Ça swingue au Palais Garnier ! Le Ballet de l’Opéra national de Paris rend hommage au chorégraphe George Balanchine et présente pour la première fois Who Cares ?, une chorégraphie pétillante sur les plus grands airs de Gershwin.
En danse classique, il existe plusieurs écoles de différentes nationalités. Parmi les plus réputées on compte l’école française (évidemment), l’école russe, l’école danoise… et également l’école américaine. Et parmi les grands maîtres de la danse classique américaine, deux noms se distinguent particulièrement : Jerome Robbins, à qui l’on doit les chorégraphies originales de West Side Story (entre autres), et George Balanchine. Ce dernier est à l’honneur d’un programme de ballets actuellement à l’affiche du Palais Garnier. Tout ça est très intéressant vous vous dîtes (ou pas d’ailleurs) mais pourquoi parler de danse classique américaine sur un site français consacré à la comédie musicale ?
Du Mariinsky à Broadway
Tout simplement parce qu’à l’instar de Jerome Robbins, George Balanchine a signé les chorégraphies de nombreuses comédies musicales. Né en Russie en 1904, il débute sa carrière auprès des Ballets Impériaux de Saint-Pétersbourg. D’abord danseur, il devient rapidement chorégraphe, et ses travaux, jugés trop avant-gardiste dans son pays natal, le poussent à migrer d’abord en Europe, puis aux États-Unis, où il cofonde en 1934 le New York City Ballet. Non content de révolutionner la danse classique, il profite d’être proche de Broadway pour apporter sa contribution au monde de la comédie musicale.
À cette époque la comédie musicale est en pleine évolution notamment grâce au succès de Show Boat : désormais les chansons sont pleinement intégrées au récit et font avancer la narration. La danse par contre, bien que très présente, est toujours reléguée au rang de divertissement. Quand George Balanchine chorégraphie On Your Toes en 1936, il intègre deux grandes scènes de ballet qui participent au dénouement de l’intrigue. Une première ! Les bases sont posées et Agnes De Mille et Jerome Robbins les emmèneront vers de nouvelles destinations avec respectivement Oklahoma ! et West Side Story (Tout ceci est raconté dans les grandes lignes, il faudrait un article complet pour bien entrer dans les détails).
Balanchine s'invite à l'Opéra
Les incursions à Broadway de George Balanchine trouvent échos dans certaines de ses œuvres plus classiques. C’est le cas dans Who Cares ? ballet entièrement chorégraphié sur les orchestrations des plus grands tubes de George Gershwin. Avec en toile de fond les grattes ciels de Manhattan, les danseur.euse.s enchaînent les prouesses techniques au son de tubes extraits de comédies musicales telles que Girl Crazy, Lady, Be Good ou encore Un Américain à Paris. C’est cette pièce classique/jazz qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris (et ce pourquoi nous avons poussé les portes du Palais Garnier).
Pour cette soirée Who Cares ? est couplé à Ballet Impérial qui ouvre la soirée, une œuvre beaucoup plus académique sur une partition de Tchaïkovsky. Le chorégraphe rend ici hommage à sa formation russe en mettant en scène un divertissement faisant références aux apothéoses des grands classiques du répertoire. Un programme équilibré sur le papier, montrant deux facettes très différentes de George Balanchine, faisant voyager entre son pays natal et son pays d’adoption.
Malheureusement la soirée a commencé un peu mollement. Le rideau se lève sur une belle rangée de tutus perlés et de pourpoints brodés. Un « wow » audible résonne dans la salle. Pourtant, sur scène, on sent que personne n’a envie de danser ce ballet. La chorégraphie, d’une difficulté redoutable, semble poser pas mal de problèmes et le corps de ballet passe toute la pièce à courir derrière la musique en tentant tant bien que mal de caser tous les pas. Il est peu aisé dans ces conditions de laisser libre court à l’interprétation.
Dans cet ensemble précautionneux, Héloïse Bourdon, dans le rôle principal, tire son épingle du jeu. Si elle paraît un peu fébrile lors de son entrée, elle trouve rapidement ses marques et danse sa partition avec beaucoup d’aplomb. Au-delà de sa technique assurée, elle nous raconte une histoire et nous emmène dans son univers. Elle réussit à mettre en relief les références aux grands ballets classiques, distillées par le chorégraphe, et évoque tour à tour la princesse Aurore, Raymonda ou Odette le cygne blanc (qu’elle a brillamment interprété en décembre). Malgré sa prestation impériale (c’est le mot), l’ensemble paraît besogneux. Effet avant-première ? Nul doute que les choses n’iront qu’en s’améliorant au fil des représentations.
I got rhythm, I got music…
Après l’entracte Who Cares ? apparaît comme une vraie bouffée d’air frais. On pourrait penser les danseur.euse.s moins à leur aise dans ce style beaucoup plus jazzy, mais iels semblent vraiment s’amuser dans cette pièce, et – c’est bête à écrire mais – ça change tout ! Les rictus de la première partie font place à des sourires généreux. Les artistes sont détendus, le public peut respirer et le spectacle commencer.
La première partie met bien en valeur le corps de ballet, en particulier un groupe de dix demi-solistes, cinq filles et cinq garçons, qui se croisent, se rencontrent, flirtent un peu avant de passer à autre chose tout en se dandinant joyeusement. Les jeunes talents de la compagnie sont parfaitement employés ici, Celia Drouy se démarque particulièrement avec son charisme naturel ainsi que la toujours lumineuse Bianca Scudamore. Ces deux danseuses auront d’ailleurs l’occasion, plus tard dans la série, de se frotter aux rôles de solistes de ce ballet, et on les imagine aisément dedans.
La seconde partie s’articule autour de trois pas de deux où un soliste masculin (Germain Louvet) papillonne autour de trois danseuses (Léonore Baulac, Valentine Colasante et Hannah O’Neill). Chacun.e y va également de sa petite variation, rivalisant de technicités. C’est là qu’intervient le célèbre solo « Fascinating Rhythm », immortalisé par Tiler Peck au Kennedy Center. Regardez un peu cette merveille, même Tom Hanks est impressionné.
Dans ce périlleux passage Léonore Baulac fait son retour à la scène après un an d’arrêt pour d’heureuses raisons. Si elle manque encore un peu d’endurance sur la fin, elle danse sa partie avec le détachement requis par le style chorégraphique et fait surtout preuve d’un joli lyrisme dans le pas de deux « The Man I Love ». Dans le quartet, Hannah O’Neill fait une forte impression. Cheveux lâchés, robe écarlate, elle danse grand avec beaucoup de générosité et se met le public dans la poche après son solo énergique sur « I’ll Build a Stairway to Paradise ».
Tout ce petit monde se retrouve pour un final enjoué sur « I Got Rhythm ». Si certain.e.s sont encore un peu trop sages dans leur interprétation, manquant le côté « show off » à l’américaine (qui viendra sûrement une fois qu’iels l’auront un peu plus dans les jambes), ce Who Cares ? par le Ballet de l’Opéra de Paris est une parenthèse enchantée dans cette grisaille hivernale. Le spectacle affiche malheureusement complet, mais des places sont régulièrement remises en vente sur le site de l’Opéra ainsi que sur la bourse aux billets officielle. Une belle occasion de (re)découvrir ce lieu mythique au son de mélodies frénétiques.