Souvent décrit comme l’un des producteurs les plus influents du moment, Sir Cameron Mackintosh est plus que jamais sous les feux des projecteurs avec la sortie du film Les Misérables le 13 février en France. Lui qui produit un nombre incalculable de comédies musicales dans le monde entier (Les Misérables ; Le Fantôme de l’Opéra ; Miss Saigon ; Oliver… on en passe et des meilleures !) s’est confié à Musical Avenue à moins d’une heure de l’avant-première du film aux Champs-Elysées, où il s’est ensuite rendu avec le réalisateur Tom Hooper et les acteurs Anne Hathaway et Eddie Redmayne.
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Musical Avenue : Les Misérables est un grand succès dans les cinémas du monde entier, en plus d’être nominé plusieurs fois aux Oscars. En France néanmoins, vous n’arrivez pas en terrain conquis : beaucoup connaissent très bien l’œuvre de Victor Hugo mais pas la comédie musicale.
Cameron Mackintosh : Je suis évidemment très heureux de la manière dont le film a été reçu dans le monde entier. C’est vrai que nous sommes dans un cas très particulier concernant la France puisque c’est certainement le seul pays où le spectacle n’a pas bien marché. Les critiques étaient pourtant très bonnes les deux fois où j’ai fait venir la comédie musicale ici [NDRL : au Théâtre Mogador en 1991 puis au Théâtre du Châtelet en 2010] mais cela n’a pas été suffisant pour en faire un vrai succès public. Du coup, je suis curieux de savoir si le film va fonctionner.
Si le succès du film est au rendez-vous, pensez-vous que cela pourrait changer la perception du public français vis à vis du spectacle ?
Oui, je pense que si le film marche bien ici, cela pourrait avoir un effet positif vis à vis du spectacle. Quoiqu’on en dise, le public français aime aussi les comédies musicales de Broadway même si c’est pour des périodes plus courtes que ce qu’on peut voir ailleurs en Europe ou aux États-Unis.
La tournée du 25ème anniversaire des Misérables avait d’ailleurs été bien reçue à Paris, même si ce n’était que pour un mois de représentations en juin 2010 au Théâtre du Châtelet.
C’est vrai mais il n’empêche que ce n’était pas à guichets fermés. Pour être honnête, j’ai été même très surpris que le spectacle ne fasse pas salle comble. C’est pourtant une très belle production qui a reçu d’excellentes critiques dans les médias français et d’ailleurs le public qui s’est déplacé pour le voir était très enthousiaste à la sortie du théâtre. Malgré ça, ne pas voir le théâtre complet… c’est quand même très étrange, c’est comme si on me disait “Les Misérables, on n’en veut pas ici !”.
Pourquoi une telle réaction, selon vous ?
Je n’en ai strictement aucune idée. C’est d’ailleurs pour ces mêmes raisons que nous n’avons jamais fait Phantom of the Opera à Paris. Et, encore aujourd’hui, je n’ai pas l’intention de tenter l’expérience. La France est un vrai mystère de ce point de vue là.
Vous envisagez pourtant de lancer Mary Poppins à Paris avec Stage Entertainment, non ?
Seulement si on arrive à trouver la distribution adéquate. J’espère que ça va se faire, vraiment.
Pourquoi ne pas envisager de filmer le spectacle Les Misérables en format Blu-ray/DVD comme ce que vous avez fait au Royal Albert Hall pour le 25ème anniversaire de Phantom of the Opera ?
Non. Absolument pas. Jamais.
Pourquoi donc ?
Parce que nous n’avons aucune raison de le faire. Nous avons déjà sorti en Blu-ray le concert des Misérables à l’O2 Arena, que j’ai trouvé fabuleux, et désormais on peut aussi compter sur ce très beau film des Misérables. C’est déjà bien assez. Ceci dit, c’est vrai que nous en avions discuté avec Claude-Michel [Schönberg] et Alain [Boublil] mais nous avons décidé que nous ne voulions pas filmer la version scénique des Misérables. Nous avons préféré en faire un film avec ses propres forces.
Transposer la comédie musicale à l’écran était pourtant un risque. La preuve, le film Phantom of the Opera n’as pas vraiment été bien reçu. Pourquoi selon vous ?
