En 2018, MusicalAvenue assistait à la présentation d’un spectacle détonnant dans le milieu du théâtre musical : Bernadette de Lourdes. Cinq ans après, le spectacle affiche complet dans la grande salle du Dôme de Paris-Palais des Sports. Un succès mérité ?
Une sainte catholique pour héroïne
En ce dimanche après-midi, la porte de Versailles grouillait de spectateurs impatients de (re)voir Bernadette. Après un succès retentissant à Lourdes, le spectacle arrivait à Paris pour 6 représentations avant une tournée en France. A l’entrée, une fois son billet scanné, le spectateur reçoit un petit poisson en papier sur lequel est inscrit son « défi fraternel » du jour, c’est-à dire, une bonne action à réaliser : prendre soin d’un proche, aider une personne âgée… le ton est donné, c’est bien d’une sainte catholique dont va parler le spectacle.
Celui-ci commence par un générique qui présente toute l’équipe créative sur un instrumental qui nous plonge dans un univers sonore de pop-variété des années 2000. L’équipe derrière ce spectacle contient quelques noms bien connus : Roberto Ciurleo et Eléonore de Galard (Les Trois Mousquetaires ; Robin des Bois ; Je Vais t’Aimer) produisent le spectacle et ont confié le livret à Lionel Florence et Patrice Guirao : le duo derrière de nombreux spectacles des dernières années comme Les Dix commandements ; Robin des Bois ; les Trois Mousquetaires, etc. Quant à la mise en scène, elle est signée Serge Denoncourt, metteur en scène connu pour son travail avec le Cirque du Soleil.
Alors que défilent ces noms, derrière l’écran, on voit une jeune bergère qui promène un troupeau de moutons vidéo-projetés sur un écran. Cette introduction terminée, on retrouve Bernadette (car c’était elle) devant un commissaire de police peu coopératif qui écoute sans y croire le récit des apparitions qu’elle a aperçu dans une grotte. Le spectacle se construit ensuite par cette alternance entre le discours de Bernadette face aux institutions (policière, familiale, cléricale) et l’illustration des scènes passées dans la grotte.
Comment retranscrire une histoire de témoignage en spectacle musical ?
La comédie musicale raconte donc l’histoire de Bernadette Soubirous, fille d’une famille de meunier du sud de la France, connue pour avoir vu des apparitions mariales dans une grotte près de la ville de Lourdes. Le spectacle se concentre autour de la foi de la jeune fille face à une société qui ne croit pas ce qu’elle raconte et l’accuse de mentir. Du commissaire de police au curé, de ses parents jusqu’aux médecins, tous tentent soit de comprendre, soit de détourner Bernadette de son obsession pour cette grotte où elle retourne encore et encore, malgré les curieux et le désordre social qu’elle cause.
Malgré une gestion du rythme inégale (la fin de l’acte 1 arrive sans prévenir) et quelques incohérences, le livret déjoue habilement le risque de n’être qu’une galerie de portraits : la narration se construit autour de la figure de Bernadette et l’impact de ses paroles sur la vie de toute sa famille à partir de 1858, les sauts dans le temps permettent de retracer les événements passés sans alourdir le récit.
Une mise en scène soignée et des décors ingénieux
Pour illustrer la multitude d’espaces, Stéphane Roy a imaginé un décor très ingénieux, d’une efficacité redoutable : de grands murs de pierre mobiles coulissent pour représenter tantôt une caserne, tantôt un mur de maison avec cheminée, une église, les remparts d’une ville, etc. Parfois, ces panneaux se replient pour laisser apparaître la grotte digne d’un décor cinématographique, copie fidèle de la véritable grotte de Lourdes. Les scènes où Bernadette prie devant le creux de la roche où se trouve « Aquèro » (nom qu’elle donne à la figure de ses apparitions) reprennent les représentations classiques de la sainte dans l’histoire de l’art.
La scénographie accorde une place importante à la vidéo pour figurer le village ou la campagne française. Si ce n’est quelques projections assez kitchs (comme la sortie de scène de Bernadette qui monte au ciel de manière un peu trop littérale), l’usage des projections est en général bien dosé et permet de contrebalancer l’unicité des éléments de décor tout au long du spectacle.
Les quelques numéros d’ensemble forment de beaux tableaux avec un coup de cœur pour « La rumeur » dont la belle mise en scène et la multiplicité des voix donnent une véritable épaisseur au propos. Profitons-en pour saluer l’occupation intelligente de la grande scène du Palais des Sports tout au long du spectacle : les personnages n’apparaissent pas perdus dans l’immensité comme cela est souvent le cas. Une jolie réussite pour un spectacle qui n’est pas dansé (à l’exception d’une marche digne des Misérables lors du numéro « Allez dire » qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe) !
Des voix magnifiques
Musicalement, le spectacle ne surprend pas. On y reconnaît la touche de Grégoire autant dans les mélodies que les paroles. Au fil du spectacle, certains thèmes sont judicieusement repris avec de nouvelles paroles marquant l’évolution des opinions avec la reprise de « Ils veulent un nom ». La partition, sans crescendo ni climax, peine cependant à se renouveler au cours des deux heures, les paroles sont souvent répétitives et les orchestrations très emphatiques desservent certains morceaux plus intimes. Le spectateur se souviendra surtout en sortant des deux morceaux répétés à trois reprises dans la dernière demi-heure du spectacle : le single « Madame » (acclamé chaleureusement quand Eyma l’interprète la première fois) et le numéro de rappel « Allez dire ».
Heureusement, ces musiques sont servies par des voix superbes. Eyma campe une Bernadette charismatique. Repérée dans The Voice Kids il y a quelques années, elle chante impeccablement et partage au public l’éventail des sentiments qui la traversent, son assurance, ses doutes, et ses peurs. Une belle révélation pour le monde du spectacle musical !
Il en est de même pour les interprètes de tous les autres rôles secondaires du spectacles (avec une affection particulière pour David Bán dans le rôle du père). Il est rare de voir une distribution si impeccablement choisie : chacun est à sa place et chante parfaitement les airs qui lui sont confiés. Cela est d’autant plus important que le spectacle est principalement composé de solos ou de duos : il y a peu de numéros de groupe où un mauvais chanteur pourrait se cacher.
Avec son sujet audacieux, le spectacle a définitivement trouvé à Paris des spectateurs qui l’attendaient et ressortent enthousiastes de la représentation, le sourire aux lèvres, sifflotant les chansons. Avec ses références religieuses, il peinera peut-être davantage à élargir son public au-delà de la sphère catholique, mais il semble prêt à relever le défi : le spectacle se prépare déjà pour une tournée internationale (Pologne, Italie, Amérique latine et Etats-Unis). Quant aux Français qui regretteraient de l’avoir manqué, il part en tournée en France et reviendra à Paris en juin prochain.