C’est l’histoire d’une rose qui pousse dans la nuit. Celle de Rose Ouellette, alias La Poune, une figure légendaire du patrimoine culturel québécois. Icône de l’humour et pionnière à une époque de grande noirceur, La Poune a beau avoir été très célèbre, sa vie personnelle demeure largement méconnue. C’est précisément cette facette que le théâtre musical original La Géante a choisi d’explorer et de mettre en lumière.
Et quelle réussite ! Véritable pépite, La Géante a de quoi rendre fiers les Québécois. Cette nouvelle proposition du Théâtre de l’Œil Ouvert a le mérite d’avoir été créée dans la belle province, mais aussi de s’ancrer dans la culture et l’histoire de celle-ci. Innovante, rythmée, drôle et touchante, elle n’a certainement rien à envier aux productions de Broadway. Mettant en scène une personnalité plus grande que nature, ce spectacle est lui-même grandiose, relevant avec brio plusieurs défis artistiques. Il repousse les limites de la scène, traverse différentes époques et suscite des émotions allant du rire aux larmes. Véritables métamorphes, tous les artistes de la troupe incarnent plusieurs personnages, nous gâtant au passage de leurs talents vocaux.
La vie de La Poune est peut-être au cœur du spectacle, mais elle est habilement imbriquée dans le contexte des diverses décennies présentées, sans suivre une route conventionnelle.
La reine du burlesque
« Ce n’est pas parce qu’on est petit, qu’on ne peut pas être grand ». Ce dicton semble avoir été créé pour Rose Ouellette. Pendant plus de sept décennies, cette toute petite femme a bravé les interdits et les préjugés pour rassembler les gens autour d’un fou rire. Audacieuse et visionnaire, la reine du burlesque a marqué l’histoire en devenant la première femme en Amérique du Nord à diriger deux théâtres. Refusant d’être le faire-valoir d’un homme dans un duo comique, elle s’est imposée elle-même en clown, attirant le peuple au théâtre.
Sans tomber dans la caricature, Gabrielle Fontaine (Fame) nous offre une Rose comique et adorable. Son énergie débordante rappelle sans conteste celle de La Poune et sa chanson « Vous faire rire c’est ma vie » est un ver d’oreille instantané. Il faut dire que Geneviève Beaudet et Audrey Thériault ont su mettre en mots et en musique une palette d’émotions, allant de la tristesse à l’espoir, dans chacun des titres de l’œuvre qui, réunis, tissent la trame émotionnelle riche et nuancée de la vie de La Poune et d’un grand pan de l’histoire du Québec.
L’univers du Faubourg à m’lasse
Poétique, mystérieuse, nostalgique… La Géante dresse certes le portrait de Rose Ouellette, mais aussi de la classe prolétaire francophone au temps de l’après-guerre et de la Grande Dépression. Des années 1910 à 1940, c’est ainsi que l’on découvre le quotidien du quartier montréalais aujourd’hui disparu : le Faubourg à m’lasse. La vie triste des employés de la Factory, la réalité cruelle de la guerre et l’oppression sont bien dépeintes à travers des chorégraphies, des costumes et des interprétations senties. Cet univers contraste avec la jovialité de Rose. Ce rire, sous toutes ses formes, est d’ailleurs au cœur du spectacle.
Il peut même être moqueur et méchant. C’est le cas avec Gabin Solent (Christian Laporte ; Pub Royal) et Colette Monté (Rita Tabbakh ; La Famille Addams) qui représentent les jugements et la peur du changement. Ce duo comique fictif est particulièrement truculent, autant dans son apparence que dans les mots méprisants qu’il choisit pour critiquer les personnes comme Rose Ouellette qui ont décidé de sortir du cadre.
Une autre idée brillante de la production : Stéphanie Arav incarne toutes les Juliette qui ont marqué la vie de La Poune (Juliette Petrie, Juliette Huot et Julienne Béliveau), donnant vie à ses amies à travers le temps. José Dufour, qu’on retrouvera bientôt en Tootsie dans la grande première francophone du spectacle, campe ici le touchant Finaud, un cireur de chaussures qui croise la route de Rose. Philippe Robert (Jules & Joséphine) est aussi excellent dans la peau du joueur d’orgue de Barbarie qui influencera grandement la « p’tite tannante du Faubourg » à devenir artiste. Sa relation avec Monsieur Peanut, son singe complice, est aussi très attendrissante.
Simon Fréchette-Daoust (La Corriveau) est celui par qui tout commence et qu’on prend plaisir à suivre, tellement son récit est captivant. En cheminot et narrateur, il fait voyager les spectateurs dans son tramway mystérieux. Et que dire de Jade Bruneau ? La talentueuse metteuse en scène de La Géante, qui a déjà fait ses preuves avec La Corriveau et Belmont, joue également dans la pièce, campant la mère de Rose, mais aussi son amoureuse secrète Gigi, en référence à Gertrude Bellerive qui partagea sa vie durant 40 ans. Elle nous offre d’ailleurs l’un des plus beaux moments du spectacle lorsqu’elle chante l’émouvant Sentinelle.
Rares sont les spectacles aussi aboutis, aussi travaillés et étoffés jusque dans les moindres détails. On ressent l’engagement total de toute l’équipe pour proposer un théâtre musical inédit où chaque aspect a été méticuleusement pensé. La Géante est un grand spectacle lumineux qui inspire à changer le monde, à briser les tabous et à rire encore, d’un rire sincère et porteur d’espoir. À ne surtout pas rater au Centre culturel Desjardins de Joliette jusqu’au 10 août, puis du 15 au 31 août au Carré 150 de Victoriaville !