Je ne sais pas vraiment, d’autant plus que je n’ai pas été impliqué dans la création de ce film. Andrew [Lloyd Webber] a voulu tout gérer, idem pour Love Never Dies, je n’ai pas du tout été impliqué.
Vous avez fait le choix pour le film Les Misérables d’avoir aussi bien des têtes d’affiches comme Hugh Jackman ou Russell Crowe que des artistes bien connus du West End comme Samantha Barks ou Aaron Tveit pour Broadway.
À vrai dire, la majorité des acteurs choisis ont un lien avec la scène musicale de près ou de loin. Hugh Jackman a commencé sa carrière dans des musicals, de même que Russell Crowe. Il avait auditionné pour moi pour Miss Saigon. Je l’ai vu faire le Rocky Horror Show, Blood Brothers. Il a déjà fait plusieurs musicals avant de devenir une star. Annie [Anne Hathaway] a grandi dans l’univers de Broadway grâce à sa mère. Helena [Bonham-Carter] et Sasha [Baron Cohen] n’ont pas eu cette chance mais je les avais vus dans le film Sweeney Todd et c’est ça qui m’a fait réaliser qu’ils pouvaient être géniaux en Thénardiers. Et en ce qui concerne Amanda [Seyfried], je l’ai découverte dans Mamma Mia! Helena, Sasha et Amanda sont probablement les seuls à ne pas venir directement de la scène.
Après, c’est vrai que Russell n’est pas à proprement parler un artiste de comédie musicale mais il chante régulièrement, même si ce n’est pas toujours des partitions aussi complexes que celle des Misérables. La raison pour laquelle nous avons choisi Russell,disons que le juste équilibre entre Russell et Hugh [Jackman] était fondamental, on en retire pas mal d’énergie. Après, c’est vrai que tout le monde n’apprécie pas la façon de chanter de Russell mais il dégage une certaine aura et je savais qu’avoir deux australiens pour le duo Valjean/Javert crééerait un lien fort et spécial qui se verrait à l’écran. D’ailleurs, ils s’entendent vraiment très bien dans la vraie vie.
Honnêtement, à part Russell, je ne vois pas bien qui aurait pu apporter autant de charisme au film. Il s’est aussi révélé un bon leader pour toute la troupe d’acteurs. N’oublions pas que dès le début, notre intention était de faire le film parfait. Nous voulions faire un vrai film de Broadway et je suis ravi que le résultat ait été à la hauteur des attentes. La preuve, après l’avoir vu, le public se précipite pour aller voir ou revoir la version scénique du spectacle ou même d’acheter le Blu-ray du concert de l’O2.
Nous avons l’impression qu’aux États-Unis beaucoup vont aussi voir le film plusieurs fois au cinéma.
Oui, c’est tout à fait vrai. C’est pour ça que je suis toujours étonné d’entendre certains critiquer très fortement le film, disant qu’il aurait mieux fallu faire comme-ci ou comme-ça. Des choix ont été faits pour que le film dispose de sa propre âme.
Vous avez affirmé dans plusieurs interviews qu’un film de Miss Saigon serait envisageable si le film Les Misérables était un succès.
Je confirme, mais pas avant un moment ! Je suis effectivement très intéressé d’adapter Miss Saigon au cinéma mais je ne vois pas comment cela pourrait être possible avant au moins deux ou trois ans. J’ai déjà une vingtaine de nouvelles productions à gérer dans le monde entier sur les deux prochaines années donc ce sera compliqué de trouver le temps d’y travailler.
De quelles productions s’agit-il, en l’occurrence ?
Je travaille sur une nouvelle production d’Oliver, une nouvelle production de Phantom qui va arriver aux États-Unis, plusieurs versions de Mary Poppins, il y a aussi My Fair Lady ainsi qu’une nouvelle production de Barnum qui ouvrira cette année [au Chichester Film Festival 2013] et pour laquelle nous auditionnons en ce moment. Sans oublier Miss Saigon, qui reviendra bientôt sur scène à Londres, j’espère l’année prochaine, et qui a ouvert au Japon il y a peu. J’en oublie certainement mais cela demande vraiment une énorme organisation pour réussir à faire tout ça.
D’autant plus que ce n’est pas toujours dans le même pays.
Exactement ! D’ailleurs, ce qui est étonnant, c’est qu’un bon tiers de toutes ces nouveautés concerne l’Asie du Sud-Est. Ils deviennent friands de comédie musicale là-bas, c’est quelque chose de remarquable.
