Contre-temps est une comédie musicale que nous avions sélectionnée parmi nos découvertes et coups de coeur du dernier Festival Off d’Avignon. Le spectacle est en ce moment à l’affiche du Studio Hébertot à Paris et confirme tout le bien que nous en avions pensé.
Un biopic à mi-chemin entre conférence et mise en abîme
Contre-temps, c’est l’histoire d’un homme, François Courdot. Ce chef d’orchestre d’opérettes débarque à New York dans les années 1940, où il découvre la comédie musicale de Broadway et le jazz. Ami de Leonard Bernstein, Cole Porter, Irving Berlin, il côtoie les plus grands de l’époque et dirige des spectacles dans des lieux très prestigieux. Pourtant, il est aujourd’hui très largement méconnu en France, son pays d’origine, mais également aux États-Unis. Pourquoi ?
Ce n’est pas sur Wikipedia que vous trouverez la réponse, mais bel et bien en vous rendant au Studio Hébertot pour le découvrir. Peu d’informations, de partitions ou d’enregistrements de l’époque sur la vie de François Courdot ont été conservés et c’est malgré tout à partir de ces maigres ressources que le duo Eric Chantelauze-Samuel Sené (Comédiens! ; L’Homme de Shrödinger) a réussi à faire preuve d’une créativité folle pour imaginer la vie trépidante de cet homme en quête de sens et de reconnaissance.
Tous les arrangements ont été inventés par Raphaël Bancou, musicien virtuose qui s’éclate sur scène à jouer des morceaux pleins de vie et de style. Grâce à une écriture et une mise en scène habiles qui orientent le spectacle à mi-chemin entre une conférence et une mise en abîme, Raphaël Bancou a l’opportunité de décrypter la complexité des compositions de François Courdot auprès des spectateurs, avec l’aide de deux « conférencières » interprétées par Marion Prëité (lauréate du Trophée de la Comédie Musicale – Révélation féminine en 2018 pour Comédiens!) et Marion Rybaka (Amour, Swing et Beauté).
Hélas toujours à contre-temps, François Courdot était à la fois très en avance sur son temps (avec des accords et un mix de styles très différents !) et peu sensible à ce que souhaitait le public de l’époque, à la recherche de divertissement et d’optimisme. En même temps, après deux guerres mondiales, comment ne pas compatir avec cette envie ? Des scènes pleines d’humour de Contre-Temps illustrent bien cela, à l’image d’un François Courdot complètement ivre lors d’une représentation de Funny Girl, qui « sabote » la chanson phare de fin du 1er acte (« Don’t rain on my parade ») sous prétexte que la création artistique devrait davantage être sur des sujets sociétaux engagés et non-éducolorés.
Contre-temps, UNe pépite au même titre que Comédiens! ?
Loin de nous l’idée de vouloir comparer 2 spectacles très différents, pourtant nous ne pouvons pas nous empêcher de tisser des liens entre ces 2 œuvres du duo Chantelauze-Sené. Oui, comme Comédiens!, Contre-temps est sans nul doute une pièce musicale très réussie sur tous les plans. Écriture, mise en scène, interprétation, lumière, scénographie, … difficile de trouver des défauts à ces spectacles qui sont conçus et montés dans des théâtres de taille modeste, avec peu de décors et de costumes, et qui parviennent à nous captiver grâce à la force de leur storytelling et un rythme effréné. Ici, grâce à deux bancs mobiles (à l’image d’une poutre-balançoire), un piano que vous verrez carrément à la diagonale et des déplacements astucieux des 2 artistes féminines qui incarnent plusieurs personnages, nous sommes embarqués dans une mise en mouvement perpétuelle à travers les décennies de la vie de François Courdot.
Musicalement, à l’inverse de Comédiens! qui proposait exclusivement des chansons et compositions 100% originales, il s’agit ici pour Contre-Temps plutôt d’arrangements de morceaux très connus (« A Boy Like That » de West Side Story ; « Let the sunshine in » de Hair, d’opérettes d’Offenbach…) ou de compositions de François Courdot lui-même. Nous serions curieux de savoir ce que le spectacle aurait pu donner avec le parti pris de créations originales, en lieu et place d’une multitude d’extraits musicaux (une quarantaine au total) formidablement interprétés par le duo Marion Preïté-Marion Rybaka qui nous ont bluffées par leur capacité à basculer d’un style musical à un autre sans difficulté apparente. Leur duo « L’amour est un bouquet de violettes » est d’ailleurs pour nous déjà iconique !
Si Contre-Temps peut décontenancer par son alternance entre mise en abîme et conférence, le spectacle est suffisamment bien pensé et conçu pour nous tenir en haleine jusqu’à une certaine révélation finale qui ne laisse pas insensible. A travers les succès et revers de François Courdot, ses rencontres et séparations, il est impossible de ne pas transposer les difficultés rencontrées à l’époque par ce chef d’orchestre dans notre monde d’aujourd’hui. Et c’est là toute la force de Contre-Temps, une pépite dans son genre.
Comme nous, laissez-vous emporter par l’énergie des 3 artistes sur scène, tous d’une classe folle, pour suivre les traces de François Courdot. Chef d’orchestre français qui rêvait de composer pour Broadway, sa vie singulière et rocambolesque ne vous laissera pas indifférent(e) !