Critique : « La Tempête » au Théâtre de la Huchette

Temps de lecture approx. 4 min.

C’est désormais une tradition : chaque saison le Théâtre de la Huchette nous offre un spectacle musical. Après Comédiens, Huckleberry Finn et Exit, voici que rugit la Tempête dans ce minuscule écrin du quartier latin.

Des vagues à la Huchette

Shakespeare fait son entrée au temple de Ionesco cet hiver avec une adaptation de La Tempête en spectacle musical. Sur la petite scène du Théâtre de la Huchette, le rideau tombe sur une mer démontée qui provoque le naufrage d’un grand navire.

À bord de ce navire, plusieurs nobles italiens, leur famille et leur cour. Ils échouent sur l’île de Prospéro, qui y vit depuis de nombreuses années avec sa fille, Miranda et son esclave monstrueux : Caliban. Le public découvre rapidement que Prospéro est un magicien qui a lui-même – avec l’aide d’Ariel, un esprit de l’air – orchestré la tempête pour se venger de ceux qui ont provoqué son exil.

Entre rencontres miraculeuses et manipulations, le public se retrouve embarqué dans un voyage très shakespearien.

Crédit photo : Fabienne Rappeneau

Un trio talentueux aux multiples visages

À la barre de cette pièce, on retrouve Emmanuel Besnault. Après sa mise en scène de Fantasio, il confirme son amour des réinterprétations de pièces de répertoire en jouant avec le burlesque et la commedia dell’arte. Avec La Tempête, il s’éloigne cependant de l’atmosphère très pop-rock de son précédent spectacle musical. Si la musique est toujours présente – composée par Jean Galmiche -, les musiciens live manquent cette fois à l’appel.

Sur scène, le public retrouve avec bonheur trois interprètes qui ne sont plus à présenter : Jérôme Pradon (Les Misérables, Mamma Mia) campe un redoutable et ambivalent Prospéro qu’on tantôt redoute et tantôt plaint. À ses côtés, Marion Préïté (Tom Sawyer, Comédiens) interprète à la fois l’ingénue et enthousiaste Miranda, l’insaisissable Ariel et un marin ivrogne. Difficile de choisir lequel de ces trois rôles lui va le mieux !

Quant au prince Ferdinand, il partage le même interprète que l’affreux Caliban : deux personnages aussi opposés que la nuit et le jour. Ethan Oliel (L’écume des jours, Le sortilège du Prince Thao) relève le défi avec brio et nous offre un esclave méchant, bestial et enfantin à la fois, suscitant sans problème les rires du public.

La pièce de Shakespeare a été savamment retravaillée pour permettre aux trois comédiens de passer d’un tableau à l’autre, d’un costume à l’autre, d’un personnage à l’autre avec fluidité. Tous les personnages secondaires et figurants ont été délaissés pour aller à l’essentiel de la pièce sans sacrifier pour autant le texte shakespearien. La fin – qui aurait pu être renforcée par une chanson finale – peut sembler encore plus abrupte qu’elle ne l’est déjà dans l’œuvre originale. Elle laisse beaucoup de questions en suspens sur le destin des personnages.

Crédit photo : Fabienne Rappeneau

Masques et minimalisme

Ce n’est plus à prouver, monter n’importe quelle pièce dans l’espace réduit de la Huchette nécessite des records d’inventivité ! Sur cette production encore, l’intimité du lieu est bien exploitée. D’autant plus que l’espace de l’île « déserte » se passe de changements de décors. Un drap sur le sol figure le sable et des panneaux de bois sur les côtés rappellent autant un paysage forestier que l’espace clos d’une grotte.

Les costumes sont, quant à eux, particulièrement réussis. L’usage ingénieux de masques permet aux interprètes de changer de peau de personnages à volonté avec clarté pour le public. Par ailleurs, ils accentuent le caractère grotesque des protagonistes, donnant aux plus risibles d’entre eux un air grimaçant, non sans un petit écho à la commedia dell’arte.

La musique accompagne l’intrigue et les sentiments les plus forts des personnages, selon le principe désormais connu que, lorsque les mots ne suffisent plus, ils laissent la place à la musique. Cependant, la pièce demeure très verbeuse et les chansons sont ponctuelles, rendant difficile l’instauration d’une couleur musicale du spectacle. Il faut dire que les phrases de Shakespeare sont une mélodie en elles-même et que la traduction d’Eric Sarner leur fait honneur.

Avec ses airs de commedia dell’arte, La Tempête nous offre une toute nouvelle vision de Shakespeare avec de superbes interprètes dans une mise en scène minimaliste et efficace qui satisfera vos envies d’évasion insulaire pour échapper au creux de l’hiver.

Crédit : Fabienne Rappeneau
La Tempête
Image de Segolene Boulai

Segolene Boulai

Après une enfance bercée par les claquettes de Fred Astaire et la voix de Marnie Nixon, mon amour de la comédie musicale nait lors d'un inoubliable passage à Broadway pour voir "Matilda". Dès la fin du voyage, je me mets à grappiller toutes les informations possibles sur ce genre idéal pour moi qui ne veux pas choisir entre la danse, le théâtre, la musique et le cinéma. L'arrivée à Paris est l’occasion de découvrir la place croissante du spectacle musical en France, au-delà de tout ce que je soupçonnais. Et here I am ! ayant à cœur de partager toujours davantage cette passion, je rejoins l’équipe de Musical Avenue en 2021.
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