Même la nouvelle production d’Oliver s’arrêtera là-bas ?
Tout à fait. Oliver commencera certainement aux États-Unis l’an prochain et passera aussi en Amérique du Sud. Nous sommes aussi en cours de négociation pour faire quelques dates en Europe.
Je ne pose même pas la question de savoir si la France figure parmi les pays candidats.
Non (rires). Le seul spectacle qu’on envisage en ce moment pour la France, c’est Mary Poppins. Et, encore une fois, cela dépend vraiment si on arrive ou pas à trouver la distribution qu’il faut. Il est là le problème.
Vous pensez qu’il n’y a pas assez d’écoles de comédies musicales en France ? Que nous n’avons pas assez d’artistes « triple threats » (qui savent chanter, danser et jouer la comédie) ?
Ce n’est pas tout à fait juste, il y a eu une vraie évolution depuis que j’ai fait venir Les Misérables au Théâtre Mogador en 1991. Le niveau a vraiment progressé. En revanche, en France vous n’avez pas beaucoup de têtes d’affiche qui sont capables d’assumer le rôle principal et de porter le spectacle à eux tous seuls. Cela étant, j’ai vu de très beaux talents aux auditions de Mary Poppins. Mais malgré cela, nous n’avons malheureusement toujours pas trouvé notre Mary Poppins ni même notre Madame Banks. Sans cela, nous ne pouvons pas nous engager à faire le spectacle à 100%. Et la question qui nous hante c’est : quand-est ce qu’on va les trouver ?
L’objectif reste une ouverture de Mary Poppins dès cet automne à Paris ?
C’est encore faisable, ce serait parfait pour cet automne mais on dépend trop de l’issue du casting pour se prononcer.
Vous n’avez pas évoqué Martin Guerre dans vos projets.
Très juste, c’est en cours de réécriture par Alain et Claude-Michel. Si tout va bien, ils auront terminé cette année et nous pourrons alors envisager une sortie à Londres en 2014.
Pour terminer, pourquoi selon vous y a-t-il de moins en moins d’histoires originales dans les musicals récents ? La tendance générale s’oriente clairement vers des adaptations de films ou de livres, à l’exception notable de spectacles comme The Book of Mormon.
Ce n’est pas nouveau, il suffit de regarder les grands succès de la comédie musicale. La plupart concerne des adaptations de livres ou de pièces. Cela a toujours été le cas, que ce soit Gigi, My Fair Lady, Cabaret, Chicago, Porgy and Bess, Showboat… Alors, oui, des musicals comme The Book of Mormon ou Company sont des exceptions, des succès isolés mais pour moi, la tendance est plutôt vers, et je ne suis pas en train de juger, je ne dis pas que c’est bien ou mal mais, on s’oriente vers des comédies musicales avec moins de relief, des petites comédies légères qui nous font passer un bon moment au théâtre mais dont la musique et les chansons ne sont pas à la hauteur. En somme, c’est juste pour vendre.
Prenez Sister Act par exemple, je n’ai pas le sentiment que la musique et les paroles aient été assez recherchées, c’est incomparable avec une autre comédie comme Hello Dolly! La démarche est inverse : ils ont déjà l’histoire et ils cherchent ensuite à y apposer une musique. Et je pense que c’est la raison pour laquelle ce ne sont pas non plus des succès énormes. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas divertissants, ce sont de bons spectacles mais qu’on oublie assez vite.
Ce n’est pas au niveau d’écriture de Kander & Ebb (Cabaret ; Chicago) ou Jerry Herman (Hello Dolly! ; La Cage aux Folles), eux savent vraiment écrire de belles comédies musicales. Pour le coup, je suis curieux de savoir ce que va donner le spectacle Charlie and the Chocolate Factory, adapté du roman de Roald Dahl. Les gens qui travaillent dessus sont très compétents mais on verra si la musique est à la hauteur. Aujourd’hui, les producteurs ont tendance à sous-estimer cet aspect, ils préfèrent nettement se focaliser sur le retour sur investissement des comédies musicales.
Le site officiel de Cameron Mackintosh : www.cameronmackintosh.com
Le site officiel du film Les Misérables : www.lesmiserablesfilm.com