Nouvelle pièce musicale présentée au théâtre de la Huchette, Les Mystères de Paris nous plonge dans les bas-fonds de la capitale aussi bien que dans ses salons bourgeois au gré des multiples transformations des 3 interprètes sur scène. Si leur talent est indéniable, qu’en est-il de l’œuvre dans son ensemble ? Notre avis.
Après l’excellent Comédiens ! ou encore Exit, l’attente était forte pour savoir quelle nouvelle comédie musicale allait nous être proposée au théâtre de la Huchette pour cette nouvelle saison. D’autant que l’on sait qu’elles sont bien souvent gage de qualité. Avec Les Mystères de Paris, c’est le tandem formé par Eric Chantelauze (livret) et Didier Bailly (musique), déjà à l’œuvre pour La Poupée Sanglante ou encore Huckleberry Finn, que l’on retrouve aux manettes. A leurs côtés notamment Patrick Alluin, en charge de la mise en scène.
3 artistes, plusieurs personnages
Roman-feuilleton d’Eugène Sue paru dans le Journal des débats entre 1842 et 1843, déjà adapté plusieurs fois au cinéma et à la télévision, Les Mystères de Paris raconte l’histoire de Rodolphe de Gerolstein, un aristocrate germanique au passé mystérieux qui, le soir venu, se transforme en justicier pour venir en aide aux opprimés dans les quartiers malfamés du Paris du 19e siècle. Sur sa route, il croisera divers personnages – escrocs, criminels, bourgeois, notables – qui s’avéreront intrinsèquement et étrangement liés. Parmi eux Fleur de Marie, une jolie orpheline élevée par le couple de brigands formé par La Chouette et Le Maître d’École – qui ne sont pas sans rappeler les Thénardier –, ou encore Jacques Ferrand, un notaire aussi véreux que cruel.
En tout, c’est une quinzaine de personnages qui nous est présentée pour faire évoluer l’histoire. Un tour de force lorsque l’on voit la dimension très restreinte de la scène de la Huchette… Le secret ? Trois interprètes seulement pour camper cette galerie de personnages, qui se glissent sans peine et avec une rapidité déconcertante dans les costumes d’époque signés Julia Allègre. Tour à tour, et parfois en changeant un seul accessoire de leur tenue, ils incarnent nobles ou malfrats, orphelins ou travailleurs, et se croisent sur scène dans un ballet rythmé et incessant. On retrouve ainsi sous les traits de Rodolphe et de divers autres personnages. Simon Heulle (Exit), Lara Pegliasco (Victor vers le futur) dans les haillons de l’ingénue Fleur de Marie ou dans la robe de la comtesse McGregor, et Olivier Breitman (Le Roi Lion), en alternance avec Arnaud Léonard (Chance!), dans le costume du notaire Jacques Ferrand ou encore sous le masque du Maître d’École. Aussi habiles que talentueux, ils offrent une partition sans fausse note. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de reconnaître des intonations de Scar dans tous les antagonistes que campe Olivier Breitman, visiblement aussi à l’aise sur les planches de la Huchette que sur celles de Mogador.
Une intrigue foisonnante
Malgré tout, on peine un peu à comprendre : pourquoi cette oeuvre-là, finalement peu connue du grand public et qui représentait à l’époque plusieurs volumes ? L’intrigue, très foisonnante pour seulement 1h30 de spectacle et parfois alambiquée, ainsi que les personnages très nombreux, nécessitent de ne jamais perdre le fil. Mais encore une fois, les 3 interprètes tirent parfaitement leur épingle du jeu… y compris lors des scènes de combat ! Des bagarres de rue parfaitement orchestrées viennent en effet ponctuer le récit, de même que quelques autres scènes parfois un peu violentes. Après tout, ce sont les bas-fonds de Paris qu’on nous montre, et les aventures d’un aristocrate aux allures de Robin des Bois voulant récompenser les bons et punir les méchants.
Côté mise en scène, taille oblige, c’est toute la salle de la Huchette qui est encore une fois ici exploitée, jusqu’aux issues de secours. La partition de Didier Bailly, quant à elle, met en valeur les voix des artistes et les traits de caractère des personnages. Teintée de tango lorsque Jacques Ferrand révèle ses sombres désirs, elle emprunte parfois des sonorités aux Misérables lors de morceaux plus classiques, par exemple ceux interprétés avec candeur par Fleur de Marie. Quant au décor, il n’est constitué que de grandes toiles et drapés créant une impression de profondeur, et seuls quelques accessoires disséminés ici et là nous font passer des sombres quartiers de l’Île de la Cité aux demeures bourgeoises. Le jeu de lumière fait le reste.
Les Mystères de Paris est au final une pièce musicale rythmée et enlevée, dont le principal atout repose sur ses 3 interprètes. L’histoire, plutôt dense pour un tel format, requiert pour sa part de la concentration ! On s’y perd en effet un peu dans les relations qui lient tous les personnages entre eux et parfois même dans les personnages eux-mêmes, malgré l’habileté et le talent des artistes pour les incarner. Même si le pari est risqué, il n’en demeure pas moins la qualité certaine de cette création musicale, à découvrir sans tarder au théâtre de la Huchette.