Critique : "Yvan, Boris et moi", présenté pour la première fois au théâtre de l’Ardaillon

Temps de lecture approx. 5 min.

 

En 2021, entre deux périodes de confinement, nous avions rencontré Gilles Pollop et Damien Arnould, qui nous parlaient de leur création. Après une résidence en mars l’année dernière, la première – et pour l’instant unique – représentation s’est jouée le 27 février 2022. Le résultat est-il à la hauteur de ce qui nous avait été annoncé ? Verdict à découvrir maintenant.

Une histoire dramatique mise en musique

Le prologue a de quoi surprendre. On s’attend à être transporté en Russie au début du 20ème siècle, alors que le premier choix musical est d’une modernité troublante (« 99 Luftballons », nous vous laissons aller écouter un extrait si le titre ne vous dit rien, vous reconnaîtrez forcément). Le rideau s’ouvre sur les personnages de Tatiana et sa petite-fille, celle-ci retrouvant des objets du passé au fond d’un tiroir. La conversation s’engage, les souvenirs reviennent. Les notes d’une boîte à musique tintent à nos oreilles ; très poétiquement, la petite danseuse de la boîte devient un être à part entière, se mettant à danser sur scène. On se retrouve alors propulsé au bord de la Moskova, au milieu des tziganes, près de cent ans plus tôt.

Quoi que classique, l’élégance de la mise en scène séduit dès les premières minutes. Les qualités théâtrales des auteurs se font d’ailleurs ressentir tout au long de la représentation. Les personnages sont introduits en chansons bien évidemment, et les histoires amoureuses se mettent en place. Le décor, assez minimaliste, répond parfaitement aux besoins : on imagine très bien le camp des hommes de l’autre côté de la rivière, et la vie des tziganes rassemblés autour du feu et de la roulotte du patriarche. Le récit se noue autour des amours passionnelles des jeunes gens, pris dans un triangle amoureux (parfois un quatuor). Jalousie et sorcellerie se mêlent à leurs vies, sur fond de transmission filiale et d’exode, au cœur de la révolution russe. 

Les pépites du répertoire français

Pour une première création musicale, la compagnie Art’DaGio ne fait pas les choses à moitié. Les chansons sont nombreuses (nous avons d’ailleurs vite arrêté de les compter) et précisément sélectionnées. On est surpris de redécouvrir un répertoire français si riche, avec des textes poignants qui servent l’histoire et exacerbent les émotions des personnages. Les pistes sonores ont été retravaillées pour créer une musicalité uniforme et séduisante ; l’acoustique de la salle restitue agréablement l’ambiance d’un camp bohémien. 

Ce drame musical (comme le définissent ses créateurs) est un plaisant jukebox musical (à l’image de Mamma Mia, Résiste ou Je vais t’aimer) mais en évite majoritairement le principal écueil, à savoir la sensation d’un effet catalogue et une déconnexion entre les chansons et l’histoire. C’est grâce à l’alternance entre des classiques de variétés (mais aussi de la comédie musicale, comme « Ah ! Si j’étais riche ») et des œuvres plus confidentielles, que le fil ne se rompt pas entre les dialogues et les parties chantées. Le public découvre à cette occasion des titres moins connus.

Inévitablement, quelques choix peuvent faire débat sur leur lien artificiel avec la narration, mais cela est vite oublié grâce aux performances vocales de toute la troupe. Tout en maîtrise et en justesse face à une partition se révélant parfois exigeante, les artistes tiennent leur rôle et les envolées de notes. Certains arrangements sont inattendus : les héros masculins se voient confier des chansons généralement interprétées par des femmes (on pense à « Toi, tu es mon autre«  chanté par les personnes d’Yvan et Boris). Des solos deviennent des duos, et les chansons en groupe sont du plus bel effet pour animer l’histoire. 

De ravissants moments égrènent le premier acte, comme le duo sur « Les moulins de mon cœur » ou « Le Printemps » (Michel Fugain), présenté comme un numéro dansé. On regrette d’ailleurs que les moments de danse ne soient pas un peu plus nombreux (même s’ils sont présents à plusieurs reprises) ; les chorégraphies sont efficaces et révèlent joliment toute l’implication des artistes.

Le deuxième acte réserve aussi des surprises ; la sorcellerie fait son entrée, et scelle le destin de la famille de Tatiana. Nous tenons à saluer l’audace et la mise en scène pour un moment assez sombre, voire effrayant, mais qui se justifie totalement. Un parti pris puissant, qui introduit une chanson originale composée pour l’occasion. La tristesse et les malheurs vont éprouver la solidité de clan, jusqu’au dénouement final et le retour au temps présent.

Yvan, Boris et moi est un vrai divertissement aux allures de fresque historique, qui coche les codes incontournables du spectacle musical, sans tomber dans la caricature. On y retrouve des influences empruntées à d’autres créations, comme la scène du rassemblement du camp tzigane sur la mélodie de « Vladimir Ilitch«  (Michel Sardou), qui rappelle celle des barricades des Misérables. Les costumes (dont nous soulignons aussi la qualité), la gestion des espaces et les mélodies portées par une troupe investie font de cette création une belle surprise. Un bel effort pour une seule représentation, nous espérons que la troupe trouvera des théâtres prêts à l’accueillir, afin que vous puissiez à votre tour applaudir Yvan, Boris et moi

 

Yvan, Boris et Moi
Image de Fabrice Felez

Fabrice Felez

Après une enfance où mes loisirs sont centrés autour de la musique et de la danse, c’est tout naturellement que la comédie musicale se présente à moi. En parallèle de mes études de droit, je m’initie aux spectacles, tant modernes que plus traditionnels, qui font naître en moi une véritable passion. Cet élan me pousse à intégrer l’équipe de Musical Avenue pour partager mes découvertes et vous donner envie d’apprécier les trésors de la scène parisienne et française.
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