Vingt-quatre ans après son décès tragique, l’ex-princesse de Galles fait toujours autant parler d’elle. En à peine une année, presque tous les grands médias y sont allés de leur adaptation sur le destin hors du commun de Lady Diana. La saison 4 de The Crown passe beaucoup de temps sur son intégration chaotique chez les Windsor, le réalisateur Pablo Larrain (Jacky) en fait l’héroïne de son dernier film et voici que Diana, The Musical débarque à Broadway et sur Netflix. Si les deux premiers exemples ont été globalement bien reçus, la comédie musicale est celle qui a le plus déclenché les passions. Traînée dans la boue par les critiques, tournée en ridicule par les internautes mais aussi mise sur un piédestal par une poignée de fans qui en ont fait leur plaisir coupable de la saison. Retour sur ce phénomène hors du commun.
Il était une fois une princesse…
Au départ, Diana, The Musical avait tout pour être un succès (comme le destin de la Princesse de Galles), à commencer par son équipe créative aux 18 Tony Awards. Le livret et la partition sont signé.e.s par le tandem Joe DiPietro et David Bryan, les créateurs de Memphis, la mise en scène est confiée à Christopher Ashley (Come From Away), la chorégraphie à Kelly Devine, les décors à David Zinn (SpongeBob SquarePants), les lumières à Natasha Katz (An American in Paris) et les costumes au légendaire William Ivey Long (qui a habillé tout Broadway, de la production originale de Nine à Beetlejuice). Tout ce beau monde s’est réuni pour créer ce spectacle dont la première mondiale a eu lieu à la Jolla Playhouse en mars 2019. Le public lui réserve un accueil plutôt bon puisque le spectacle est prolongé à deux reprises. L’étape suivante est donc Broadway.
Diana, The Musical s’installe au Longacre Theatre en 2020 avec la même équipe créative et la même distribution. Cette dernière est composée de Jeanna De Waal (Kinky Boots) dans le rôle titre, Roe Hartrampf faisant ses débuts à Broadway en incarnant le Prince Charles, Erin Davie (Side Show) dans le rôle de Camilla Parker Bowles et la grande Judy Kaye (détentrice de deux Tony Awards pour The Phantom of the Opera et Nice Work If You Can Get It) dans le rôle de la Reine Elizabeth II. La première était prévue pour le 31 mars 2020 mais, comme vous pouvez vous en douter, le spectacle a dû s’arrêter brutalement après seulement quelques « previews ». Il aura fallu attendre plus d’un an pour que Diana joue sa première officielle, le 17 novembre 2021. Jusqu’ici rien de surprenant, mais avant même que les représentations ne reprennent, le monde entier a déjà eu l’occasion de se faire un avis sur la pièce…
Quand Netflix se transforme en Broadway HD
Le 1er octobre 2021, une captation de Diana, The Musical, réalisée par Christopher Ashley lui-même, est mise en ligne sur Netflix. Du jamais vu à Broadway. S’il est assez rare de voir des captations de comédies musicales de Broadway une fois les représentations terminées, et encore plus rare d’en voir alors que le spectacle se joue encore (Hamilton et Come From Away faisant office d’exception), on n’a jamais vu une captation sortir alors que les représentations n’ont pas encore commencé. Franck Marshall, l’un des producteurs, a décidé de réunir la distribution pour filmer le spectacle, au Longacre Theatre, sans public, alors que Broadway était encore fermé. Beaucoup ont qualifié cette opération de suicide commercial, surtout que les premiers échos suite à la sortie Netflix ne sont pas très reluisants.
Et c’est un euphémisme. Diana est considérée par beaucoup comme la pire comédie musicale du monde ou jugée comme la raison pour laquelle il faudrait arrêter de faire des comédies musicales (un peu comme si à chaque mauvais film quelqu’un réclamait la mort de l’industrie cinématographique). Mais qu’en est-il réellement ? Cette comédie musicale est-elle vraiment si mauvaise ? Telles des Élise Lucet de la comédie musicale nous avons pris notre courage à deux mains et nous sommes lancé.e.s dans le visionnage de Diana, The Musical… * éclair dans le ciel, musique dramatique, regard terrifié vers la caméra *
Infâme nullité ou chef d’œuvre incompris ?
