Critique : « Orgueil et préjugés… ou presque » au Théâtre Saint-Georges

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Le spectacle, créé au Royaume-Uni à la fin des années 2010, arrive en France avec sa dérision et son humour caractéristiques. Cinq sœurs et leur mère, obsédée par leur mariage, naviguent dans un monde et une époque où la masculinité règne. Situations loufoques, attirance et répulsion dans un jeu de séduction, le tout sur fond musical, voici qui promet de passer un bon moment.

Une adaptation audacieuse sur fond musical

Adapter Orgueil et préjugés n’est pas une mince affaire, compte tenu de la complexité du roman et de ses riches nuances sociales et psychologiques. Publié en 1813, ce chef-d’œuvre de Jane Austen met en lumière la condition des femmes de la bourgeoisie anglaise du début du XIXe siècle, prises dans l’étau des conventions et des mariages arrangés. Réussir à condenser cette fresque en moins de deux heures tout en conservant l’essence de l’histoire et la richesse des personnages est une prouesse notable. L’adaptation parvient habilement à recentrer l’intrigue sur les éléments les plus marquants et à préserver l’attachement du public aux figures emblématiques du roman, notamment Elizabeth Bennet et Mr. Darcy. Grâce à une mise en scène dynamique et une narration efficace, le spectateur suit les péripéties amoureuses et sociales des protagonistes.

Crédit Photo : © Fabienne RAPPENEAU

Dans cette réinvention, le classique littéraire se transforme en une comédie moderne, teintée de musiques, où le genre devient un terrain de jeu théâtral. Le public de tous âges dans la salle apprécie ce mélange inattendu. Portée exclusivement par des femmes, cette production dynamique transpose l’œuvre dans une dimension où l’humour et la satire sociale se conjuguent pour porter un regard décalé sur la condition féminine dans la société. Si l’adaptation regorge d’intelligence et d’humour, le traitement musical laisse cependant un goût d’inachevé. Après un numéro d’ouverture prometteur, il faut patienter un moment avant d’entendre une autre chanson. La répartition des chansons est aléatoire : des enchainements rapides de plusieurs titres laissent place à de longs dialogues ou successions de scènes parlées. Pourtant, lorsque la musique se fait entendre, l’harmonie des voix et la complicité des interprètes fonctionnent à merveille, et l’on aimerait retrouver ces instants plus fréquemment.

La sélection des chansons fait la part belle à la pop anglaise, en reprenant des tubes de Lily Allen, Elton John,  Shocking Blue, Ed Sheeran, et d’autres. Le tout accompagné à la guitare par Melody Linhart ; on apprécie les accents rock apportés aux œuvres musicales, touche contemporaine qui parle au public d’aujourd’hui. Avec des paroles réécrites en français et librement adaptées pour coller au mieux à l’histoire, tout en gardant souvent l’intention d’origine, les morceaux font plaisir à entendre. Souvent écourtés à un couplet et un refrain, voire une simple évocation sonore avec quelques mesures emblématiques, on ressent une pointe de déception de ne pouvoir profiter de l’intégralité des titres. Cette retenue musicale, probablement dictée par des contraintes de mise en scène, prive le spectacle d’une dimension émotionnelle qui aurait pu enrichir considérablement l’expérience pour les amoureux du genre, d’autant que le format « Jukebox musical » est souvent apprécié du public français.

Crédit photo : © Fabienne RAPPENEAU

Une véritable prouesse artistique

Appuyé par une mise en scène efficace, le jeu des actrices est impeccable. Elles incarnent une multitude de personnages (principaux et secondaires, masculins et féminins) avec une aisance impressionnante, se changeant avec brio entre des rôles excentriques ou plus en retenue, pour apporter facétie et modernité à cette fresque du XIXe siècle revisitée. Les personnages masculins joués par des femmes créent un décalage réjouissant, renforçant l’ironie du propos tout en offrant un regard piquant sur les conventions sociales de l’époque. Elizabeth Bennet, personnage central, emprunte tous les traits d’une femme forte et affirmée, bousculant les préjugés. On s’attache à elle et à son histoire façon « je t’aime/moi non plus ».

Les actrices se fondent parfaitement dans les codes masculins, changeant leurs gestuelles, leurs attitudes et tessiture vocale vers des intonations graves et viriles. Emmanuelle Bourgerol est épatante dans cette alternance entre Monsieur Darcy et la mère d’Elizabeth, arrivant complètement à faire oublier qu’il s’agit de la même actrice. En réalité, ses comparses sont tout aussi à l’aise pour porter la pièce et incarner des personnages loufoques (la sœur Mary Bennet est hilarante) sans laisser paraître la moindre difficulté. Les rôles secondaires apportent une véritable valeur ajoutée au spectacle. Ces seconds rôles, souvent exagérés et volontairement caricaturaux, renforcent les ressorts comiques et contribuent à donner l’illusion d’un casting bien plus nombreux. 

Les changements de costumes et de perruques, orchestrés avec une précision millimétrée, s’ajoutent au plaisir visuel et participent au rythme effréné du spectacle. On imagine la quantité de travail qui a dû être fournie en amont pour assurer leur création et pour assurer des transitions fluides. Les personnages évoluent dans un ballet incessant, passant de grandes robes amples des femmes aux costumes stricts et cintrés des hommes. Sur scène ou en coulisses, comédiennes, régisseurs et équipes techniques doivent se démener pour tenir cette précision. Sans oublier les quelques décors et accessoires à mettre en place, assez simples dans leur ensemble mais bien suffisants pour les besoins de l’intrigue. Appuyés par un usage habile des lumières, tout cela accompagne facilement les transitions et alternances de lieux. 

Le texte, incisif, reste central pour cette œuvre, et l’adaptation joue avec les clichés de la noblesse anglaise et des traditions désuètes. Les situations cocasses et les piques que s’adressent les personnages déclenchent des flots de rire dans le public, même si quelques scènes moins impactantes ne font pas forcément mouche auprès de tous. L’humour étant l’une des choses les plus subjectives, l’alternance de moments riches et de scènes moins utiles est inévitable.

Crédit photo : © Fabienne RAPPENEAU

Cette relecture moderne d‘Orgueil et Préjugés réussit son pari de réinventer un classique avec audace et pertinence. La distribution féminine transcende les conventions de genre avec brio, interrogant les questions de société, de sexualité, d’émancipation. Si l’aspect musical peut sembler en deçà des attentes pour certains, le spectacle captive par son intelligence et son humour mordant, porté par les performances éclatantes des comédiennes. Cette production peut s’enorgueillir de tenir sa promesse en vous faisant oublier vos préjugés, pour un moment savoureusement drôle.

Orgueil et préjugés... ou presque
Image de Fabrice Felez

Fabrice Felez

Après une enfance où mes loisirs sont centrés autour de la musique et de la danse, c’est tout naturellement que la comédie musicale se présente à moi. En parallèle de mes études de droit, je m’initie aux spectacles, tant modernes que plus traditionnels, qui font naître en moi une véritable passion. Cet élan me pousse à intégrer l’équipe de Musical Avenue pour partager mes découvertes et vous donner envie d’apprécier les trésors de la scène parisienne et française.
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