Dans la droite ligne d’Oliver Twist ou des Malheurs de Sophie, Sara la petite princesse s’inspire librement d’un roman publié aux Etats-Unis au début du vingtième siècle. Plusieurs fois adapté pour la télévision, le cinéma ou le théâtre, Neil Charfi nous propose ici une vision empreinte d’une nostalgie londonienne, que n’aurait pas renié Charles Dickens. Par obligation, Sara et son père quittent les Indes et rejoignent la capitale anglaise, où Monsieur Crewe confie sa fille au prestigieux pensionnat dirigé par Miss Minchin et sa sœur. A la manière des classiques de Broadway, les enjeux sont explicités dès la chanson d’ouverture, puissante, qui coche les codes de la comédie musicale.
Sara se révèle brillante et attise jalousie de certaines, admiration des autres. Sa vie bascule avec la terrible nouvelle de la disparition de son père et la perspective de la pauvreté. Sara se retrouve seule et contrainte de devenir servante, au risque d’être mise à la rue. Le courage et l’amitié seront-ils suffisants pour lui permettre de continuer de croire en elle et en ses rêves ?
L’histoire en elle-même ne recèle pas vraiment de surprises ; les personnages sont clairement identifiables, avec des traits de caractères affirmés, et qui pourrait peut-être gagner en nuances. On est complètement emporté par le récit et par les sentiments. Rappelons qu’il ne s’agissait que d’une première lecture, sans décor particulier ni grande mise en scène. Et pourtant, tout fonctionne très bien. Des lumières sont intégrées aux scènes, le livret (qui fait la part belle aux instruments à corde) s’accompagne de transitions musicales. Tout a été soigné pour donner à cette lecture une vraie puissance. Mais c’est bien entendu le talent des artistes qu’il faut souligner. Il est impossible de ne pas voir à quel point tous sont investis dans leur rôle, ils habitent leur personnage, et l’émotion gagne le public dès les premières minutes.
On est beaucoup plus proche d’un filage que d’une première lecture, et c’est en réalité la quasi-totalité de la comédie musicale qui nous est présentée. Des efforts ont été faits sur les costumes pour donner encore plus de réalisme ; dialogues et chansons s’enchaînent avec justesse. On ne voit finalement pas le temps passé jusqu’au dénouement, le cœur parfois serré en assistant au destin tourmenté de Sara. On découvre ainsi le livret, qui fait alterner solos et chansons de groupe, et sert la narration pour tous les personnages.
Impossible de retenir une performance en particulier. Bien sûr, Marine Duhamel est plus que convaincante dans le rôle principal, et confère à Sara toute la distinction de son personnage. Maïssane Bakir donne merveilleusement vie à Lavinia, qu’on décrira comme un subtil mélange entre Sharpay Evans avec un soupçon de Glinda (Wicked) ; elle joue à fond la rivalité féminine. Olivier Grandclaude (Les Mystérieuses Cités d’Or) assure les multiples rôles qui lui sont confiés, et reste très touchant en tant que Monsieur Crewe, le père de Sara. Thea Anceau (Oliver Twist, le musical) emporte aisément l’adhésion du public lors de sa performance remarquée sur le titre “pourquoi je préfère”. C’est une troupe brillante, parfois drôle, parfois bouleversante, où chacun met son talent au service des autres, qui s’est produite ce jour-là.
Une performance d’autant plus remarquable que chacun est bénévole pour le moment. Car c’est encore à l’état de projet que Neil Charfi nous offre cette présentation. Obtenir un tel résultat, en mobilisant des artistes pendant plusieurs mois, en période de pandémie, en créant les bandes sonores et en demandant à chacun de s’investir au mieux pour la mise en scène est assez remarquable. Les visages, émus aux larmes à la fin de la lecture, sont la meilleure preuve de l’investissement de chacun dans cette aventure.
On ne souhaite désormais qu’une chose : que ce spectacle puisse voir le jour au plus vite dans une salle de théâtre.