Alors… Par où commencer ? On ne va pas se mentir, Diana, The Musical est loin d’être un chef d’œuvre. Pour faire une bonne comédie musicale il faut avant tout un bon livret et une bonne partition ce qui est loin d’être le cas ici. Mettre en scène la vie d’une vraie personne n’est pas une tâche aisée, surtout quand il s’agit d’une icône de la toute fin des années 90 dont la plupart des spectateur.rice.s ont suivi les moindres faits et gestes dans la presse (et que tous les autres personnages de la pièce sont encore en vie). Tout va vite, très vite, trop vite. Le spectacle ne prend jamais le temps de s’installer, et aucune scène ne dure plus de trente secondes. On est à peine à la moitié du premier acte que Diana est déjà mariée et mère de deux enfants. Tout arrive un peu comme un poil de corgi sur la soupe. Les événements ne sont pas développés mais les personnages non plus, et c’est là le vrai crime de ce livret. La pauvre Diana passe ici pour une potiche qui n’a pas inventé l’eau tiède. Quand on assiste à une comédie musicale sur Lady Di et que le personnage le plus attachant est Camilla, c’est qu’il y a un problème quelque part.
Musicalement on est guère mieux loti. Les chansons sont entraînantes (parfaites pour faire son jogging) mais terriblement génériques. Et ce n’est rien à côté des paroles. Il a fallu mettre le visionnage en pause à de nombreuses reprises pour vérifier si ce que nous avions entendu était bien réel. « It’s better than a Guinness, better than a wank », « Serves me right for marrying a Scorpio », « Harry my ginger-haired son », « It’s a thrilla in Manila with Diana and Camilla »… Toutes ces phrases sont réellement chantées dans le spectacle. La palme de la gênance arrive lors du final où Diana s’exclame « si Charles se retire pour laisser mon William régner, alors toutes ces souffrances n’auront pas été vaines ». Pauvre Diana, si vous saviez…
Mais on ne va pas se mentir, Diana, The Musical est loin d’être une nullité. Oui, rien ne va dans ce spectacle, mais en même temps tout fonctionne. Il ne faut pas plus de cinq minutes (à partir du moment où Diana se met à jouer du violoncelle électrique) pour réaliser qu’il faut prendre ce spectacle au 3726ème degrés. La mise en scène et les interprètes jouent la carte du kitsch à fond et on ne peut qu’être embarqué.e. Tout le monde est tellement convaincu.e de ce qu’il/elle fait qu’on les suit sans se poser de question (et avec ce spectacle mieux vaut ne pas trop s’en poser). On finit même par trouver certains passages objectivement bons. Le solo de Camilla « I Miss You Most on Sundays » est réellement touchant et apporte un peu de sincérité au milieu de ce joyeux chaos, et le final du premier acte « Pretty Pretty Girl » est assez impressionnant avec tous ces changements de tenues (mais comment fait-elle?).
« A pretty pretty Jeanna De Waal, with a pretty pretty cast »
L’atout majeur de ce spectacle est tout de même sa vedette, Jeanna De Waal. Tout ce qui est possible de faire dans une comédie musicale, elle le fait en deux heures. Elle est constamment sur scène, change 45678 fois de costumes, enchaîne les solos où elle doit « belter » plus haut à chaque fois, elle rit, elle pleure, elle danse, elle casse un miroir, et tout ça juchée sur des talons de 10 centimètres. Le genre de performance qui fait une star. Elle réussit même à rendre son personnage attachant malgré un livret qui ne l’aide pas.
