Les comédies musicales permettent parfois de lever le voile sur des épisodes moins connus pourtant au cœur de la vie de personnalités publiques importantes. C’est le cas avec Soul Doctor, présentement sur les planches du Centre Segal de Montréal jusqu’à la fin du mois, qui retrace la vie du rabbin Shlomo Carlebach, le controversé père de la musique juive populaire.
Surnommé "le rabbin chantant", Shlomo Carlebach a mené une vie pour le moins inspirante, devenant la voix du renouveau juif pour toute une génération, en créant son propre style musical influencé par le folk, le soul et la liturgie traditionnelle juive. De sa fuite de l’Europe nazie jusqu’à son ascension dans le monde de la musique populaire, la pièce nous montre que son parcours a été semé d’embûches, mais aussi qu’une rencontre particulière l’a marqué. En 1957, il fit en effet la connaissance de Nina Simone, alors pianiste et chanteuse à Atlantic City. Leur amitié improbable l’initia au pouvoir de la musique, incitant le jeune rabbin à canaliser ses valeurs en chansons.
L’une des forces de Soul Doctor est justement de mettre en scène ces deux figures musicales, aux univers contrastés, pourtant très similaires, unies dans une lutte commune pour la paix et l’humanité. Elles ont toutes deux défié les règles, rejetant les conventions pour montrer à leurs communautés un autre chemin à suivre.
Pour camper ces personnalités atypiques, il fallait donc des interprètes non seulement doués musicalement, mais aussi aptes à redonner vie au caractère bien trempé de l’une comme de l’autre. Un défi amplement relevé par Adam Stotland, très convaincant dans la peau du rabbin rebelle, débonnaire et empreint de gentillesse, comme on s’imagine le vrai Shlomo. Il porte la pièce avec beaucoup de spontanéité et un juste équilibre entre l’humour et la difficulté de son combat.
Coco Thompson est aussi éblouissante dans le rôle de la grande prêtresse du soul, livrant une performance qui a du mordant chaque fois qu’elle entre en scène avec sa voix suave et unique. Même si son personnage reste secondaire à l’intrigue, sa présence furtive arrive à insuffler au spectacle un élan supplémentaire d’énergie. Car c’est bien de détermination et de changement dont il est question, dans une bonne humeur qui peut sembler exacerbée, mais ô combien contagieuse.
Présentée en grande première en yiddish après avoir fait ses débuts l’été dernier à Broadway, la pièce reprend plusieurs succès des deux chanteurs, réorchestrés par Steve Margoshes (Aida). Ce va-et-vient entre deux styles musicaux est harmonieux, permettant également aux non initiés à l’univers de Carlebach de s’accrocher à l’histoire qui manque parfois de profondeur, accumulant les clichés. Ceux-ci font sourire, tout comme les chorégraphies hippies évoquant Hair, mais au final, plusieurs éléments de la vie du rabbin chanteur ne sont pas creusés et son amitié avec Nina Simone demeure mystérieuse.
On en retient cependant l’essentiel : la musique a été pour lui un puissant vecteur de rassemblement et de contestation. La sienne influence d’ailleurs toujours, 20 ans après sa disparition, la culture juive contemporaine.
Crédit photos: Andrée Lanthier
Soul Doctor : Journey of a Rock Star Rabbi de Daniel S. Wise (livret) et David Schechter (paroles), d’après l’histoire vraie du Rabbin Shlomo Carlebach
Musique et Paroles additionnelles de Shlomo Carlebach
Avec la permission de Neshama & Nedara Carlebach
Conçue par Jeremy Chess
Matériel supplémentaire par Neshama Carlebach
Du 8 au 29 juin 2014 au Centre Segal de Montréal
En yiddish avec surtitres français et anglais
Orchestrations et arrangements additionnels de Steve Margoshes
Mise en scène : Bryna Wasserman et Rachelle Glait ; Chorégraphies : Jim White ; Direction musicale : Nick Burgess ; Supervision Musicale : Zalmen Mlotek ; Traduction des textes et paroles en yiddish : Edit Kuper et Aron Gonshor ; Décors : John C. Dinning ; Costumes : Louise Bourret ; Éclairages : Luc Prairie ; Son : Peter Balov ; Régie générale : Mélanie Ermel
Avec : Stefanie Ammendolea, Mark Bassel, Avi Bendahan, Maria-Rachelle D’Amour, Chloé Edwards, Stephanie Finkelstein, Paula Frank, Aron Gonshor, Annabel Gutherz, Nikki Hanchet, Justin Johnson, Betty Kis Marer, Sharon Koifman, Jesse Krolik, Bryan Libero, Burney Lieberman, Cheryl-Ann Lilieth, Gabriel Maharjan, David Peterman, Jonah Presser, Stephen Maclean Rogers
Ronnie Roter, Mikey Samra, Orel Shuker, Rhona Sobol, Sam Stein, Adam Stotland, Coco Thompson, Aron Widman, Benny Winkelman-Batchelor.