Il y a des rendez-vous annuels que l’on retrouve avec plaisir ; assister aux spectacles de fin d’année des élèves de troisième année du Cours Florent devient une tradition pour Musical Avenue. Les deux pièces musicales choisies cette année mêlent audace et surprise. Commençons par Rent, qui nous emporte dans les rues de Manhattan.
les tragedies d'une generation
La Grande Pomme semble être une source inépuisable d’inspiration pour les auteurs de comédie musicale. Après l’incontournable West Side Story qui a eu l’honneur d’un nouveau film en 2022 , et dont une nouvelle version sera présentée au festival Bruxellons! cet été, puis à partir du 20 octobre 2023 au Théâtre du Châtelet, ou la mise à l’honneur de Wonderful Town en mars dernier, voilà que le Cours Florent part aussi explorer New York. Mais cette fois, nous changeons de décennie, pour plonger dans une atmosphère plus sombre et tourmentée.
Rent, c’est d’abord une comédie musicale jouée pour la première fois en 1996, et adaptée d’un opéra de Puccini (La Bohème). Jouée pendant plus de 12 ans à Broadway, transposée en film, les élèves de troisième cycle s’en emparent désormais. Le pari est osé de présenter cette œuvre en spectacle de fin d’année, car on est assurément dans le drame humain plus que dans le conte de fée. On suit les pas d’un groupe de jeunes artistes, mais bien loin des lumières de la gloire. Sans argent, sans travail, ils essaient de vivre (et survivre) en luttant pour assurer leur logement. Cette panoplie de personnages, qui gravitent autour de Mark et Roger, est en prise à de nombreux combats : la solitude, le sida, l’indifférence dans une ville tentaculaire où l’on n’est rien, et où personne ne vous entend crier, mais aussi l’amour qui unit ces paumés de la vie. Ils luttent contre leurs démons, leurs addictions, leur peur de vivre ou d’aimer, et doivent apprendre à s’aimer eux-mêmes pour pouvoir aimer les autres. Comment faire passer ces émotions sur scène ? Demandez aux élèves du Cours Florent, ils ont la solution.
Alexandre Faitrouni, toujours maître de la mise en scène
Chaque année on se questionne sur les possibilités de se renouveler, avec les contraintes d’espace de la Salle Max Ophüls, le peu de matériels et décors ; chaque année on se dit qu’ils ont tout exploré et qu’ils ne pourront pas faire mieux. Et chaque année, Alexandre Faitrouni parvient à créer la surprise par sa mise en scène. Il semble repousser les limites, et exige une totale implication de la part des élèves, les amenant de plus en plus loin.
La disposition de la salle change encore : cette fois le public est réparti de part et d’autre de la scène, et les artistes sont véritablement au centre. Des grands plateaux amovibles, déplacés à toute vitesse d’un côté à l’autre, tournoient sous nos yeux. Les espaces se créent et disparaissent. Les scènes défilent, parfois à la manière d’un film. Les acteurs arrivent d’un côté où de l’autre, tout comme les chœurs : on ne sait jamais à l’avance où porter le regard. Quand on y pense, c’est un coup de génie ; quel meilleur moyen d’exprimer la colère et la violence de ces personnages qu’en les faisant surgir de toute part, à tout instant ? Le tout est accompagné de jeux de lumières et effets de fumée, renforçant l’immersion dans cet univers urbain. Effet bienvenue qui contrebalance les disparités d’un livret dont l’adaptation n’aide pas toujours à bien saisir l’histoire ou les rapports entre les personnages (rappelons que les élèves se basent sur une adaptation existante, et composent donc avec les musiques et pistes sonores déjà existantes également pour créer le spectacle, sans pouvoir forcément remanier ce qu’ils souhaiteraient).
Tout est précis, pour ne pas dire millimétré, dans les déplacements et modulation des décors et espaces scéniques. On imagine la multitude de réglages qu’il a fallu faire pour gérer deux coulisses séparées et isolées l’une de l’autre, pour combiner chaque sortie et entrée de personnages qui permettent à la scène suivante de se dérouler avec fluidité. Les élèves s’approprient complètement cette dynamique, et redoublent de vigueur pendant plus de deux heures.
Une rage intérieure, une énergie débordante
Rent, c’est une partition en grande partie pop-rock, et même si quelques ballades viennent adoucir l’œuvre, les élèves doivent faire preuve d’une tonicité constante pour donner vie à leurs personnages. Avec leur jeunesse et leur trois ans de formation, ils y parviennent sans difficulté, et allient chant et danse dans toute la palette des émotions humaines. Les numéros de groupe sont saisissants (tels que “Tango : Maureen” – où l’on n’attend pas forcément l’arrivée de l’ensemble des danseurs en plus du duo principal – ou “La Vie Bohème”). Les duos sont bien présents (avec un petit coup de cœur pour “Light my candle”), et notamment la chanson “Take Me or Leave Me”. Les deux jeunes femmes nous ont livré ce jour-là une interprétation remarquable sur une chanson extrêmement complexe (chantée par Idina Menzel et Tracie Thoms dans la version cinématographique). Rappelons que les rôles sont tenus en alternance par les élèves selon les dates de spectacle, pour que tous puissent exprimer leur talent.
Tous les codes de la comédie musicale sont explorés, y compris par un numéro de claquette particulièrement vif. Et bien sûr, l’émotion envahit tout l’auditoire aux notes de l’incontournable chanson “Seasons of Love”, les yeux humides des artistes, habités par leur rôle, se mêlent à ceux du public dans un moment de grande communion artistique. Encore une fois, le niveau vocal nous captive.
Le Cours Florent ne fait décidément pas dans la simplicité. Présenter Rent en spectacle de fin d’atelier reste un défi : l’œuvre regorge de ruptures de rythmes, de chansons nécessitant une maîtrise technique de haut niveau et parfois de dissonances à apprivoiser. Le tout sur une trame dramatique avec des personnages meurtris, auxquels il faut réussir à donner vécu et authenticité dans toutes leurs failles. Cette nouvelle promotion n’est pas déstabilisée par ces obstacles, preuve en est que le Cours Florent flirte toujours avec l’excellence. Si vous avez l’occasion, n’hésitez pas à demander vos places pour assister à l’une des représentations de Rent, ou à celle de Cabaret, l’autre spectacle de fin d’année dont nous vous parlerons prochainement.