Les Anglo-saxons ne font pas que créer des comédies musicales originales, il leur arrive également d’en reprendre des étrangères pour les adapter en anglais. Si Les Misérables en est emblématique, revenons sur le voyage d’un autre spectacle venu d’Italie : Aggiungi un posto a tavola.
La Bible, grande inspiratrice de comédies musicales
Aggiungi un posto a tavola est une comédie musicale italienne écrite en 1973 par deux Italiens : Pietro Garinei et Sandro Giovannini. Surnommés G&G, Garinei et Giovannini sont un peu les « Rodgers et Hammerstein » du musical italien. Pour ce spectacle, ils font également équipe avec la lyriciste Iaia Fiastri.
Le spectacle est une adaptation d’un roman britannique de David Forrest intitulé After Me, The Deluge (Après moi, le déluge). Il s’inspire de l’épisode biblique de la Genèse à l’époque contemporaine (comme le spectacle français plus récent, Noé, la force de vivre). L’histoire se passe dans un petit village dont le prêtre, Don Silvestro, reçoit un coup de téléphone de Dieu. Celui-ci lui annonce qu’il a prévu un nouveau déluge pour la terre et qu’il le charge, lui, d’être le nouveau Noé. Le voici donc avec la double mission de construire une nouvelle arche et de veiller à ce que la nuit suivante soit dédiée à la procréation, afin que chaque couple de villageois donne naissance à de nouveaux enfants (rien que ça…).
Alors que Crispino, le maire de la ville tente de s’opposer à ce projet, sa fille, Clementina, multiplie les confessions dans l’espoir de séduire le prêtre dont elle est amoureuse. La situation déjà chaotique s’envenime davantage lorsque la sulfureuse Consolazione arrive au village et charme tous les hommes, les détournant de leurs femmes avec qui ils étaient censés passer la nuit.
Après quelques rebondissements qu’on vous laissera découvrir, l’arche est finalement prête. Alors que le déluge commence à engloutir la terre, le père Silvestro refuse de partir seul dans l’arche avec Clementina en abandonnant les villageois tant et si bien que Dieu se retrouve contraint d’arrêter les inondations. Tout est bien qui finit bien, et dans le festin qui conclut le spectacle (oui oui, comme dans Astérix et Obélix), le père Don Silvestro ajoute même une place à table… pour Dieu !
De Rome à Londres
Le spectacle ouvre en 1974 à Rome où il rencontre un beau succès dès sa première saison et reste à l’affiche pendant trois ans et demi. La pièce est transférée en 1976 à l’Adelphie Theatre, dans le West End . Ce n’est pas le premier transfert d’une pièce de ces deux compositeurs. En 1957, ce même théâtre avait déjà accueilli un de leurs précédents spectacles intitulé When in Rome. Et en 1964, leur autre spectacle Rugantino avait traversé l’Atlantique pour se jouer à Toronto et Broadway.
Dans le cas d’Aggiungi un posto a tavola, Johny Dorelli est le seul acteur italien à monter sur les planches pour cette version anglaise du spectacle. Il reprend le rôle du prêtre Père Silvestro.
Un transfert ne se fait jamais sans quelques adaptations : le spectacle est, tout d’abord, traduit en anglais par le célèbre Leslie Bricusse (Victor/Victoria, Willy Wonka and the Chocolate Factory). Par la même occasion, il change de nom, Aggiungi un posto a tavolo qui signifie : « ajoute une place à table » devient Beyond the rainbow.
Cependant, le spectacle perd une part de son humour en terre anglicane : un des ressors comiques de la pièce réside dans l’amour impossible de Clémentina pour le père Silvestro. Or, si les prêtres catholiques doivent respecter le célibat, il n’en est rien des prêtres anglicans !
Une longue postérité !
Aggiungi un posto a tavola est devenu un véritable classique de la comédie musicale italienne. Joué et rejoué, il a plus de huit reprises à son actif. S’il tourne dans toute l’Italie, son succès est également international puisqu’il a été présenté autant au Mexique qu’en Autriche ou au Portugal et compte pas moins de 15 millions de spectateurs à travers le monde.
Chaque nouvelle reprise du spectacle fait l’objet de petits ajustements. La distribution tourne toujours autour d’une vingtaine de rôles. Selon les versions, la voix de Dieu est parfois enregistrée, parfois chantée depuis les coulisses. Par ailleurs, depuis le succès retentissant du Roi Lion, les différentes productions ont renoncé à faire apparaître les animaux sur scène. Les versions postérieures à 1978 connaissent également un ajustement du livret puisque Iaia Fiastri inclut à la version italienne certaines modifications qu’avait fait Leslie Bricusse dans la version britannique.
Cependant, l’ADN de la production originale de 1974 se retrouve dans toutes les reprises : il y a souvent au moins un acteur de la distribution originale, ou de sa famille. Ainsi, Enzo Garinei, frère du Garinei de G&G, est de toutes les représentations de la pièce au XXIe siècle : initialement interprète du maire, les années passant, il a désormais la lourde responsabilité d’interpréter la voix de Dieu, chaque soir.
Aujourd’hui encore, la pièce tourne en Italie et il était possible de la voir, au printemps dernier, à Rome et Milan. Si les Italiens (comme le public français d’ailleurs) ne s’y connaît pas toujours en comédie musicale, tous connaissent au moins la chanson éponyme du spectacle (un petit peu leur « Chanson des jumelles » nationale, cette chanson que tout le monde connaît sans savoir très bien pourquoi…).
Si vous voulez y jeter un coup d’œil, la version de 1990 (une des plus célèbres, avec encore Johny Dorelli dans le rôle de Don Silvestro) a fait l’objet d’une captation pour la RAI, la télévision italienne. Vous pouvez la regarder ci-dessous !