L’album Miss Saïgon: The Definitive Live Recording, capturé lors de la célébration du 25ème anniversaire du spectacle à Londres, est un véritable tour de force ! Superproduction avec une partition de plus de 2h20, le spectacle pousse le drame et les émotions qu’on peut monter sur une scène de comédie musicale à son paroxysme…
Créée par Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil, l’équipe française derrière Les Misérables, Miss Saïgon est une adaptation moderne de l’opéra Madame Butterfly. L’histoire, tragique et profondément humaine, explore les répercussions de la guerre du Vietnam sur les vies de Chris, un GI américain, et Kim, jeune fille de bar. Leur romance naît à Saïgon en 1975, juste avant la chute de la ville. Séparés par le chaos de la guerre, Kim donne naissance à leur enfant et espère qu’un jour Chris reviendra. Mais à son retour au Vietnam des années plus tard avec sa nouvelle épouse, les rêves et sacrifices de Kim prennent une tournure tragique.
Une comédie musicale de légende
Créée en 1989 sur la prestigieuse scène du Théâtre Drury Lane à Londres, Miss Saïgon a immédiatement captivé le public avec son histoire poignante et ses mélodies inoubliables.
Le succès fut tel que la comédie musicale est restée à l’affiche pendant 10 années consécutives, tout en ayant conquis Broadway en 1991, où elle a totalisé plus de 4 000 représentations. L’ampleur de son succès ne s’est pas arrêtée là : le spectacle est parti en tournée à travers les États-Unis et le Royaume-Uni, et s’est exporté en Allemagne, au Japon, en Hongrie et en Autriche. Comme nul n’est prophète en son pays, à ce jour Miss Saïgon ne s’est malheureusement encore jamais jouée en France.
Face à une telle popularité, plusieurs enregistrements studio ont vu le jour pour immortaliser les performances des acteurs, chacun apportant sa propre touche aux rôles emblématiques. Le premier, The Original Cast Recording, met en avant les talents de Lea Salonga, Jonathan Pryce et Simon Bowman, tandis que The Complete Symphonic Recording propose une distribution toute aussi prestigieuse avec Joanna Ampil, Kevin Gray et Peter Cousens. Ces versions ont elles-mêmes donné naissance à des albums abrégés, intitulés Highlights from Miss Saïgon, reprenant les morceaux phares de la comédie musicale en une heure de musique seulement.
Mais alors, parmi ces éditions déjà bien établies, fallait-il vraiment un nouvel album ?
La réponse est définitivement oui ! Car Miss Saïgon : The Definitive Live Recording, sorti en 2014 est un enregistrement live (le seul parmi tous les albums en anglais), capturé au Prince Edward Theatre de Londres. Il se distingue des autres par son énergie brute et l’émotion palpable des interprètes sur scène. Il ne s’agit pas seulement d’un autre album, mais d’une expérience immersive où le livret et la musique s’unissent pour offrir un spectacle auditif d’une richesse rarement égalée.
L’album permet de découvrir pour la première fois les paroles retravaillées de certains titres et surtout la nouvelle chanson Maybe interprétée par Tamsin Carroll dans le rôle d’Ellen. Claude-Michel Schönberg voulait faire d’Ellen un personnage plus sympathique pour Kim (et pour le public), ce qui l’a conduit à écrire cet air, remplaçant le titre Now That I’ve Seen Her des précédentes productions.
Un casting 5 étoiles
L’une des grandes forces de ce double album est la qualité des performances vocales.
Eva Noblezada est un véritable joyau. À seulement 18 ans, elle fait ses débuts dans le milieu professionnel avec le rôle de Kim et remporte déjà le WhatsOnStage Award de la meilleure actrice dans un rôle principal ! Sa voix est à la fois pure, puissante et pleine d’émotion. Ses interprétations des chansons I’d Give My Life for You et The Movie in My Mind transportent l’auditeur dans l’univers tumultueux et douloureux de son personnage. Sa maîtrise vocale et son sens du drame apportent beaucoup de profondeur à cette jeune femme déchirée par la guerre et l’amour.
