La dernière production signée Dove Attia a investi le Dôme de Paris jusqu’au 18 février prochain avant un départ en tournée. Le spectacle, à la croisée de beaucoup de styles et d’inspirations, est aussi déroutant qu’efficace.
Suite au premier aperçu donné en juin dernier au Théâtre Edouard VII, l’attente était forte pour découvrir Molière, le spectacle musical dans son intégralité. En témoigne la foule qui s’est pressée au Dôme de Paris en ce soir de générale de presse pour découvrir en musique la vie du célèbre dramaturge français. Après un retard de plus d’une demi-heure – rien de plus normal pour une générale selon les dires de l’auteur Dove Attia –, des crieurs font irruption dans la salle, alpaguant le public pour acheter la Gazette du jour. Les repères temporels s’effacent et le spectacle démarre sur une ouverture qui n’est pas sans rappeler les précédents shows de Dove Attia. Il faut dire qu’on lui doit quelques grands spectacles musicaux « à la française » qui ont fait les beaux jours du Dôme de Paris entre 2000 et 2013 : Les 10 Commandements, Le Roi Soleil, Mozart l’Opéra Rock ou encore 1789, Les amants de la Bastille. Sa méthode est rodée, et l’on ressentira d’ailleurs tout au long de cette nouvelle création sa patte et les influences de ses précédents spectacles…
Hamilton comme déclencheur
Cette fois-ci, c’est donc la vie de Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière, que Dove Attia a décidé de mettre à l’honneur. Le spectacle commence en 1643, lorsque le dramaturge renonce à suivre la voie toute tracée de son père, celle de tapissier du roi, pour revendiquer son souhait de devenir comédien. S’ensuivra une mise en lumière de ses années d’errance et de quête du succès aux côtés de sa troupe de théâtre, de l’Illustre Théâtre au giron de ses protecteurs (le duc d’Epernon, le prince de Conti et Philippe d’Orléans dit « Monsieur » le frère du roi) jusqu’à Versailles et à la cour du roi Louis XIV, qui le mènera à la renommée. Le tout, en évoquant ses histoires de cœur avec Madeleine puis Armande Béjart et son antagonisme avec le prince de Conti, qui a retiré sa protection à la troupe et mené une bataille rangée contre Molière après s’être converti au catholicisme radical.
Pour mettre en musique la vie de Molière, et même si le spectacle a abandonné son sous-titre d’« opéra urbain » en cours de route pour un plus sobre – et moins clivant ? – Molière, le spectacle musical, Dove Attia a fait le pari de casser les codes habituels pour choisir une partition résolument urbaine, où le slam est à l’honneur malgré quelques morceaux plus pop. De même, il y a très peu de dialogues parlés ; tout est ici slammé ou récité en vers rimés. Une idée qui lui est venue après avoir vu Hamilton à Broadway, dont il s’est beaucoup inspiré et qui l’a décidé à reprendre du service. Pour réaliser son rêve de monter un Hamilton à la française, Dove Attia s’est notamment entouré de Ladislas Chollat (Résiste ; Oliver Twist) pour la mise en scène et d’Emmanuelle Favre pour la scénographie, lauréate du Molière 2023 de la création visuelle et sonore et du Trophée 2023 de la scénographie lors de la dernière édition des Trophées de la Comédie Musicale pour Starmania.
