Créé en 2019 au Studio de la Comédie Française, la création musicale Les Serge (Gainsbourg Point Barre) fait toujours parler d’elle tant l’expérience présentée est puissante. Six des comédiens de la Comédie Française s’amusent – clope au bec – avec le répertoire de Serge Gainsbourg. Drôle, émouvant et surtout captivant, ce spectacle s’inscrit dans ce que cette belle maison sait faire de mieux : partager des émotions.
Les Serge…
Depuis longtemps, la musique est très présente à la Comédie Française, que ce soit dans des spectacles dédiés à l’image de Comme une pierre qui ou dans des mises en scène s’appuyant profondément sur la mélodie comme récemment Le Suicidé ou Le Soulier de satin. Pour Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, à l’adaptation et la mise en scène, Gainsbourg est une source d’inspiration importante et il leur a été naturel d’accepter la proposition d’Eric Ruff (Administrateur Général) de monter un projet sur cet artiste qui divise et rassemble à la fois.
Le Studio de la Comédie Française semble être le lieu parfait pour embrasser le format concert/enregistrement radio présenté. Quand le public arrive, la scène est déjà animée, à l’écoute des sons provenant d’une radio qui ne semble pas toute jeune. Un premier Serge – Noam Morgensztern – introduit le spectacle, partageant quelques pensées avant de se mettre au piano. “Le poinçonneur des lilas“ signe le démarrage d’une rétrospective qui, pendant 1h20, rentre dans un jeu de séduction passionnant avec le public.
Au-delà du documentaire, il n’est pas tant sujet de traiter les périodes de la vie artistique et personnelle de Serge Gainsbourg mais plutôt les différentes facettes de sa personnalité, l’accent mis sur la sensualité mêlée à l’irrévérence laissant alors le spectateur choisir ce qu‘il a envie de garder de son Serge. Bien entendu, quelques repères recentrent l’artiste dans une époque comme le style vestimentaire qui a évolué en même temps que la musique de son créateur. Reste une intemporalité : les repettos blanches, les cigarettes, l’alcool et les propos – trop – intelligents.
Les Serge, c’est aussi (et surtout) une histoire de copains qui prennent un maximum de plaisir dans ce jeu. Pas de mimétisme dérangeant, le choix est assumé d’être Benjamin, Marie, Noam, Sébastien, Stéphane et Yoann, avec pour chacun, l’éclosion furtive d’un Serge par l’intermédiaire d’une gestuelle, d’une tonalité de voix, de mimiques qui disparaît aussitôt. Au-delà d’une interprétation irréprochable, ils jouent tous d’un ou plusieurs instruments, ce qui renforce la sincérité du propos. Sans concession, ils proposent leur vision à la fois juste et respectueuse, de ce que Gainsbourg a laissé derrière lui : un répertoire riche et la garantie d’un personnage qui passe les années.
Gainsbourg Point Barre...
Impossible de distinguer la musique des mots de Serge Gainsbourg ; les mots de ses chansons mais aussi ces mots et répliques ultimes garantissant sa réputation provocatrice. Ce spectacle se construit sans édulcorer et s’appuie sur des extraits d’interviews qui ponctuent les moments chantés. Le tempo est rapide, beaucoup de choses se mélangent tout en assurant une unité d’intention dans l’approche du personnage. Une esthétique accroche le regard du spectateur, façonnée par un visuel louchant sur des tenues très identifiées, soulignées par des lumières garantissant que chaque instant aura sa propre signature.
Le plaisir d’écouter du Serge Gainsbourg se décuple à la découverte de titres revisités, sublimés. On imagine la tâche rude pour compiler l’essence d’un répertoire prolifique et complexe. Cette création ne fait que jouer avec son spectateur et ses émotions. Une version chorale inoubliable des “Sucettes” rivalise avec une tristesse et mélancolie continues quand des titres comme “Je suis venu te dire que je m’en vais” ou “La chanson de Prévert”. Et puis le coup de cœur pointe le bout de son nez lorsque “Mon légionnaire” saisit l’ensemble de l’auditoire tant c’est cinématographique et représente la recherche musicale absolue de l’artiste.
Ne faisant qu’un, nul besoin spécifiquement de rappeler comédien par comédien combien et comment ils sont authentiques et talentueux dans leur approche. Les voix – chantées et parlées – sont belles et musicales. Elles n’ont rien à envier à l’unique femme de la troupe qui, de part son expérience, amène une rondeur et des harmonies trés travaillées. Pour cet ensemble plutôt reconnu pour son jeu d’acteur, leur capacité à faire de la musique n’a rien d’amateur, loin de là.
Bien entendu, il est compliqué de parler de Serge Gainsbourg sans parler d’une époque, d’une culture et des personnalités qui ont croisé sa vie. Elles sont présentes, leur verbe aussi. Elles rappellent quel homme cultivé et délicat il était et combien il a participé à construire un paysage artistique riche et indémodable. Au regard du nombre important dans l’auditoire de jeunes personnes nées après sa mort, cela prouve bien que l’art dépasse le temps.
Le spectacle affiche complet au Studio de la Comédie Française mais part bientôt en tournée. Pour retrouver les dates, c’est par ici.
Si l’envie vous dit, un épisode du podcast “Quelle Comédie” est dédié au spectacle et disponible sur différentes plateformes. De quoi, vous mettre l’eau à la bouche 🙂
Crédit Photo : Vincent Pontet, Coll. Comédie Française