Jon Jon Briones, qui incarne le célèbre « Ingénieur » était déjà présent dans l’ensemble de la troupe originale en 1989. Il est tout simplement magnétique ! Il saisit à la perfection la nature manipulatrice et opportuniste de son personnage tout en conservant un certain charisme scénique. Il apporte également une petite dose d’humour bienvenu dans ce récit tragique. The American Dream, interprété avec une énergie débordante qui va crescendo, est l’un des sommets de cet enregistrement et illustre parfaitement la critique acerbe du rêve américain.
Alistair Brammer, dans le rôle de Chris, livre une performance émotionnellement nuancée. Il excelle dans des morceaux comme Why, God, Why? et Sun and Moon, où sa voix exprime à la fois espoir et désespoir, capturant le conflit de son personnage pris dans un dilemme moral et amoureux.
Les autres membres de la troupe ne sont pas en reste et l’on peut citer le sud-coréen Hong Kwang-ho dans le rôle de Thuy. Ayant appris toutes ses chansons en phonétique, il a été acclamé et salué par le public et les critiques, recevant le WhatsOnStage Award du meilleur acteur dans un second rôle de comédie musicale.
Une partition épique
Musicalement, Miss Saïgon est un savant mélange de deux cultures. Dès les premières mesures de la partition, nous comprenons que nous sommes au Moyen-Orient, mais avec des influences occidentales.
La musique de Schönberg n’a rien perdu de sa grandeur avec le temps et les orchestrations de William David Brohn (également orchestrateur sur Oliver!, Mary Poppins ou encore Wicked) y sont pour beaucoup. Avec une direction musicale assurée et des arrangements riches en nuances, elles sont tout simplement somptueuses. Tellement réussies qu’elles n’ont pas été retravaillées depuis 1989 !
Claude-Michel Schönberg souhaitait un orchestre symphonique conventionnel, mixé à une multitude d’instruments orientaux. Il n’est donc pas rare d’entendre les cuivres et les violons répondant aux gamelans, gongs et flûtes asiatiques. C’est vraiment l’histoire qui guide le style de musique employée tout au long de la pièce.
Les instruments orientaux utilisés dans la partition ne sont pas nécessairement vietnamiens, mais un subtil mélange de diverses cultures : Gamelan d’Indonésie, Shamisan (une sorte de guitare à trois cordes) du Japon, tambour Odaïko etc…
Certains sons proviennent également des synthétiseurs, utilisés à bon escient pour étoffer l’orchestre qui compte tout de même 16 musiciens. L’instrument le plus reconnaissable du spectacle est sans nul doute le shakuhachi, une flûte japonaise en bambou, avec une membrane de papier qui donne une pureté de son utilisé pour caractériser Kim. L’instrument n’est d’ailleurs joué que lorsqu’elle chante ou quand un personnage pense à elle.
Mais ce qui frappe particulièrement dans Miss Saïgon, c’est la manière dont les émotions sont traduites à travers l’orchestration. Chaque note semble calculée pour maximiser l’impact émotionnel, que ce soit dans les moments intimes ou dans les passages plus imposants comme I’d Give My Life for You qui combine justement les deux.
Contrairement aux précédents albums studios, cette version capture l’énergie du public et la spontanéité des performances. On ressent l’intensité des applaudissements et des réactions, ce qui renforce l’immersion dans le spectacle.
Le constat est le même pour la captation vidéo disponible en DVD, Blu-ray et en streaming et accompagnée d’un documentaire très bien réalisé sur les coulisses du spectacle. Elle fait certainement partie des meilleures captations de comédies musicales à ce jour !
Des métiers de l'ombre
Si la clarté des instruments et la manière dont les voix sont mixées permettent d’apprécier autant chaque moment, c’est aussi en grande partie grâce à l’équipe technique aux commandes de cet album.
Lorsque Cameron Mackintosh (le producteur du spectacle) a annoncé la renaissance de Miss Saïgon à Londres, l’équipe sonore s’était préparée à un nouvel enregistrement live. Forts du succès du dernier album Les Miserables : The Definitive Live Recording et du film récemment sorti qui a innové avec une prise de son des acteurs en direct sur le plateau, les techniciens étaient bien conscients des défis à relever et des pièges à éviter dans cette nouvelle aventure.
