Initialement, Les Souliers Rouges était un album concept sorti en 2016, composé par Fabrice Aboulker et écrit par Marc Lavoine. Ce dernier en interprétait également les titres aux côtés de Cœur de Pirate et d’Arthur H. Depuis janvier dernier, cette création musicale librement inspirée du conte Les Chaussons Rouges d’Andersen, publié en 1845, a pris vie sur la scène des Folies Bergère de Paris, où le spectacle se jouera jusqu’au 19 avril prochain. Pour interpréter le trio maudit de l’histoire, on retrouve cette fois-ci Loryn Nounay, Guilhem Valayé et Benjamin Siksou, découverts respectivement sur Instagram, dans la saison 4 de The Voice et dans l’édition de 2008 de La Nouvelle Star.
L’histoire, justement, est celle d’Isabelle, une jeune fille candide prête à tout pour réaliser son rêve : venir à Paris pour devenir danseuse étoile à l’Opéra. Une aubaine pour Victor, grand chorégraphe à la recherche d’une ballerine assez docile pour accepter son pari fou, à savoir mettre en scène le ballet maudit des Souliers Rouges. En effet, quiconque acceptera d’enfiler ces chaussons vermeil devra renoncer à toute vie personnelle, et surtout à l’amour… C’est sans compter sur Ben, journaliste spécialiste de l’opéra, qui tombe éperdument amoureux d’Isabelle et la met à l’épreuve. Dès lors, comme une mise en abîme de la tragédie musicale dont nous suivons le processus de création, la malédiction s’enclenche inexorablement pour les protagonistes…
Des Souliers Rouges très soignés
Dès la scène d’ouverture du spectacle, qui n’est pas sans rappeler l’introduction du Fantôme de l’Opéra, le spectateur est plongé au cœur de l’Opéra de Paris et de l’esprit torturé du chorégraphe Victor. L’inéluctable tragédie musicale est enclenchée dans une ambiance baroque et sombre à souhait. S’enchaînent alors sans temps mort les 24 chansons et instrumentaux signés Marc Lavoine et Fabrice Aboulker, avec comme toile de fond les magnifiques tableaux mis en scène par Jérémie Lippmann. Car le spectacle porte parfaitement son appellation : il s’agit bien ici d’un conte musical, voire d’une comédie ballet où seules les chansons sont au service de l’histoire, sans intermèdes joués. Quelques très beaux morceaux de musique nous sont offerts, surtout lorsqu’ils sont mis au service de la danse, même si l’on peut regretter l’absence d’orchestre live et une bande-son à laquelle la salle des Folies Bergère ne rend pas toujours justice… Quant aux chansons en elles-mêmes, on sent qu’elles ont d’abord pris vie indépendamment avant d’être imaginées dans le cadre d’un tout ; quelques textes, quoique bien ciselés et portant bien l’empreinte de Marc Lavoine, sont parfois peu explicites et n’aident pas toujours à dérouler le fil de l’histoire. On note toutefois la reprise de quelques thèmes musicaux récurrents (« La Malédiction des Souliers Rouges », « Je sais »,…), à l’image des musicals anglo-saxons.
Du côté de la distribution, Loryn Nounay incarne une Isabelle à la voix cristalline et aérienne, fragile et naïve à souhait, qui apporte toute la fraîcheur nécessaire à son personnage. Quant aux interprètes masculins, si certains morceaux ne les mettent pas toujours en valeur, ils sont indéniablement habités et jouent leur rôle à la perfection. Sur quelques titres de Guilhem Valayé percent des accents du grand Jacques Brel, tandis que certaines intonations de Benjamin Siksou ne sont pas sans rappeler Alain Bashung. Des titres tels que « Toi et cet Homme », interprété par Guilhem Valayé, ou encore « La Malédiction des Souliers Rouges », presque davantage parlé que chanté par Benjamin Siksou, semblent avoir été faits sur-mesure pour eux.
Quand la danse sublime le propos
Au final, le public ne voit pas le temps passer. La mise en scène et la scénographie y sont pour beaucoup et, après avoir écouté l’album somme toute assez classique et intimiste, on est même surpris d’assister à un spectacle aussi visuellement abouti. Sur une scène plutôt épurée, les draps et les voilures côtoient quelques éléments mobiles qui apparaissent et disparaissent sans l’aide de l’homme, presque comme par magie. Les très belles projections et jeux de lumière viennent sublimer le tout. Mais ce sont surtout les chorégraphies signées Marie-Agnès Gillot et Tamara Fernando (Mozart l’Opéra Rock ; La Légende du Roi Arthur), portées par un corps de ballet de huit danseurs tous plus talentueux les uns que les autres, qui font mouche et donnent à ces Souliers Rouges toutes leurs couleurs. La danse vient sublimer l’histoire et le propos, et compense un livret assez succinct. On sent véritablement l’empreinte de Marie-Agnès Gillot sur les chorégraphies classiques, et la patte de Tamara Fernando sur les parties plus urbaines et contemporaines. Il s’agit bel et bien ici d’un travail à quatre mains… ou plutôt à quatre pointes. Et cela ne trompe pas : à la fin du spectacle, le public ovationne les danseurs qui viennent saluer après les trois interprètes. Lesquels s’effacent d’ailleurs rapidement en arrière-scène pour les laisser récolter les bravos qu’ils méritent, conscients que la magie de ce conte musical repose essentiellement sur ces huit artistes virevoltants et à la technique irréprochable.
Malgré quelques défauts, et même s’il ne s’agit pas d’une comédie musicale au sens le plus propre du terme, Les Souliers Rouges nous prouvent donc qu’il est encore possible de faire des spectacles de qualité en France. Plus que jamais, encourager ce genre de création semble nécessaire…
Crédit photos : Fabrice Chapuis
Les Souliers Rouges, un conte musical de Marc Lavoine (paroles) et Fabrice Aboulker (musique)
Jusqu’au 19 avril 2020
Aux Folies Bergère
32 Rue Richer, 75009 Paris
Mise en scène : Jérémie Lippmann ; Chorégraphies : Marie-Agnès Gillot en collaboration avec Tamara Fernando
Avec : Loryn Nounay, Benjamin Siksou, Guilhem Valayé, Loïc Consalvo, Camille Freyssac, Lauranne Le Porchou, Andie Masazza, Geoffrey Ploquin, Pauline Richard, Emmanuelle Seguin et Matthew Totaro Knef