Une troupe et des chorégraphies dynamiques
Côté distribution, Molière, le spectacle musical est porté par une troupe de chanteurs-comédiens très impliqués. Parmi eux l’artiste québecois PETiTOM dans le rôle titre, aussi à l’aise dans le chant que la danse et véritable point fort du spectacle, ou encore Abi Bernadoth et Vike, transfuges de The Voice qui incarnent respectivement les rôles du prince de Conti et de Louis Béjart. Leur signature vocale fait mouche et leur performance est convaincante, tout comme celle de Shaïna Pronzola dans le rôle de la flamboyante Marquise, porte-drapeau du féminisme actuel, qui hérite d’ailleurs de l’un des tableaux les plus marquants du spectacle avec « Moi je veux ». A leurs côtés, deux autres personnages un peu plus en demi-teinte malgré leur rôle de femmes fortes, ceux de Madeleine et de sa fille Armande Béjart interprétées respectivement par Morgan et Lou. On retrouve également avec plaisir un habitué des comédies musicales, David Alexis, véritable caméléon qui incarne tour à tour les rôles de Jean Poquelin, de Monsieur le frère du roi et du duc d’Epernon. Autour d’eux gravite une troupe de danseurs talentueux qui exécutent les chorégraphies toujours efficaces et dynamiques signées Romain Rachline Borgeaud, fondateur de la RB Dance Company et créateur du spectacle Stories.
Outre les chorégraphies, l’un des autres points forts du spectacle est le décor, toujours en mouvement. Au départ tout en drapés beiges et passerelles en bois qui ne sont pas sans rappeler celles de Hamilton, il évolue au fil de l’ascension de Molière et devient de plus en plus riche et imposant. Le tout est complété par un écran led qui servira avant tout lors du récit des errances de Molière et de sa troupe. Tout au long du show se mélangeront des costumes d’époque signés Jean-Daniel Vuillermoz et des vêtements plus contemporains portés par des figurants ou des danseurs, ou encore par Molière lui-même qui débute sa première scène avec un sweat à capuche noir flanqué du logo du spectacle avant de dévoiler son costume. C’est une bonne idée pour montrer que l’on entre là dans un monde de théâtre où chacun joue un rôle, et pour refléter le paradoxe sur lequel est fondé toute l’identité de Molière, le spectacle musical : un mélange d’Histoire et de modernité. Cela participe néanmoins au fait que l’on a parfois du mal à entrer totalement dans le récit.
Entre histoire et modernité
On regrette également l’absence d’un orchestre live, et un premier acte très dense voulant brasser trop de personnages, d’action et de styles à la fois. Résultat : une certaine difficulté à créer du lien et de l’empathie entre le public et les protagonistes. Le deuxième acte est en revanche plus solide et se recentre sur l’histoire (même si l’on survole encore quelques thématiques comme la relation mère-fille entre Armande et Madeleine), avec quelques très jolis tableaux et des morceaux plus efficaces tels que « Et si c’était nous deux », « Moi je veux » ou encore « Tu finiras par tomber ». Le tout saupoudré de beaucoup de touches d’humour et de second degré, et de très (trop?) nombreux anachronismes : l’arrivée de Marquise sur des patins à roulettes, les appareils photos, un saxophone, des micros pour interviewer Molière ou encore des références parfois un peu maladroites au féminisme ou aux modes de transport actuels… Et surtout, un Monsieur le frère du Roi qui parade au milieu de sa cour en parlant en verlan et qui, si cela fait sourire au début, peut à la longue lasser. De même, le 4e mur trop souvent brisé peut parfois dérouter. On notera enfin un spectacle nourri d’inspirations diverses : Hamilton bien sûr, mais aussi quelques lignes de dialogues, titres et façons de jouer qui ne sont pas sans rappeler les précédents spectacles de l’âge d’or du tandem Attia/Cohen. Clins d’œils ou manque d’inspiration ? On s’y perd parfois un peu… Impossible en tout cas de bouder notre plaisir à retrouver l’empreinte de ces spectacles et à se replonger dans nos souvenirs.
Pour conclure, Molière, le spectacle musical est une œuvre qui se situe entre l’hommage et le novateur, le moderne et l’Histoire, l’urbain et la pop. Un spectacle sur le fil, donc, dont on a parfois l’impression qu’il cherche son identité mais qui a le mérite de proposer au public français du neuf et du « grand » à l’heure des reprises et des spectacles plus intimistes. La standing ovation à la fin du show sur le titre « Rêver j’en ai l’habitude », porté par une troupe virevoltante, en est d’ailleurs la preuve : avec Molière, le spectacle musical, il y en a pour tous les goûts.