Énergique, drôle et particulièrement bien écrit, la première création de la compagnie Minds at Work, présentée ce mois-ci au Théâtre de Belleville, vaut le détour !
Tout va-t-il vraiment mieux en musique ?
Officiellement, tout va bien dans la vie de Norah. Pourtant, depuis quelques temps, la musique fait irruption dans sa vie, sans prévenir, et souvent au pire moment. Un musicien s’invite au détour d’un entretien avec sa patronne ou en plein rencard, et ses mélodies impertinentes l’empêchent de se concentrer sur le présent. Derrière la légèreté apparente du ton, se cache pourtant une certaine gravité. Le spectacle nous amène ainsi, par le rire, à interroger des questions plus sérieuses et préoccupantes de nos vies.
Derrière La Tête ailleurs se trouve un trio : Camélia Acef à la dramaturgie, Youri Rebeko à la composition et Lucie Brogniart à la production. Pour le premier spectacle de leur compagnie Minds at Work, ils se sont entourés de Victor Bourigault (Guignol le spectacle) – habitué de la scène de la comédie musicale française – pour la mise en scène.
Camélia Acef et Youri Rebeko n’ont pas seulement imaginé ce spectacle, ils en interprètent également tous les personnages avec une complicité palpable. Youri Rebeko se glisse alternativement, et avec une facilité déconcertante, dans la peau de la copine bavarde, du père rabat-joie ou du psychologue blasé.
Les deux auteurs du spectacle savent indéniablement ce qui fait une bonne comédie musicale. On sent le travail fait pour amener la musique dans le spectacle sans créer de rupture brutale : tout commence par le théâtre et, progressivement, avec humour, la musique s’immisce sur scène à travers un jingle de radio ou le ronronnement d’une machine à café… puis bientôt, le chant et le piano s’imposent.
Difficile de savoir si l’équipe connaît la série Zoey’s extraordinary playlist, mais le concept repris ici pour introduire les chansons est le même : l’héroïne, suite à un choc, se met à entendre son entourage lui parler en chansons. Sauf, qu’à la différence du personnage de la série, Norah entend moins les pensées de ses interlocuteurs que les siennes. Musicalement, le spectacle nous emmène dans des horizons très variés, du rock au tango. On regrette l’absence d’un orchestre live qui aurait immanquablement ajouté une dimension et de la profondeur au spectacle.
A la recherche de l'efficacité
Sur scène, une coiffeuse encombrée, un piano, des tabourets et un portant rempli de vêtements nous emmènent dans une salle à manger, une salle de réunion, un café, une voiture ou une chambre à coucher. Simple, ambiance du quotidien, ce décor fonctionne efficacement pour faire appel à l’imaginaire du spectateur. Cependant, une grande partie des objets semblent davantage destinés à meubler l’espace scénique qu’à appuyer la narration et interrogent : auraient-ils dû aller plus loin dans l’abstraction ? Une chose est sûre : ce décor est fonctionnel, offrant aux deux interprètes un cadre propice aux changements de costumes et d’ambiance rapide.
Un livret particulièrement soigné
Car les forces de ce spectacle sont immanquablement son écriture et son rythme. La narration ne s’arrête jamais et tout s’enchaine avec une fluidité très plaisante. Les changements de tableaux sont matérialisés par une ligne de dialogue, un changement de lumière ou un déplacement sur scène. Le choix de cette simplicité et de l’épure dans les transitions est particulièrement judicieux. La musique, elle-même, ne s’allonge pas inutilement, mais sait se taire quand ce qui devait être dit a été dit (même si, sur certaines chansons, la gourmandise nous ferait en redemander pour le plaisir).
Le travail d’écriture du livret et des paroles sont un vrai bonheur : drôles, intelligents et jamais gratuits, les mots sont véritablement intégrés à la narration et à la musique avec d’habiles passages du parler au chanter. On retiendra notamment les hilarants « Le tango du tocard » et « Notre planète brûle et nous regardons ailleurs » qui décrivent avec dérision des situations que nous avons tous connues un jour. La finesse d’écriture s’ajoute à une construction en dentelle du livret qui, avec les révélations de la fin du spectacle, amènent une nouvelle vision donnent envie de le revoir avec cette nouvelle grille de lecture en tête. Une bonne partie du public n’était d’ailleurs pas venu pour la première fois, lorsque nous avons découvert ce spectacle.
Si on aurait aimé être un peu plus ému et s’identifier davantage à l’héroïne, La Tête ailleurs constitue un beau spectacle, grave, drôle et pétillant à la fois. Il présente une qualité assez rare pour être soulignée : il fait exactement la longueur qu’il devrait, sans scène superflue ni raccourcis inutiles, et sa richesse d’écriture vaut, à elle seule, le détour !