Musical Avenue est tombée sous le charme d’Entre-deux, une pièce de théâtre musical produite par la compagnie Les Reines du Silence. Le public est plongé dans le rêve de Coco, une jeune femme CODA qui cherche sa place, tiraillée entre deux mondes : celui des sourds et celui des entendants. Les conflits intérieurs et les souvenirs de Coco, s’entremêlent alors à travers différents tableaux musicaux, mimés et dansés. Prochaine date à ne pas manquer : le 4 décembre au Théâtre Clavel. Nous avons rencontré Vittoria Luyé, metteuse en scène du spectacle Entre-deux, qui nous livre les coulisses de sa création.
musical avenue (M.A.) : comment as-tu eu l'idée de créer ce spectacle ?
Vittoria Luyé (V.L.) : Il y a eu deux raisons. L’idée m’est d’abord venue alors que je voulais passer un concours de conservatoire d’art dramatique où il fallait présenter un travail personnel et j’ai pensé au chansigne. Finalement je n’ai jamais passé ce concours mais ça m’a donné l’idée de faire un spectacle sur mon histoire, en tant que CODA (enfant de parent.s sourd.s). Ma mère malentendante a d’ailleurs été une vraie source d’inspiration. Ensuite, je ne sais pas transposer mes idées à l’écrit mais j’ai toujours eu plein d’idées visuelles donc je voulais créer un spectacle visuel sans paroles avec essentiellement de la danse, du chansigne, des gestes et de la musique. Je voulais qu’on puisse comprendre mon spectacle qu’on soit sourd ou entendant, français ou pas, et c’est ainsi que j’ai réalisé une succession de souvenirs, de chamboulements, de difficultés rencontrées à travers des tableaux visuels où le langage passe par le corps et le rythme. Le fait aussi d’avoir construit le spectacle autour d’un rêve laisse place à l’imagination et c’est ce que je souhaitais.
M.A. : Qu'est-ce que le chansigne ?
V.L. : C’est une forme d’expression artistique qui consiste à exprimer les paroles d’une chanson traduite en langue des signes au rythme de la musique de cette chanson. Le chansigne peut aussi être une expression rythmée directement en langue des signes sans chanson traduite originale.
m.A. : QUE SIGNIFIE ENTRE-deux, le titre de ta pièce ?
V.L. : J’ai grandi entre mon père entendant et ma mère sourde. Quand je suis avec des entendants je suis « la fille de parent sourd qui parle la langue des signes » et quand je suis avec des sourds « je suis l’entendante ». Toute ma vie, je me suis demandé où était ma place : auprès de celle des sourds ou des entendants ? En créant ce spectacle, j’ai compris que ma place se situe entre ces deux cultures et que c’est une richesse. Et puis, le fait d’être dans cette situation provoque des moments qui font rire les gens et je me suis dit que cela pourrait être cool d’en faire un sujet.
M.A. : t'es-TU inspiréE de ce qui pouvait t'arriver au quotidien ?
V.L. : Tout à fait, par exemple le fait de ne pas avoir les clés et de ne pas se pouvoir se faire entendre par ma mère ou de se retrouver au milieu de deux personnes à traduire une conversation. Il y a aussi un moment quand Coco est sur le lit et qu’elle a subi des réflexions désagréables d’entendants et de sourds, du style : « Ta mère est bizarre avec ses mains » ; « Tu n’as pas ta place ici car tu n’es pas sourde, tu prends la place d’un sourd » ou encore « Tu es entendante alors tu ne comprendras jamais ce que je vis. » Ce sont des paroles qu’on a pu me dire.
m.a : Qui partage la scène à tes côtés, comment les as-tu choisis ?
V.L. : Je les ai choisis par affinité et pour leurs compétences. Claire, Orianne et moi sommes allées dans la même école de théâtre et je connais Juliette depuis le collège. On s’est toute recroisés et j’avais besoin d’une chanteuse/comédienne, d’une comédienne/danseuse et d’une chorégraphe/danseuse. Elles étaient toutes excellentes dans ce que j’avais besoin de faire. On est toutes différentes, physiquement et mentalement, et grâce à nos quatre personnalités j’ai réussi à finaliser « Entre-deux ».
m.a. : as-tu rencontré des difficultés dans le processus des création du spectacle ?
V.L. : Je voulais laisser beaucoup de place à l’imagination et je n’avais pas envie que tout soit explicite dans ce spectacle, mais j’ai eu cette inquiétude au début : est-ce que le public va comprendre ce que je souhaite transmettre ? Je me suis sentie un peu comme un peintre, qui, toutes les trois secondes, s’interrompt à chaque coup de pinceau, en se demandant si les gens apprécieront cette couleur précise à cet endroit-là. Puis j’ai compris qu’il fallait d’abord peindre, créer dans mon cas, avant de s’inquiéter de l’opinion des gens.
Ce n’était pas facile aussi d’être à la fois metteuse en scène et comédienne, car j’avais du mal à prendre du recul parfois. Je ressentais également le syndrome de l’imposteur : je me demandais pourquoi les filles m’écouteraient alors que je n’avais pas de connaissances précises dans leurs disciplines ? Afin de me sentir plus légitime pour leur exposer mes souhaits, je me suis formée en danse et en acrobatie. Cette première création était très formatrice car j’ai appris à diriger une équipe et à formuler mes volontés. Finalement, entre nos quatre résidences, le covid, les confinements, les cas-contact et les répétitions avec le masque, le projet a stagné pendant un certain temps. Mais l’important est que le résultat final soit au rendez-vous.
m.A. : quels sont les projets à venir pour entre-deux ?
V.L. : Prochainement, nous jouons dans le cadre du Festival du mouvement au Théâtre de l’Opprimé. Des théâtres sont intéressés par notre spectacle mais je ne sais pas encore s’ils souhaitent nous produire. C’est la première création de la compagnie, alors nous prenons toutes les opportunités qui s’offrent à nous.
M.A. : la compagnie les reines du silence prévoit-elle de créer d'autres spectacles ?
V.L : Bien-sûr ! Nous préparons un spectacle de Noël plutôt à destination du jeune public que j’aimerais terminer pour l’année prochaine. J’écris un autre spectacle sous forme de poésie visuelle qui se traduira par de l’art corporel (danse, même et différents agrès circassiens) avec mon frère qui est aussi comédien et auteur.
m.a. : que dirais-tu aux lecteurs de musical avenue pour venir voir entre-deux ?
V.L. : C’est une pièce très corporelle et musicale, si tu aimes la danse et le chant, tu peux te retrouver dans ce spectacle. Au-delà du message qu’il y a derrière le sujet traité, c’est une pièce qui fait vivre la musicalité d’une manière différente en mélangeant le chansigne, la danse, le mime ou encore le clown. Toutes ces disciplines nous permettent de transmettre au public des moments tristes, joyeux, drôles, éprouvants physiquement et psychologiquement. C’est surtout un spectacle qui s’adresse à tous et qui vous invite à rejoindre le rêve !