C’est une impressionnante prouesse artistique que nous a offert le très doué metteur en scène Thomas Jolly dans sa nouvelle adaptation de Starmania. Un ensemble de propositions de haut vol qui viennent souligner l’aura du spectacle.
Imaginez près de 3 heures d’un spectacle dont presque tous les titres résonnent dans l’inconscient collectif… la jubilation du retour d’une œuvre culte des années 1970, Starmania, écrit par Michel Berger et Luc Plamondon, portée par des artistes iconiques… Si les chansons sont connues de tous et ont traversé les générations, ce n’est pas forcément le cas de l’histoire que raconte cet opéra rock. Celle d’une ville futuriste, Monopolis, rongée par une lutte des classes et dominée par l’homme politique Zéro Janvier, qui brigue la présidence de l’Occident à coup de discours totalitaires et protectionnistes qui ravivent la colère d’un groupe terroriste, les Etoiles Noires… Au milieu de cette violence, la serveuse de l’Underground Café Marie-Jeanne commente l’actualité et voit s’entremêler des destins. Tous les grands thèmes sociétaux abordés sont on ne peut plus actuels. En redécouvrant les chansons dans leur écrin narratif, on ne peut qu’attester d’une œuvre visionnaire presque prémonitoire, écho d’une véritable onde de choc artistique et sociale.
Une mise en scène et une scénographie prodigieuses
Il faut bien le dire, on en prend plein les yeux tout au long du spectacle. Les choix artistiques sont forts et puissants, à l’image du tableau d’ouverture dans lequel défilent et s’entrecroisent tous les artistes. Déplacements chorégraphiés et millimétrés, la mise en scène est dynamique et innovante ; le ton est donné avec des hommes et des femmes que l’on dirait téléguidés par leur quotidien. Tout au long du spectacle, les chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui mélangent les styles, ce qui vient apporter une couche narrative supplémentaire.
Les personnages principaux se dévoilent sur le titre « Monopolis », positionnés sur une immense structure centrale aux multiples facettes dessinant les contours d’une étoile, et apparaissent les uns après les autres dans la lumière. Cette dernière est travaillée avec brio et de façon complètement inédite durant le spectacle, découpant l’espace en venant créer des éléments décoratifs sur chaque tableau. L’utilisation de la vidéo, trop souvent hasardeuse et sans réelle valeur ajoutée, fait ici l’objet d’un traitement très intéressant pour donner une nouvelle perspective, notamment lors de l’enlèvement de Cristal. Les techniques numériques récentes, comme le mapping, viennent compléter cette scénographie futuriste et urbaine pour un résultat absolument spectaculaire.
L’énergie du désespoir
Il faut néanmoins le préciser : Starmania est une œuvre sombre dont émane une certaine violence… On ressent comme une nécessité, un besoin d’exorciser cette énergie du désespoir. C’est finalement notre réalité des vingt dernières années qui défile devant nous mais cette fois, impossible de s’y soustraire ; on ne peut pas zapper !
La plupart des grands questionnements de notre époque, si bien pressentis à la création de l’opéra rock, sont ici racontés : la montée de l’extrémisme, la question du genre, les travers de la téléréalité ou encore l’éco-anxiété. Ce dernier thème est d’ailleurs incarné par le Gourou Marabout, un écologiste fanatique interprété par un homme (Simon Geoffroy) ou une femme (Malaïka Lacy) selon les représentations. Disparu depuis la création du spectacle et réintégré dans cette nouvelle version, il y apporte une nouvelle complexité et ambivalence.
Johnny Rockfort (Côme, Le Rouge et le Noir ) chef de la bande des Étoiles Noires, Marie Jeanne (Alex Montembault) la serveuse « automate », Cristal (Gabrielle Lapointe en alternance avec Lylia Adad), l’animatrice de télé-réalité, Ziggy (Adrien Fruit), disquaire homosexuel, Zéro Janvier (David Latulippe ), l’homme d’affaire et politique ainsi que Stella Spotlight (Magali Goblet), star du cinéma sur le déclin et sex-symbol : tous font l’objet d’un nouveau souffle. On ne leur fera pas l’affront d’une comparaison directe avec les interprètes orignaux ; c’est une nouvelle ère, une nouvelle génération d’artistes !
Les voix sont belles et bien affirmées. Même si elles nous ont évidement fait frémir à plusieurs reprises, notamment sur les titres « Un garçon pas comme les autres », « Le blues du businessman » ou encore « Le rêve de Stella Spotlight », l’ensemble peut toutefois manquer parfois de relief dramatique. Une dramaturgie que l’on perd aussi sur les interventions de Roger Roger, incarné ici par une intelligence artificielle dont la voix n’est autre que celle de Thomas Jolly, qui fait avancer l’histoire de façon un peu trop répétitive à notre goût. Quelques bémols qui ne nous ont pas empêchés de passer une soirée inoubliable, galvanisés par la musique et émus par les très touchants hommages à Michel Berger et France Gall…
Ce Starmania fera sans aucun doute date à bien des égards et si le spectacle fait encore si bien écho aujourd’hui, c’est parce qu’il nous murmure ce que l’on ne voudrait ni voir, ni entendre sur les maux de notre société. Espérons que les politiques présents dans la salle le jour de notre venue sauront y puiser des enseignements ! Et pour ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister à la première salve de représentations à la Seine Musicale, le spectacle reviendra à l’affiche de cette salle parisienne pour 3 mois à partir du 14 novembre 2023. A vos places !
Pour découvrir quelques indiscrétions sur la nouvelle production et les versions précédentes, retrouvez le podcast de nos chroniqueurs.
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