Colette, Cookie Mueller, Joséphine Baker… Chaque théâtre parisien accueille à tour de rôle son biopic scénique d’une grande artiste. Le Théâtre du Rond-Point a notamment choisi de présenter un spectacle étonnant autour de la figure de Juliette Gréco.
Juliette Gréco au pluriel
Le noir se fait dans la salle. Un maître de cérémonie entre et nous demande « Qui était Juliette Gréco ? ». Des spectateurs bredouillent « une chanteuse », « une actrice », « elle était comme elle était », « je ne sais pas ». Il fait finalement monter deux spectatrices sur scène et leur demande d’incarner Juliette Gréco, sur scène. Bredouillantes et perdues, elles se prêtent quand même au jeu et chantent un extrait de « Déshabillez-moi »… avant de quitter leur costume de spectatrices et de reprendre leur place de comédiens.
Comment figurer la multiplicité des identités d’une artiste, comment embrasser la pluralité des images et souvenirs qu’elle suscite ? Tout simplement, en dédoublant cette artiste. Sur scène, Juliette Gréco n’est pas interprétée par une, mais par deux, puis trois comédiens.
Le spectacle se construit comme un interrogatoire : le maître de cérémonie interroge violemment Juliette Gréco, incarnée par les deux acteurs. Il revient pêle-mêle sur la personnalité tranchée de l’artiste, son enfance avec une mère absente, ses mois en prison, les années à Saint-Germain-des-Prés dans les hautes sphères intellectuelles ou ses différentes réputations. Les deux-en-une Juliette répondent avec verve, passion, contenance ou mépris, cherchant avant tout l’authenticité d’une femme qui, nous le comprenons vite, était difficile à cerner.
Mais alors, qui était Juliette Gréco ?
Les deux interprètes de Juliette, Elsa Canovas et Geoffroy Rondeau, sont convaincants dans leur complémentarité : d’un côté une Juliette Gréco insolente et vive, le feu à l’esprit ; de l’autre, une Juliette Gréco plus calme, distante et lucide sur son passé. Toutes les deux sur la défensive, cherchant à fuir les cases où l’on veut les enfermer, elles offrent également de belles harmonies musicales aux chansons de Brel ou Gainsbourg.
Car il n’est pas possible de monter un spectacle sur Juliette Gréco sans musique. Raphaël Bancou (Contre-temps, Joséphine Baker), accompagne les interprètes tantôt au piano, tantôt à la trompette ou à la guitare. Il a également la charge des – pas toujours très heureux – bruitages. Ensemble, ils reprennent les grands airs de Gréco comme « Un petit poisson, un petit oiseau » ou « Ne me quitte pas ». L’introduction de ces chansons est bien menée, mais on regrette qu’elles ne soient pas plus nombreuses et plus variées car on ne découvre finalement rien au sujet de son répertoire au cours du spectacle.
Si le spectacle commence de manière intéressante et prometteuse, il s’essouffle rapidement et s’enferme dans une réflexion alambiquée sur l’impossibilité de définir Juliette Gréco. Et si la réponse du spectacle à la question « Qui était Juliette Gréco ? » est « Nous sommes tous Juliette Gréco », ce n’est pas le sentiment qu’a le spectateur en sortant. Ce dernier a davantage l’impression de ne rien connaître de plus de cette figure, ni humainement, ni musicalement. Malgré un parti pris audacieux, de belles interprétations des comédiens et une scénographie équilibrée, le spectacle Je suis Gréco ne parvient donc pas à nous embarquer aussi loin qu’il aurait pu.