C’était sûrement l’un des événements les plus attendus de cette rentrée musicale. Après un grand succès lors des précédents Festivals d’Avignon, cette création d’Éric Bu et Thibaud Houdinière arrive enfin à Paris. Alors, qu’en est-il de cette mystérieuse Voix d’or ?
C’est la panique pour Éric ! Il se rend nerveusement à un rendez-vous avec son ami et producteur Guillaume, à qui il avait promis de nouvelles idées de spectacles alors qu’il n’en a pas l’ombre d’une. Tandis que les deux hommes échangent des banalités, Guillaume évoque ses grands-parents, les artistes musicaux Charles Gentes, surnommé La Voix d’or, et Christine Vercel. Une aubaine pour Éric qui voit là une histoire parfaite pour un grand spectacle musical. En cherchant à en savoir plus, les personnages se matérialisent et le spectacle s’écrit sous nos yeux.
L'art qui imite la vie qui imite l'art
L’idée de ce projet germe dans l’esprit des créateurs à l’époque où Éric Bu et Thibaud Houdinière travaillent ensemble sur Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, le premier en tant qu’auteur, le second comme producteur. À l’issue de la première, au cours d’une discussion, Thibaud Houdinière évoque son grand-père, Charles Gentes… Vous voyez où cette histoire nous mène ?
Voyant dans cette histoire familiale une mine d’or pour l’écriture d’un spectacle musical, les deux hommes se mettent au travail. Mais plutôt que de faire un biopic traditionnel, comme ils avaient pu le faire sur Arletty, ils décident d’intégrer leurs échanges, leurs « transactions narratives » comme dit Éric Bu, et de se mettre littéralement en scène. Si le ressort de la mise en abyme a fait ses preuves par le passé, il peut s’avérer risqué entre de mauvaises mains.
Fort heureusement ce n’est pas le cas ici. Les auteurs utilisent finement ce stratagème d’écriture en évitant l’écueil de la surexplication et des clins d’œil grossiers. Au contraire, la pièce est fort bien structurée et nous embarque dans cette enquête généalogique, distillant les informations petit à petit, toujours au moment opportun. On pense par moments au style d’Alexis Michalik, le tout saupoudré d’humour. Les apartés avec le public sont savamment dosés, apportant une touche de drôlerie bienvenue, et savent s’effacer quand ils n’ont pas lieu d’être.
Sous les strass, le stress
Outre les déboires des auteurs, l’histoire qui est racontée aurait très bien pu se suffire à elle-même. De Paris au Liban, de l’Occupation à l’époque actuelle, c’est un véritable voyage spatio-temporel auquel le public est invité. Avec une scénographie simple et élégante, composée de toiles peintes qui se succèdent, les multiples lieux (allant d’un café concert à un riad égyptien) sont subtilement reconstitués et s’enchaînent de manière fluide.
L’ambiance générale se transforme également aussi habilement que les décors. On prend plaisir à suivre l’ascension et la romance de Charles Gentes et Christine Vercel, deux artistes méconnu.e.s de la majorité des spectateur.rice.s avant d’entrer en salle. Un doux parfum de nostalgie s’installe dans le théâtre et donne envie de danser dans les bars de Montmartre. Nostalgie, certes, mais sans le sempiternel « c’était mieux avant », car le drame domestique qui s’immisce au fur et à mesure nous montre que, non, ce n’était pas mieux avant. Les reprises des plus grands titres de la chanson française font d’ailleurs place à une violence réaliste qui laisse le public sonné.
Des artistes en or
Les nuances de cette pièce sont fort bien servies par une troupe de comédien.ne.s hors pair. On retrouve avec plaisir Élodie Menant, inoubliable Arletty, très attachante dans ces deux rôles. Elle forme notamment un duo plein de tendresse avec Charlie Fargialla. Autre duo qui fonctionne à merveille, c’est celui formé par Benjamin Egner et Marc Citti (en alternance avec Stéphane Giletta) interprétant les avatars de Thibaud Houdinière et d’Éric Bu. Tenant le fil de la narration du début à la fin, les deux sont impeccables dans leur partition et donnent le tempo de la pièce. Quant à Grégory Benchenafi qui, après Mike Brant et Harry Pilcer, ajoute un autre artiste à son répertoire, il se montre très convaincant dans un registre plus sombre.
Et puis Sandrine Seubille… Bien qu’elle ne soit pas le rôle-titre, son personnage est véritablement le cœur de la pièce. Elle fait partie de ces artistes pouvant donner une nouvelle dimension à une scène avec un simple changement d’expression du visage. Captivante du début à la fin, drôle et poignante, elle fait également preuve d’une grande forme vocale. Après avoir brillé dans de nombreux seconds rôles, La Voix d’or lui offre un écrin parfait pour montrer l’étendue de son talent. N’ayons pas peur d’être grandiloquent, cette femme est un trésor national !
Ce beau petit monde est remarquablement accompagné au piano par Stéphane Isidore, qui a également composé quelques chansons originales pour le spectacle. Vous l’aurez compris, La Voix d’or est légèrement à la hauteur des échos dithyrambiques provenant d’Avignon. Malgré un final un peu convenu, on quitte le théâtre en ayant assisté à un beau moment de théâtre musical. Assurément l’un des spectacles à voir en ce début de saison chargée.
