Cet hiver, le Théâtre du Rond-Point nous transporte au cœur d’un drame ouvrier, social et politique mémorable avec une pièce de théâtre musical signée Gérard Mordillat.
Histoire d’usine, histoire d’amour, histoire de révolte
Les Vivants et les Morts raconte l’histoire des employés de l’usine fictive KOS, cœur de l’activité économique d’une petite ville de l’Est. Cependant, pour satisfaire les actionnaires, la menace d’un plan de restructuration massif avec d’importants licenciements se profile. Les ouvriers s’interrogent sur leur avenir et organisent leur résistance. Chacun se retrouve face à un dilemme : la jouer perso ou rester fidèle au collectif ?
Bien qu’il s’agisse d’une fable sociale et politique, l’histoire est toujours racontée à l’échelle humaine, dans l’intimité des ouvriers de l’usine, leurs préoccupations et leurs relations amicales et amoureuses. Au cours de la pièce, on observe l’impact d’une décision tombée d’en haut sur le moral et le quotidien de chacun : toutes les répercussions bien concrètes d’une direction guidée par un seul impératif de résultat.
Du roman à la scène : un trio gagnant
L’intrique des Vivants et des Morts est à l’origine un roman écrit par Gérard Mordillat en 2004 et qui fut, par la suite, adapté en feuilleton télévisé. Aujourd’hui, c’est au Théâtre du Rond-Point qu’elle renaît, dans une forme toute nouvelle : le théâtre musical. Sur scène, le propos n’a pas vieilli et demeure d’une cuisante actualité.
Adapter un film non musical sur scène n’est pas une mince affaire. Il ne s’agit pas de reproduire à l’identique ce qu’on pouvait voir à l’écran, mais bien d’en transposer l’écrit dans un autre média. Et quoi de mieux que l’ajout d’une dimension musicale pour se défaire de la tentation de duplication à l’identique ? Pour cela, Gérard Mordillat s’est entouré du compositeur et saxophoniste Hugues Tabar-Nouval. Les paroles ont, quant à elles, été signées par François Morel. Un nouveau trio gagnant pour le monde de la comédie musicale !
Piano, sax… et chœur antique
Les choix musicaux sont simples et efficaces : à mi-chemin entre le jazz et la pop, le piano et le saxophone accompagnent les chanteurs sur scène. Notons également la présence d’un chœur soutenant certains morceaux a cappella et rappelant, à l’image des pièces antiques, le caractère tragique et inéluctable du spectacle auquel nous assistons. A travers de nombreux solos et duos, les chansons mettent en valeur les interprètes. Elles complètent véritablement l’histoire et la supportent – parfois, certes, en se répétant un peu. Un ou deux numéros d’ensemble supplémentaires auraient peut-être aidé à entretenir l’énergie du spectacle qui retombe par moments.
Un irréprochable interprétation
Les interprètes sont parfaits dans leurs rôles, convaincants et convaincus. Rudi et Dallas, un couple aux relations éruptives qui peine à boucler les fins de mois, sont interprétés par deux habitués de la comédie musicale : Lucile Mennelet (Company, Ta vie d’endive) et Günther Vanseveren (Le livre de la jungle – le musical). Autour d’eux, venus du théâtre, du cirque, du journalisme ou du cinéma, les interprètes de leurs collègues, patron, amants, amis partagent tous un jeu d’acteur irréprochable et une justesse du chant. Certains, comme Camille Demoures (Varda) et Hugues Tabar-Nouval (Serge), présentent également la double casquette de musiciens, avec une parfaite polyvalence.
La mise en scène est dans l’épure. Une atmosphère de fumée et des jeux de projecteurs constituent les seuls décors. Le chœur complète le tableau depuis le fond de la scène. Quelques accessoires et un jeu d’acteurs très explicite suffisent à stimuler l’imagination du spectateur qui n’a aucune difficulté à se visualiser une chaîne de montage, une chambre à coucher ou un bureau administratif.
Gérard Mordillat nous propose un Pique-nique en pyjama désenchanté, plus ancré dans la réalité de la violence sociale que dans la grève joyeuse à la Doris Day. Et il le fait bien ! Espérons qu’il continuera sur sa lancée et que ce trio de créateurs nous offrira de nouveaux spectacles musicaux dans les années à venir !
Après David Lescot et La Force qui ravage tout, Les Vivants et les Morts semble confirmer la volonté d’artistes venus du théâtre de s’essayer au genre musical. Et jusqu’ici, c’est réussi et prometteur sur l’avenir de la comédie musicale en France !
Après son passage à Paris, le spectacle devrait se poursuivre en tournée en France !