Les Hipster soviétiques
C’est en 2008 que sort sur les écrans russes le film « Stilyagi ». Ce terme (traduit en français par « Zazous ») désigne ces jeunes soviétiques des années 1950 qui, par contestation avec le régime, se passionnent pour la culture américaine. Mels est un jeune homme bien rangé, il appartient aux jeunesses communistes et, avec ses camarades, pourchasse les Stilyagi pour les ramener dans le droit chemin… jusqu’au jour où une jeune fille attire son regard. Décidé à la retrouver, il commence à s’initier à cette culture parallèle et suspecte des Stilyagi. Il apprend le saxophone et il est progressivement intégré à cet univers coloré et jazzy. Cependant, il n’est pas facile de vivre en rebelle dans un pays où danser le foxtrot équivaut presque à une déclaration de guerre.
Deux atmosphères pour deux mondes rivaux
Tout le film est construit sur les contrastes : la société soviétique grise et monotone s’oppose aux couleurs et au mouvement des bars clandestins. Les visages impassibles des jeunes du parti répondent aux mimiques exagérément joyeuses des rebelles. Cela se retrouve dans la musique : à la rigueur métronomique des chansons des jeunes du parti répondent les rythmes jazzy des Stilyagi. Un petit peu comme si le film tout entier ne faisait qu’illustrer la chanson « Paris loves lovers » de Silk Stockings.
Le travail chorégraphique est très intéressant : au-delà des grandes chorégraphies de groupe des jazzclubs, la danse passe par une réappropriation des gestes du quotidien. La transition du dialogue au chant, de la marche à la danse est vraiment bien orchestrée. La régularité d’un monde où chacun doit marcher au pas est exploitée tout autant dans la musique que dans l’image sans que cela paraisse artificiel.
A chaque personnage, sa chanson
Avec son regard candide, on est touché par le personnage principal qui peine à s’adapter, à cheval sur deux mondes. Ses émotions passent plus par son regard ou ses chansons que par son sourire. Tout au long du film, il semble garder cette même expression légèrement ahurie quand les Stilyagi autour ne sont que sourires et enthousiasme.
Les chansons sont, pour la plupart, introspectives. Elles ont été composées par des groupes de rock soviétiques des années 1970 et 1980 comme Kino, Nautilius Pompilius ou encore Zoopark. Stilyagi peut donc être, à certains égards, considéré comme « jukebox musical ». Ces morceaux retranscrivent et développent les pensées des personnages davantage qu’ils ne font avancer l’action : ils sont des cris d’amour, de tristesse ou de colère. Les chansons permettent également de glisser des flashback qui permettent de mieux cerner les personnages à travers leurs souvenirs, ou d’évoquer des événements secondaires indirectement liées aux aventures et mésaventures de Stilyagi.
Un dénouement décevant
Si la première moitié du film est rythmée et enthousiasmante, la seconde est plus décousue. Le scénario s’éparpille, perd en cohérence et se termine de façon abrupte sans que tout ait été résolu. La chanson finale est une ode à la jeunesse insoumise qui se bat pour être libre, mais est stoppée dans son élan par la dureté de la vie. Cela laisse au spectateur un petit goût d’inachevé : rien n’est dit de ce qu’il advient des personnages.
Pour conclure, le film transporte une énergie résolument positive. Par moment, on n’a qu’une envie : danser en rythme et apprendre le russe pour entonner ces refrains entrainants. L’image et les costumes sont beaux, on sourit par moment, et on se prend d’affection pour ces jeunes en quête d’identité. Sans avoir la profondeur de Hair, on n’en passe pas moins un délicieux moment.