Mois de la femme oblige, le Théâtre de Passy présente pour quelques dates seulement, le portrait d’une artiste au destin hors du commun. Marie-Élise Gabrielle Caire, mieux connue sous le nom de Gaby Deslys, enflamma la capitale et l’Amérique. Répondant aux exigences du biopic musical réussi, nous sommes embarqués le temps d’une soirée sur les traces d’une femme avec un grand F. Attention, les plumes et les robes de soirée sont de sortie.
Sauriez-vous nommer la personne à l’origine de la revue musicale telle que nous la connaissons aujourd’hui ? Spontanément, nous aurions cité Mistinguett. La création de Jean-Christophe Born nous montre que ce n’est pas tout à fait juste.
Une féministe avant l'heure
Les Marseillais/Marseillaises la connaissent peut-être grâce à la villa Gaby située sur la Corniche, les Parisiens au travers des nombreuses scènes qu’elle a foulées. Soif de reconnaissance et de notoriété, Gaby Deslys monte très tôt à la capitale. Sa prestance est très vite remarquée et les lieux comme le Moulin Rouge, la Cigale ou les Folies Bergères se l’arrachent. Dés 1906, Londres la convoite et en fait son égérie musicale. Charmé par sa gouaille française, New York en fait de même et la consacre alors Reine de Broadway. Elle y rencontre l’homme qui partagera sa vie et l’accompagnera dans tous ses projets artistiques. Cinéma, enregistrements de disques, spectacles à succès : Gaby Deslys performe sur tous les plans. Au sommet de sa gloire, elle fait la réouverture du Casino de Paris en 1917 et descend pour la première fois le Grand Escalier. Elle finit sa vie à Marseille en 1920 à 38 ans seulement, foudroyée par une pneumonie.
Outre une carrière qui frôle la perfection, c’est bien sa modernité par beaucoup d’aspects qui marque les esprits. Femme d’affaires et de cœur, elle n’a pas honte de dire qu’elle affectionne l’argent et les hommes. Elle vit pleinement ses relations et envoie un fort message d’indépendance à la société de la Belle Epoque en achetant un hôtel particulier à Passy. Personnage sulfureux, elle invente l’effeuillage sur les scènes de Broadway, faisant rêver les hommes toujours un peu plus. Pas de doute, tous les ingrédients sont réunis pour nourrir la création de Jean-Christophe Born.
Une création 100% marseillaise
Fasciné par les gloires légendaires du passé, Jean-Christophe Born découvre son héroïne un peu par hasard. Après des années de recherche approfondie, il construit ce spectacle pour celle qui la fascine toujours autant, lui-même habitué des scènes internationales (Les Misérables). Avec l’aide de Mireille Ubbelohde-Doering pour l’écriture du texte théâtral et Catherine Sparta, il élabore la comédie musicale qui débute sous le nom de Gaby, mon amour ! en 2018, pour continuer sa trajectoire au Festival Off d’Avignon et dans quelques villes américaines en 2019.
En hommage à cette personnalité atypique, le spectacle reprend les grandes étapes de sa vie, consacrant sa nature atypique. Pour rester dans le ton de l’époque, la scénographie mise sur beaucoup d’extravagance, à base de costumes et chapeaux grandioses, et toujours plus de plumes colorées. Le public donne aussi de sa personne et devient spectateur des représentations de la meneuse de revue, qui n’hésite à passer dans la salle et jouer avec.
Les artistes, très à l’aise dans leur rôle, conjuguent avec une scène étroite, ne permettant pas de grands déplacements. Seule rôle féminin, Cléo Sénia a la facilité de nous embarquer avec elle dans son histoire en y mettant beaucoup d’entrain. Jean-Christophe Born jongle entre plusieurs personnages et nous convainc particulièrement sous les trais de Harry Pilcer, danseur et grand amoureux de Gaby Deslys. Deuxième homme de la soirée, Mark Radler joue l’accompagnateur de la chanteuse et le narrateur d’un texte qui manque malheureusement parfois d’efficacité. La succession de tableaux n’aidant pas, la présence du pianiste vient rééquilibrer le tout, avec beaucoup d’élègance.
Et la musique dans tout ça ?
A l’image de sa vie, le répertoire de Gaby Deslys ne fut pas des plus monotones : c’est le grand écart des genres musicaux. A ses débuts parisiens, elle est la chansonnière de partitions tout à fait charmantes comme « Philomène » (et un peu osées pour l’époque). Elle défend plus tard des titres aux sonorités jazz, genre inconnu en France ; elle y ramènera d’ailleurs avec elle le premier jazz band. Jean-Christophe Born s’est entouré de Mark Redler pour piocher dans le meilleur du répertoire historique et réarranger les partitions en donnant un rythme et une énergie toute américaine à chacun des morceaux.
Nos trois protagonistes associent avec beaucoup de justesse leur tessiture au service d’une musique en grande partie composée par Irving berlin, notamment à l’origine de Stop ! Look ! Listen et la chanson « Grizzli Bear Rag ». Sur le dernier tiers de la pièce, une deuxième star fait son apparition. Il est pourtant bien présent depuis le début derrière son piano mais nous apparaît telle une rock star de Broadway en interprétant follement « I love a piano ». Le public en redemande et s’exalte au son de « Alexander’s Ragtime Band » qui clôture ses interventions.
Une heure et demi plus tard, nous finissons la représentation, plutôt galvanisés par cette découverte. Assez justement, c’est au plus fort de sa vie que nous quittons Gaby Deslys. C’est telle une icône du genre qu’elle nous apparaît désormais. La vérité est donc rétablie.
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