Dominique Dimey nous raconte cet inconnu que fut ce père qu’elle rencontra à ses 20 ans dans le Montmartre des années 70. Entre récital et théâtre, nous repassons en chansons leur quelques années de relation, avant le décès du célèbre parolier et ami d’une variété française qui n’est plus. Entre sobriété et sincérité, un joli moment de vie nous est conté à l’Essaïon.
Cette histoire commence par une rencontre du destin. Celle d’un homme, poète et parolier français reconnu et celle d’une jeune femme d’à peine 20 ans exilée à Montmartre pour grandir en tant qu’artiste. Elle le recroisera plusieurs fois avant de comprendre, au détour de conversations avec sa mère, qu’il est le père jusque là inconnu. S’en suivront quatre années à construire avec pudeur leur relation père-fille.
Bernard Dimey, c’est Paris et plus spécifiquement le Montmartre et ses cabarets. « Paris par cœur » introduit le récit de Dominique Dimey avec beaucoup d’élégance et de poésie. Plus que les coulisses d’une histoire familiale et ses secrets, le spectacle s’attache à mettre à l’honneur un artiste et faire revivre son œuvre prolifique en chansons. « Syracuse », « Mon truc en plumes » : c’est lui.
Sous l’œil de Bernard Dimey et de son portrait peint grandeur nature, Dominique Dimey est accompagnée selon les soirs par l’accordéoniste Laurent Derache ou le pianiste Charles Tois, et renoue alors avec ses 20 ans. L’Essaïon est un fabuleux écrin pour accueillir ces flash-backs tantôt contés, tantôt chantés avec beaucoup de sobriété. La mise en scène de Bruno Laurent est tout en douceur et accompagne le jeu calme et nostalgique de son artiste.
Nous avons été parfois étonnés par la froideur du récit et de la distance avec laquelle Dominique Dimey raconte l’histoire avec ce père qu’elle appelle Bernard. Il s’agit plutôt d’admiration, de réconciliation et d’adoption réciproque avec quelques années de retard. Touchant.
A la fin de la représentation, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Dominique Dimey. Nous vous partageons notre conversation.
Musical Avenue (MA) : Bonsoir Dominique. Pouvez-vous nous parler de votre spectacle ?
Dominique Dimey (DD) : Bien sûr. Beaucoup de personne ne connaissent pas leur père, c’est malheureusement assez banal. J’ai vécu pendant 20 ans sans père et il m’arrive cette histoire : je me retrouve avec un père hors normes. C’est vrai qu’à 20 ans c’est un choc très fort. Il y a une partie chouette certes, car je vais être en connexion avec ce père avec lequel je n’aurai rien vécu avant grâce à la poésie et la chanson. Ce sont les mots qui vont être notre fil.
Mais je vais mettre beaucoup d’années à digérer tout cela. J’ai mis cela de côté et il y a quelques années, j’ai voulu absolument raconter cette histoire pour moi et parce que beaucoup de gens peuvent s’identifier dans cette quête du père. Et puis surtout, je trouvais qu’il fallait que j’emmène les gens dans l’univers de Bernard Dimey, dans la poésie de cet homme, dans cette truculence qu’il avait. Mon historie est aussi l‘œuvre de cet homme que je n’ai pas envie qu’on oublie.
MA : Lors de cette rencontre, vous êtes-vous retrouvée en lui ou cela a été un choc de différences ?
DD : C’était compliqué car bien qu’assagie quand je l’ai rencontré, c’était un monde difficile. Je ne savais pas comment faire avec un père et je me mettais en retrait. Nous nous sommes reconnectés quand il a commencé à me lire ses poèmes. Quand il m’a lu Giono, nous avions les larmes sur les mêmes instants, une même sensibilité. Il m’a fait découvrir le fado, je vibrais comme lui vibrait. Je pense que c’est vraiment sur la musique, les chansons, les mots que nous nous sommes trouvés. Pour le reste, je ne l’ai jamais appelé papa, je ne l’ai jamais pris dans mes bras.
Ce qu’on a partagé à travers les auteurs, les rencontres, il était heureux de le faire avec moi. C’était un être à vif. Il faisait partie de cette frange de gens qui étaient des blessés, des écorchés vifs et j’étais touchée et émerveillée. J’ai partagé avec lui mais avec de la distance.
MA : On ressent effectivement cette distance. Ce n’est pas une émotion commune dans une relation père-fille. Il y a une espèce de froideur dans votre narration et interprétation. D’ailleurs vous l’appelez par son prénom et jamais papa
DD : Je n’ai jamais dit ce mot. Il était très dur. Tout était ironie et autodérision. Il venait me voir au théâtre et se moquait. C’était sa pudeur. A 20 ans, je n’avais pas la distance pour comprendre. Je prenais ce qu’il y avait. Je suis en paix aujourd’hui. Surement que je lui en ait voulu. Quand vous grandissez jusqu’à 20 ans sans père, votre inconscient vous dit que c’est comme si vous n’étiez pas assez bien pour qu’il vous reconnaisse. Il n’a pas voulu de moi. Il a fallu que je digère cela.
MA : Est-ce que vous avez pu parler avec lui de votre sentiment de non reconnaissance ?
DD : Non. Ce qui a été super c’est quand j’ai rencontré sa maman dont je me suis occupée pendant des années. C’était spécial de me retrouver avec des gens que je n’avais jamais vus. Maintenant, tout cela est apaisé. Ce qui es important est de raconter cette histoire et d’amener les gens à travers les poèmes. C’est un livre que je tourne.
MA : Y a-t-il une part de fiction dans votre récit ?
DD : Non. J’alterne soit avec un pianiste soit avec un accordéoniste. Dans cette version avec l’accordéon, je dis qu’il m’emmène au Lapin Agile mais en vérité, il m’a emmené Chez Michou ce soir-là. C’était super. Il y a des raccourcis dans le temps mais tout n’est que vérité.
MA : Est-ce que le spectacle est amené à évoluer ?
DD : Non. C’est un spectacle qui a été crée à Avignon. Avec le metteur en scène, on s’est posé la question de rajouter de la vidéo et de mettre plus en lumière Montmartre mais nous avons préféré le garder dans la sobriété. On l’a joué dans une grande salle, et ça fonctionne bien aussi, ça fait exister les lieux différemment.
MA : Merci Dominique
DD : Merci Musical Avenue
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