Pour eux, le principal challenge consiste à plonger le public au cœur de l’action. La conception sonore impressionnante du spectacle fait appel à 75 microphones pour enregistrer un orchestre de 16 musiciens, dont 45 rien que pour le pupitre des percussions ! À cela s’ajoutent 41 micros supplémentaires pour les acteurs, générant une quantité massive de fichiers.
Lors de la première semaine de juin 2014, ce ne sont pas moins de 8 représentations qui ont été enregistrées pour puiser la meilleure performance de chaque artiste, totalisant plus de 2 To de données (l’équivalent de 450 DVD). Évidemment, trier toutes ces informations a été un travail colossal, nécessitant près d’une semaine pour passer en revue chaque performance et sélectionner celles qui seraient intégrées au montage final.
Les bruits de pas, le plancher qui craque, les décors en mouvement et les costumes qui frottent sont aussi captés par les microphones très sensibles. Cela impose un examen minutieux de chaque piste, nécessitant l’élimination ou la réduction des bruits indésirables autant que possible.
Après cela, le processus de mixage peut commencer sérieusement. Le son qui résonne dans le théâtre est produit par plus de 200 haut-parleurs, et l’équipe devait trouver un moyen de recréer cette expérience avec seulement deux haut-parleurs. Cela a conduit à des semaines de travail acharné pour équilibrer l’orchestre, peaufiner les performances vocales, et créer une atmosphère dramatique sans pour autant recourir aux décors ou à l’éclairage sophistiqué. À cette étape, le véritable test consistait à réécouter certaines parties du spectacle : ils savaient qu’ils avaient réussi lorsque cela les émouvait aux larmes.
L’étape suivante, probablement la plus intimidante, était de présenter le projet à Cameron Mackintosh. Bien qu’à ce stade l’équipe ait une idée assez claire de ce qu’elle avait entre les mains, l’expérience leur avait appris à ne jamais présumer de quoi que ce soit. Heureusement, Cameron a été conquis par l’enregistrement dès les premières minutes. Au cours des deux jours suivants, il n’a cessé d’inciter les ingénieurs du son à améliorer et peaufiner leur travail.
Avec une trentaine de pages de commentaires provenant de Cameron, du compositeur Claude-Michel Schönberg et du directeur musical Alfonso Casado Trigo, l’équipe a poursuivi le perfectionnement de l’enregistrement en vue du mastering final.
C’est ainsi que Miss Saïgon dispose désormais d’un album incontournable pour les fans de comédies musicales !
Grâce à des performances vocales exceptionnelles, une orchestration puissante et la captation de l’énergie live, cet enregistrement permet de revivre la magie du théâtre, tout en étant confortablement installé chez soi. L’émotion pure et la force de l’histoire traversent les pistes avec une authenticité rarement égalée, et rappelle pourquoi cette œuvre continue de captiver les publics du monde entier.
Le Top 3 de Nicolas
- The Movie in My Mind : un duo poignant entre Kim et Gigi qui rêvent d’échapper à leur réalité douloureuse en s’imaginant une vie meilleure, loin de la guerre et de la prostitution
- Bui Doi : une chanson au ton à la fois solennel et rempli d’empathie, faisant référence aux enfants abandonnés et rejetés, nés de relations entre des soldats américains et des femmes vietnamiennes
- The American Dream : un numéro haut en couleurs avec des éléments grotesques et ironiques soulignant à quel point son rêve américain est superficiel et déshumanisant
Points forts
- Une captation en direct fidèle à ce que le spectateur vit dans la salle
- Un casting remarquable à tous les niveaux
- Une orchestration saisissante qui nous touche en plein coeur
- Captation vidéo excellente, disponible en version physique et en streaming
Points faibles
- Absolument aucun !
Écouter l'album
Miss Saïgon The Definitive Live Recording est accessible sur les plateformes de streaming Deezer, Spotify et Apple Music. Il est également disponible en version physique (2 CD + livret de 20 pages contenant des photos du spectacle ainsi que des propos de Claude-Michel Schönberg, Cameron Mackintosh, Stephan Metcalfe et Lee Mc Cutcheon)