Personnalité marquante du début du 20ième siècle, en pleine période de prohibition, Al Capone est un des criminels les plus connus, au moins par son nom. Une comédie musicale ayant pour héros un gangster, voilà qui est original. Mais cela suffira-t-il à faire de ce spectacle un incontournable du spectacle musical ?
Une histoire créée pour l’occasion
Difficile de savoir à l’avance à quoi s’attendre avec ce spectacle ; s’agit-il d’une fresque historique, d’une mise en musique de la série télévisée ou de tout autre chose? C’est plutôt cette dernière option qui a été retenue. On retrouve les personnages connus d’Al Capone et Eliot Ness, mais les références historiques s’arrêtent là. Après tout, pourquoi pas ? Un personnage aussi connu qu’Al Capone peut sans doute porter à lui seul le spectacle. L’histoire inventée a du mal à être à la hauteur du mythe. Al Capone ambitionne de traiter des thèmes éternels des amours interdites (à la manière de Roméo et Juliette ou West Side Story) mais peine à être original. Les deux rivaux masculins perdent leur caractère historique pour s’empêtrer dans une relation amour/haine sans trop de surprise
Al Capone est abordé sous un angle qui nous semble trop doux pour correspondre à l’image du gangster impitoyable et chef de la mafia qui a fait sa légende. Protecteur envers sa sœur, compréhensif avec son entourage, on se prendrait presque de pitié pour lui et on en viendrait à blâmer sa sœur Rita d’être tombée amoureuse d’Eliot Ness. Ce dernier, au départ intransigeant, se retrouve trop rapidement bousculé dans ses convictions à la première oeillade de la belle Rita. De là s’en suivent des questionnements intérieurs auxquels chaque personnage tente de répondre, jusqu’au final qui se prépare comme un moment grandiose ; l’apothéose musicale est au rendez-vous mais l’issue des personnages déçoit quelque peu. Autour de ce trio gravite Lili, la maîtresse d’Al Capone dont on a du mal à croire qu’elle puisse être tout à la fois capable de gérer un cabaret clandestin en pleine prohibition et être si doucereuse avec son amant.
Tous les ingrédients sont présents pour créer une histoire qui pourrait nous tenir en haleine. Des gangsters, des meurtres, des amours impossibles, on a déjà vu des comédies musicales moins bien ficelées. Comment expliquer alors ce sentiment en demi-teinte ? Nous avons l’impression d’effleurer seulement les personnages, ne pas saisir leur motivation profonde et qu’ils sont finalement des caricatures d’eux-mêmes (l’intrigue qui se déroule sur quelques jours seulement n’aide évidemment pas). Les dialogues et le livret ne parviennent pas à donner un ton affirmé, et les récitatifs chantés se révèlent trop pauvres pour assurer des transitions fluides entre les scènes (à l’image de “un charleston pour Capone” qui est visuellement et musicalement plaisant, mais vide de sens pour l’histoire en elle-même).
Si l’on regrette qu’Al Capone ne soit pas assez corrosif, à la hauteur de sa légende, nous sommes complètement conquis par les artistes, impeccables dans leurs rôles et qui nous permettent de ne pas voir le temps passer.
Une interprétation de haut vol
Si on avait pas de doute sur l’habileté de Bruno Pelletier pour interpréter son personnage, l’attente était claire autour de Roberto Alagna et Anggun. C’est une – très – bonne surprise d’assister à des performances vocales impeccables et puissantes. La partition généreuse (plus de quarante chansons, plus ou moins longues) permet à chacun d’exprimer tout son talent. Roberto Alagna impressionne, incarne son personnage et enchaîne les performances vocales, parfois en avant-scène (dans un style d’opéra italien qu’il maîtrise parfaitement, comme sur “Raccontami” porté par une scénographie tout en nostalgie et poésie).
Bruno Pelletier brille lors de tous ses solos (“Une belle en plein cœur”, aux paroles parfois légères, est magnifiquement portée par l’artiste). Kaïna Blada, Anggun et Thomas Boissy (poignant quand il interprète “l’ombre de mon frère”) ne sont pas en reste ; à l’aise dans leurs personnages, ils ne tremblent pas et rivalisent d’accords et harmonies qui nous enchantent. Les duos confrontant Al Capone/Eliot Ness font trembler les murs des Folies Bergère (“Reste Tranquille”). Ne boudons pas notre plaisir, Al Capone concentre deux heures de prouesses vocales quasiment de bout en bout (“La Nuit de l’Amour” est une dédicace au genre de la comédie musicale à elle toute seule).
La présence de musiciens sur scène (plus exactement au-dessus de la scène) renforce l’immersion dans l’ambiance jazz. La partition fait la part belle aux cuivres et aux sonorités jazz et boogie, ainsi qu’à des transitions au piano accompagnant agréablement les dialogues dans le cabaret ; de douces ballades ou des chansons plus pop émaillent le spectacle. Nous apprécions la volonté de donner une teinte d’opéra à l’œuvre, avec des récitatifs chantés, des envolées lyriques. Tout cela est porté par des décors changeants (du cabaret de Lili aux rues de Chicago), des effets de lumières et de projections vidéos. Al Capone ambitionne de rivaliser avec les grandes productions, et ne néglige aucun aspect de la mise en scène. Le pari est réussi. Les costumes sont également soignés, et les personnages féminins sont sublimés par une garde-robe des plus colorés. Sans oublier les solides tableaux de danse parfaitement exécutés.
L’histoire n’est peut-être pas le point fort d’Al Capone, et si vous n’avez qu’une vague connaissance de qui était cet homme, vous ressortirez du spectacle sans en savoir vraiment davantage. Qu’importe, ce n’est visiblement pas l’objectif de ce spectacle ; il se pourrait même que vous soyez avantagés si votre culture américaine des années 20 n’est pas votre atout, vous laissant ainsi porter par la proposition sur scène. Al Capone souffre d’une narration un peu légère, qui s’explique peut-être de la concurrence des nombreux spectacles de ces dernières années. Les histoires d’amours ont été tellement revisitées et sont au centre de quasiment tous les spectacles, que l’on a du mal à être encore surpris. La vraie force du spectacle réside dans ses charismatiques interprètes. Remontez le temps et laissez vous entrainer par le swing du début du siècle, claquez des doigts en rythme et vibrez sur les voix envoutantes d’artistes accomplis. Al Capone est l’occasion unique de découvrir Roberto Alagna dans un tout autre style, ou de retrouver Bruno Pelletier sur une scène française, et avec une musique live lors des 90 représentations prévues. Pour ne pas manquer ce rendez-vous, réservez dès à présent vos places ICI et retrouvez les musiques du spectacle sur toutes les plateformes d’écoute ainsi que sur CD disponible à l’achat.
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