Après plusieurs semaines de répétitions à l’Opéra de Massy, la compagnie Génération Opéra a présenté au public francilien Company, la comédie musicale de Stephen Sondheim dans une toute nouvelle et enthousiasmante production qui partira en tournée dans toute la France la saison prochaine.
In comes company!
Plongée dans les années 1970 sur le plateau de l’Opéra de Massy où le public fait la connaissance de Robert (Bobby pour les intimes) qui atteint, sans grand enthousiasme, les 35 ans. Pour l’occasion, ses amis lui ont organisé un anniversaire surprise, mais au moment de souffler les bougies d’anniversaire et de faire un vœu, Robert s’arrête : que souhaite-il exactement ? Si tous ses amis ici présents le poussent vers le mariage, est-ce vraiment ce qu’il désire ?
La construction de la pièce peut surprendre les amateurs d’une narration très linéaire. Company est imaginée davantage comme un patchwork de tableaux, chacun présentant une vision du couple et du mariage, et qui viennent étayer la réflexion et la doutes de Bobby. Si le sujet est très conceptuel, l’œuvre n’en est pas pour autant dépourvue de l’espièglerie et l’humour des œuvres de Sondheim. La scénographie imaginée par Barbara De Limburg reflète et appuie avec brio cette abstraction : de grands panneaux de formes géométriques colorées inspirés de l’art abstrait des années 1970. Ce choix de décors – qui se mêle à une utilisation modérée et intelligente de la vidéo – trouve l’équilibre juste de l’épure et de la simplicité sophistiquée qui caractérisent toute cette œuvre.

Ce tableau visuel est complété par des costumes inspirés, eux aussi, de la mode des années 1970 : ils permettent, par un code couleur efficace, d’identifier rapidement chaque couple de personnages. Car ce sont pas moins de 5 couples qui évoluent autour de Bobby, sans compter ses trois petites amies. Quel bonheur d’avoir autant d’artistes sur le plateau ! Et quels artistes ! Cette œuvre incroyable aurait pâti d’une distribution médiocre. Heureusement, il n’en est rien : le public amateur de comédie musicale aura le plaisir d’y retrouver des interprètes qu’il connaît bien.
Une distribution en or pour des personnages hauts en couleurs
Gaëtan Borg (La Mélodie du bonheur, Le Jeu d’Anatole ou Les manèges de l’amour) campe le rôle principal de Bobby avec un détachement et une nonchalance qui accentuent le côté tourmenté d’un personnage en quête de repères. Entouré d’amis aux forts tempéraments, il apparaît calme, parfois un peu distant. Il faut dire que le premier couple chez qui il se rend, Harry et Sarah, est explosif. Chez eux, les reproches et les non-dits bouillonnent derrière leur airs de convenance. Ils sont joués par les redoutables et hilarants Marion Préïté (Contre-temps, Come from Away) et Arnaud Masclet (My Fair Lady, Elisabeth).
Le couple, tout en félures derrière les apparences, de Peter et Susan est interprété par deux magnifiques voix : Lucille Cazenave et Joseph de Cange (Les Misérables, Joséphine Baker, le musical). Ils touchent les spectateurs par la délicate et fragile relation qu’ils campent, aux antipodes d’un autre mariage : celui de David et Jenny. Eva Gentili (Les Demoiselles du téléphone, Norma) et Loïc Suberville campent ces deux grands adolescents père et mère de famille. S’ils n’ont jamais tout à fait accepté les responsabilités d’adultes, et un joint à la main, ils n’encouragent pas moins Bobby à se marier dès que possible. Cette scène comique tout autant que pleine d’intelligence philosophique, se conclut par le trio des trois petites amies de Bobby : April (Camille Nicolas), Martha (Neïma Naouri) et Kathy (Myriana Hatchi). Toutes les trois incarnent, avec authenticité et humour, des femmes excentriques et inoubliables dans leur genre.

Les musiques de Sondheim peuvent être de véritables morceaux de bravoure : « Not Getting Married Today » est l’un deux : la chanson d’Amy – la future mariée complètement angoissée à l’idée de se marier avec son conjoint Paul (Sinan Bertrand) – est interprétée par Jeanne Jérôme (Starmania) avec toute l’hystérie nécessaire à un tel rôle et qui réussit à provoquer les rires du public malgré la barrière de la langue anglaise.
Sans oublier le couple Larry et Joanne campés par les doyens Scott Emerson (Into the Woods, Sunday in the Park with Georges) et Jasmine Roy (Châtelet Musical Club, Wonderful Town) qui nous offre un « Ladies who Lunch » acide et poignant comme il se doit.
Ces artistes ne sont pas uniquement d’excellents chanteurs mais ils dansent également. Si Company n’est pas aussi chorégraphiée que d’autres comédies musicales, la mise en scène a indéniablement perfectionné l’occupation de l’espace comme un véritable ballet. Àcela s’ajoutent tout de même quelques numéros dansés dans un style très Broadway. On retiendra notamment une chorégraphie inspirée de celle de Tommy Tune pour les Will Rogers Follies à la fin de l’acte 1.

Les délices d’une partition mise en valeur
Toute la compagnie déborde d’une énergie et d’une complicité communicative qui met particulièrement en valeur la superbe partition de Stephen Sondheim. Ils sont, pour cela, soutenus par un orchestre entier : l’Orchestre national d’Île-de-France – ce qui est suffisamment rare dans la comédie musicale pour le souligner. Quelle chance d’avoir une orchestration aussi grandiose pour une œuvre aussi riche !
Seul petit regret : le choix de ne pas avoir soit gardé les dialogues en anglais, soit traduit les chansons en français. Même si tout est fait pour le fluidifier, le changement de langue crée une frontière artificielle en récit et musique.
Cette production française de Company est une très belle adaptation, servie par une distribution hors pair et qui rend hommage à l’œuvre de Sondheim. Elle vous promet une belle soirée de (re)découverte à tous les âges de la vie !
Si vous l’avez manqué à Massy et Compiègne, pas de soucis : le spectacle part en tournée la saison prochaine à travers la France avant de venir à Paris au Théâtre du Châtelet. Une occasion à ne pas manquer !