Parmi les nombreux TFE présentés cette année, certains sont tout particulièrement attendus. C’est le cas pour Hamilton, œuvre qui a créé une petite révolution dans le monde de la comédie musicale ces dernières années. Traversons l’Atlantique et retrouvons-nous au 18e siècle, pour revisiter la naissance des États-Unis d’Amérique.
Dis-nous ton nom… Alexander Hamilton
Le tableau d’ouverture à lui seul est une entrée en matière particulièrement délicate. Le public retient son souffle aux premières notes, et soudainement l’action prend place, percutante. À la manière de la mise en scène outre-Atlantique, les personnages arrivent et occupent l’espace. La précision de la traduction, ainsi que les différents niveaux de scène créés sur les côtés nous plongent immédiatement dans l’ambiance. Cette disposition des espaces rappelle immanquablement celle de Broadway. Ces quelques minutes restent dans nos mémoires et donnent le ton du niveau du spectacle.
Les chansons se succèdent sans interruption. Tout est pensé avec dynamisme et énergie, on en viendrait à oublier que l’on est dans la salle Max Ophüls du Cours Florent. Bien sûr, il a fallu faire des choix, supprimer des chansons ou des transitions. Pour ceux qui connaissent la version originale, on se laisse porter sans peine par cette adaptation, au format un peu écourté mais qui garde toute sa cohérence. Quand on connaît la complexité du spectacle d’origine et la finesse d’écriture de Lin-Manuel Miranda, on ne peut qu’être frappé par la fidélité générale de ce TFE. Que ce soit par les éclairages, les costumes ou la maîtrise des espaces et des décors (même sans scène tournante), on alterne entre la création des élèves et l’harmonisation fidèle d’un spectacle de Broadway.
La traduction des textes en français rend l’histoire éminemment plus accessible. Conscient du défi qui les attendait, on sent que le quatuor derrière ce projet (accompagné de Mallory Cheminet) a pris le temps de peaufiner les dialogues et les paroles des chansons pour conserver la force et le rythme du livret (à l’image des titres « Satisfied » ou « Hurricane »).
Malgré une ligne dramaturgique assez loin de notre culture européenne, le public reste captivé pendant plus de deux heures. C’est sans doute parce qu’au-delà du personnage historique d’Hamilton, peu connu de nos manuels scolaires français, les artistes mettent l’accent sur les thèmes universels qui transcendent leur personnage. L’honneur, la défense d’un idéal démocratique plus grand que soi, le combat pour la liberté, mais aussi les rivalités politiques sont autant d’aspects très actuels qui touchent le public et nous questionnent aussi sur notre histoire française (les liens étant plus qu’évident avec le marquis de La Fayette). On se prend ainsi d’affection pour tous ces héros d’un autre temps, jusqu’au dénouement final, où nous vous avouons que nous n’avons pu retenir une petite larme d’émotion (on avait déjà vacillé à plusieurs reprises sur les chansons “Burn” et “It’s Quiet Uptown”).
"The Story of Tonight" : Ils parleront de notre histoire
Beaucoup doutaient de la possibilité de jouer Hamilton en français, à commencer par les artistes eux-mêmes. Ils ont cependant prouvé le contraire, en respectant les codes qui font l’identité de la comédie musicale. Les élèves ouvrent la voie (et prêtent leurs voix) pour des adaptations d’une grande modernité, avec des personnages interprétés avec rigueur. Tous donnent le meilleur d’eux-mêmes, que ce soit sur scène ou à la direction artistique, pour nous faire vivre un moment que nous n’oublierons pas. Loïc Suberville et Alexandre Dupuis-Pasqualini campent leurs personnages (respectivement Alexander Hamilton et Aaron Burr) en explorant toute la complexité de la relation unissant ces amis/ennemis, et ce que l’Histoire en retient. Tous les rôles demandent une grande exigence et précision ; encore une fois, la formation du Cours Florent permet de relever ce défi.
La proximité avec le public devient un atout pour la mise en scène, à l’image des chansons du Roi Georges. Damien Mouveaux joue avec nous pour offrir un angle facétieux à son personnage, il oscille entre le despote et l’enfant capricieux, et c’est très réussi. Il tranche d’autant plus avec le très digne et paternel Georges Washington (auquel Mallory Cheminet donne vie). Les sœurs Schuyler ne sont pas en reste, et prennent toute leur place au milieu d’une histoire très masculine. Une fois de plus, les directeurs artistiques conservent cet aspect essentiel, et parviennent à opposer scènes de combat et tendresse, nous faisant passer par une multitude d’émotions.
Un mot encore sur les artistes qui forment l’ensemble ; les batailles prennent vie devant nous et les chorégraphies ne leur laissent que peu de répit. Ils amènent aussi les éléments de décor et accessoires, sans que l’on s’en rende vraiment compte. Personnages principaux et danseurs se mêlent pour ne former parfois qu’un seul corps. On ne vous dira rien du dénouement, hormis que, pour ceux qui ne connaîtraient pas la mise en scène, vous serez saisi par l’effet (et pour les autres, vous retrouverez toute la puissance de ce moment hors du temps).
En quelques années seulement, Hamilton est déjà une œuvre devenue incontournable dans le monde de la comédie musicale. Avec ce TFE, mélange d’hommage et d’adaptation, François Jankowski, Iona Cartier et Alexandre Dupuis-Pasqualini (et tous les élèves) contribuent à faire découvrir au public français la culture américaine. Si l’Histoire garde en mémoire le père fondateur Alexander Hamilton, les spectateurs présents ce soir-là ont aussi pu vivre un grand moment dans l’histoire des TFE du Cours Florent.