A l’image de Cabaret portant l’intrigue dans l’Allemagne nazie des années 30 ou d’Un été 44 s’axant sur les épisodes peu connus de la seconde guerre, Illusions Nocturnes (présenté en 2019 au Festival Off d’Avignon) parcourt un sujet déjà bien traité mais peu importe. Cela fonctionne : le public est transporté dans un Montmartre de l’avant-guerre avec pour toile de fond, la montée du nazisme.
Paris, ville lumière
Paris, année 1939. De retour de Broadway et des rêves plein la tête, Claude Hermon rachète une ancienne imprimerie dans le but de créer le cabaret de ses rêves. Il n’a aucun sous en poche mais un trésor précieux : les costumes de sa mère qui n’aura jamais pu faire carrière à Broadway. Il ne reste plus qu’à recruter l’équipe qui l‘accompagnera dans son projet un peu fou.
Les 6 personnages sentent bon les films de Claude Lelouche (Les uns et les autres) : destins croisés, histoires d’amour, rêves brisés… On y retrouve un patron visionnaire, un accessoiriste à l’âme de poète, une jeune femme polonaise chanteuse de métro, un peintre/décorateur, une ex prostituée devenue serveuse et le méchant de l’histoire. Car oui, il en faut toujours un. A la limite de la caricature, il n’en fallait pas moins pour donner de la force et du relief au très joli récit de Pascal Lacoste.
La scénographie minimaliste arrive à recréer l’atmosphère recherchée et nous plonge habilement dans un Paris oublié. Des tentures blanches dévoilent le temps des 85 minutes de théâtre, le fameux cabaret comme lieu d’espérance commune.
La mise en scène signée Juliette Moltes est quant à elle soignée et rythmée. La multiplication de petites scènes aide à la douce montée de l’émotion et accompagne judicieusement l’urgence de vivre des protagonistes, créant une empathie quasi immédiate dès leur entrée en scène.
On vit à cent pour cent la poursuite de leurs illusions (perdues ?) en espérant qu’elles puissent devenir leur prochaine réalité.
Un spectacle musical d’une émotion folle
L’émotion au cœur de la narration est portée par toutes les disciplines du genre. Le compositeur et concepteur sonore, Romain Trouillet (De Gaulle, Les Producteurs, La Machine de Turing) réussit une très belle partition (trop courte à notre goût) et conforme à notre attente. La musique est comme teintée d’une époque et permet l’expression de chacun sur sa plus belle tonalité. Il faut dire que toute la troupe pousse la chansonnette mais pas que.
Accompagnant la dizaine de chansons présentées, les lumières de Thibaut Hok sont d’un bel effet prônant des teintes vieillies du cabaret Les Mandragores ou d’un coucher de soleil le temps d’un duo romantique. On se croirait dans une carte postale. La scène de révélation finale à la bougie est d’une sincérité et intimité terrifiantes.
Le travail de Sebastien Théodon Salardenne est aussi une belle réussite. Les petites parties dansées sont la belle surprise du spectacle nous donnant du baume au cœur et insufflant un maximum d’énergie positive. On en viendrait même à oublier que les jours sombres sont à venir.
Une formidable troupe d’artistes (qui se relaient de soirs en soirs) accompagne le sujet. Ils portent l’histoire avec instinct et naturel. C’est toujours bluffant d’assister au travail de comédiens qui finalement, ne font plus qu’un avec leur personnage. Ils jouent, dansent et chantent très bien. Avec sincérité et justesse, ils offrent au public un moment de théâtre de qualité et de grandes émotions. C’est peut-être ça finalement le but de tout cela.
C’est un spectacle ambitieux et authentique que nous avons eu le plaisir de découvrir à A la Folie Théâtre. Nous ressortons émus et nostalgiques du Paris d’avant-guerre dans lequel tout semblait possible. Bousculés par les vies de chacun, comment ne pas penser à tous ces destins et rêves stoppés par une guerre qui aura marqué plusieurs générations. Dans un certain sens, Illusions Nocturnes poursuit le devoir de mémoires perpétué par le spectacle vivant comme témoin d’une époque. Merci tout simplement.
Illusions Nocturenes
A la Folie Théatre, 6 Rue de la Folie Méricourt 75011 Paris
Du 3 février au 09 avril 2022 Les Jeu/Ven/Sam à 21h30
Avec : Yoann Berger ou Julien Mior, Iliès Bella ou Romain Duquaire, Lucile Bodin, Tatiana Matre ou Fanny Delaigue, Pascal Lacoste, Benjamin Thomas
Auteur : Pascal Lacoste ; Metteur en scène et collaboratrice à l’écriture : Juliette Moltes ; Compositeur : Romain Trouillet ; Création lumière : Thibaut Hok ; Photographes : Dimitri Klosowski / Léa Corbex