Ses partenaires de jeu ne sont pas en reste. Roe Hartrampf met sa belle voix et son charisme naturel au service du Prince Charles. Erin Davie est absolument fantastique en Camilla, rôle qu’elle interprète avec beaucoup de subtilité et d’intelligence, comme si elle était dans un Sondheim (qu’elle a beaucoup interprété dans sa carrière). Judy Kaye s’en donne à cœur joie dans son double rôle de la Reine Elisabeth et de l’autrice de roman à l’eau de rose Barbara Cartland. À chaque fois qu’elle apparaît elle semble dire « j’ai joué les plus grands rôles du répertoire, maintenant j’ai juste envie de m’amuser » et c’est contagieux. Quant à l’ensemble, c’est un véritable marathon qu’on leur demande de faire tous les soirs. Un costume pour chaque scène, une large quantité de meubles à déplacer, beaucoup (beaucoup) de « ah-ah-ah-ah » à chanter et des chorégraphies physiques et (inutilement) complexes… On est fatigué rien qu’à les regarder. Mais les voir secouer la tête, un verre à la main, chantant « I just got a ticket to the main event » nous permet de bien s’identifier à eux.elles.
« The People’s Musical »
Si le spectacle s’est fait descendre dans les règles de l’art sur Netflix, quand est-il du public de Broadway ? Inutile de préciser que les critiques s’en sont données à cœur joie avec ce spectacle, l’écrasant sans une once de remords. Le public de son côté ne s’est pas déplacé en masse et Diana, The Musical joue sa dernière le 19 décembre après seulement un mois de représentation… Mais ce spectacle a réussi à fédérer une petite communauté de fans, les #Difanas, qui n’ont eu de cesse d’encenser cette comédie musicale le mois dernier. Ces fans ont choisi d’embrasser le côté kitsch du spectacle et de le prendre au 5678ème degrés. Beaucoup s’amusaient à prendre à parti les personnages pendant le spectacle, en particulier le pauvre Charles qui s’est vu insulter quelques fois et se fait gentiment huer aux saluts, comme les méchant.e.s dans les pantomimes de Noël en Angleterre. Les interprètes ainsi que les membres de la production ont décidé de jouer avec cette hystérie autour du spectacle et ça ne rend Diana, The Musical que plus attachant. La dernière s’est jouée devant une salle pleine à craquer et un public en délire réservant une standing ovation à Jeanna De Waal dès son entrée en scène (et elle le mérite grandement).
Au final, même si on ne sait pas si c’était vraiment l’intention des auteurs, on se souviendra de Diana, The Musical comme d’un spectacle extrêmement divertissant. Malgré lui, peut-être (sûrement), mais on s’en souviendra. Dans une période morose où il est difficile de garder le moral, ça fait du bien de débrancher son cerveau et d’admirer une jolie-jolie fille dans une jolie-jolie robe. Il y a fort à parier que dans quelques années Diana devienne culte et qu’on assiste à des représentations de minuit, totalement alcoolisé.e, en chantant avec la troupe. À la Rocky Horror Show !
Diana, The Musical de Joe DiPietro et David Bryan
Disponible sur Netflix
Livret : Joe DiPietro ; Musique : David Bryan ; Paroles : Joe DiPietro et David Bryan ; Mise en scène : Christopher Ashley ; Chorégraphie : Kelly Devine ; Orchestration : John Clancy ; Direction musicale : Ted Arthur ; Décors : David Zinn ; Costumes : William Ivey Long ; Lumières : Natasha Katz ; Son : Gareth Owen
Avec : Jeanna De Waal (Diana), Roe Hartrampf (Charles), Erin Davie (Camilla), Judy Kaye (Queen Elizabeth / Barbara Cartland), Zach Adkins (Andrew Parker Bowles), Holly Ann Butler (Sarah Spencer), Gareth Keegan (James Hewitt), Anthony Murphy (Paul Burrell), André Jordan (Colin), Nathan Lucrezio (Andrew Morton), Chris Medlin (Graham), Ashley Andrews, Austen Danielle Bohmer, Lauren E.J. Hamilton, Shaye B. Hopkins, Tomas Matos, Laura Stracko, Bethany Ann Tersack, Richard Gatta, Alex Hairston, Libby Lloyd, Kristen Faith Oei et Michael Williams