre anglais du spectacle – dont une des chansons rendait hommage aux stars des films pour adultes – inspirera les producteurs d’un film pornographique OVNI, Let My Puppets Come, dont les stars sont des marionnettes inspirées du Muppet Show.

Presque quarante ans après sa création, le spectacle s’apprête à faire son retour sur une scène new-yorkaise : le bar The Underdround accueillera une nouvelle production de Let My People Come chaque vendredi soir à partir du 8 février 2013. Retravaillée par l’auteur original pour être en phase avec le public d’aujourd’hui, cette reprise est envisagée comme un essai par son producteur qui entend bien, en cas de succès, l’installer dans un théâtre Off-Broadway la saison prochaine.

"Let My People Come" (Lève-toi et viens)

Rendez-vous dans une semaine pour un nouveau musical et une nouvelle chanson avec le dernier épisode de notre série consacrée aux comédies musicales interdites aux moins de 18 ans.


Lire ou relire nos autres articles de la série "Interdit aux -18 ans" :


Sources : NY Times, Wikipedia, Perfect Sound Forever

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