Critique : « Chère Insaisissable » au Théâtre de Lucernaire

Temps de lecture approx. 4 min.

C’est dans l’écrin intimiste du Lucernaire que Sophie Tellier nous invite à découvrir le destin fascinant de Liane de Pougy, courtisane et demi-mondaine du début du XXe siècle, dans un spectacle musical qu’elle mène avec panache.

Sophie Tellier est une artiste rare dans le paysage du théâtre musical français. Danseuse de sa première profession, elle travaille avec des grands noms de la danse, tels que Roland Petit ou Redha, et se fait connaître d’un public plus large en chorégraphiant pour Mylène Farmer. Mais elle est également ce qu’on appelle une véritable triple-threat. Comédienne et chanteuse accomplie, elle s’est illustrée dans de nombreuses grandes productions sous la direction d’Alain Marcel ou encore de Jérôme Savary, a incarné la sensuelle Carla de Nine aux Folies Bergère face à Jérôme Pradon et s’est même glissée dans la peau de Camille Claudel dans Camille C. de Jonathan Kerr (unique lauréat du Molière « Inattendu »). De ce dernier spectacle s’ensuit une longue collaboration avec le metteur en scène Jean-Luc Revol. C’est donc tout naturellement qu’elle fait appel à lui pour ce spectacle.

Grandeur et décadence d'une courtisane

Avec Chère Insaisissable, Sophie Tellier ajoute une nouvelle corde à son arc, celle de l’écriture. Pour ce premier pas, elle choisit de consacrer son spectacle à Liane de Pougy, née Anne-Marie Chassaigne. Il faut dire que le destin de cette femme est fascinant. Alors qu’une vie toute tracée d’épouse de militaire se dessinait pour elle, elle devint l’une des courtisanes les plus en vue de la Belle Époque, côtoyant les plus grands artistes du moment et collectionnant les amant.e.s, avant de devenir princesse et de finir sa vie en religieuse. Matière idéale pour un seule en scène.

Sophie Tellier dans « Chère Insaisissable » © Anne Gayan

Accompagnée de son pianiste, la comédienne nous embarque alors dans une soirée hors du temps et ce dès l’arrivée au théâtre. Située au dernier étage du Lucernaire, la salle Paradis a toujours eu des airs de grenier. Cet aspect est ici renforcé par la scénographie, finalement assez épurée, nous montrant simplement un miroir, un lustre, quelques mannequins et une grande peinture, tels des objets abandonnés qui prendront vie petit à petit. Avec son teint diaphane, sa coiffure impeccable, sa taille corsetée sertie d’un jupon nacré, Sophie Tellier nous apparaît comme une magnifique poupée de porcelaine animée.

Une interprétation remarquable

La comédienne se glisse à merveille dans la peau de cette femme pleine de vie et de gouaille. En la voyant se mouvoir avec une grâce infinie (tout dans ses mouvements laisse voir la superbe danseuse qu’elle est) on comprend aisément que le Paris mondain soit tombé à ses pieds. Elle fait également preuve d’une grande forme vocale lui permettant d’interpréter un registre musical très varié, allant de Joséphine Baker à Juliette en passant par Boris Vian ou encore Gainsbourg. Le tourbillon que fut sa vie est habilement reconstitué par la mise en scène au cordeau, d’une simplicité élégante, de Jean-Luc Revol. Mention spéciale pour le très beau et intelligent travail sur les costumes, réalisé par Jef Castaing, venant sublimer la prestation de l’interprète. Mais c’est avant tout le texte qui retient notre attention. Ce dernier, d’une rare richesse, a été publié en 2019 et donne envie de s’y replonger une fois le spectacle terminé pour en apprécier les multiples nuances.

Au-delà des moments de gloire et de luxure, c’est dans les moments d’introspection que la narration se fait la plus marquante. Il est presque regrettable que ces moments, principalement relégués à la fin, ne soient pas plus développés car ils apportent une respiration bienvenue au milieu de l’effervescence ambiante. Surtout que la comédienne se montre très touchante dans ses instants dramatiques qu’elle interprète avec beaucoup de sensibilité. La voir assise sur la méridienne, dans ses plus beaux atours, nous donne envie de la voir en Désirée Armfeldt dans A Little Night Music (oui, c’était la minute Sondheim).

Chère Insaisissable ©AnneGayanWeb
Chère Insaisissable. Sophie Tellier et Luc-Emmanuel Betton ©AnneGayanWeb

Il ne faut pas oublier son acolyte Luc-Emmanuel Betton (en alternance avec Djahîz Gil). Ce dernier l’accompagne au piano lors des interludes musicaux, mais il interprète également, avec abattage, les nombreux personnages qui gravitent autour de la superbe liane.

En somme, ce spectacle est une belle parenthèse hors du temps en compagnie d’une comédienne que l’on retrouve avec grand plaisir. C’est également l’occasion de découvrir une figure passionnante ayant traversée les époques, parfois au gré du vent mais toujours avec une folle envie d’être elle-même.

Chère Insaisissable
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Romain Lambert

Membre de Musical Avenue depuis juin 2012, je suis passionné bien évidemment de comédies musicales mais aussi de ballets. Je passe la majorité de mes soirées entre l'Opéra Garnier, Bastille et le Théâtre du Châtelet. Je voue un véritable culte a Stephen Sondheim et j'essaye de chanter "Glitter and be Gay" sous la douche.
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