Critique : « Peaky Blinders : The Redemption of Thomas Shelby » à la Seine Musicale

Temps de lecture approx. 5 min.

Véritable institution chorégraphique britannique, la Rambert Dance Company s’installe pour trois semaines à la Seine Musicale afin de présenter l’une de ses dernières créations, inspirée de la célèbre série Peaky Blinders. Un programme étonnant et plein de promesses.

Alors que Smash fait ses débuts à Broadway et que Strangers Things : The First Shadow entame sa deuxième saison dans le West-End, les séries deviennent de plus en plus susceptibles de se voir adapter sur scène, au même titre que les livres ou les films. La preuve en est une fois de plus avec cette création chorégraphique autour de l’univers de Peaky Blinders. Cette série est basée sur le gang éponyme, qui semait la terreur à Birmingham à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. L’action débute en 1919 et suit la bande des frères Shelby menée par Thomas, incarné par Cillian Murphy (récemment oscarisé pour son rôle dans Oppenheimer.)

Diffusée pour la première fois en 2013 sur la BBC Two, le programme gagne rapidement en popularité quand Netflix se procure les droits de diffusion à l’international. Avec son esthétique bien identifiée, sa distribution impeccable et ses rebondissements à la pelle, Peaky Blinders s’est depuis constitué une grande communauté de fans. Après six saisons, la série s’arrête mais laisse derrière elle une imagerie très forte dans la pop culture. Un film final est d’ailleurs en préparation.

© Johan Persson

Quand les Shelby enfilent leurs chaussons

À peine quelques mois après la diffusion du dernier épisode, une adaptation chorégraphique voit le jour. Elle est présentée par la Rambert Dance Company. Fondée en 1926 par Marie Rambert, issue des Ballets Russes de Diaghilev, elle est la plus ancienne compagnie de danse encore en activité au Royaume-Uni. Depuis quelques années, la direction revient au chorégraphe français Benoit Swan Pouffer, qui signe cette création. En plus de proposer ses propres pièces, il invite régulièrement de grands noms de la danse à créer pour ses danseur.euse.s : Sidi Larbi Cherkaoui, Sharon Eyal, Ben Duke ou encore Marion Motin. Des artistes qui, en plus de proposer une gestuelle bien identifiée, accordent une grande importance à la théâtralité.

Cette théâtralité est particulièrement présente dans ce Peaky Blinders : The Redemption of Thomas Shelby. Le rideau se lève sur les tranchées où Thomas et ses frères ont été envoyés. La Guerre terminée, les cinq hommes partent s’installer pour Birmingham et débutent ainsi leur carrière de malfrats aux côtés de leur tante Polly (rôle malheureusement trop peu exploité dans cette version), avec la police toujours à leurs trousses. Pendant toute la première partie, l’action se déroule avec une grande fluidité et lisibilité. Malgré l’immensité de la Seine Musicale, qui fait qu’on ne distingue plus les visages au-delà du parterre, les personnages sont clairement identifiables, même dans les scènes de groupes.

© Johan Persson

L’ensemble regorge de trouvailles visuelles. La scénographie est utilisée à son maximum avec son plateau surélevé, entouré de tranchées où les danseur.euse.s peuvent apparaître et disparaître facilement. Couplé à un superbe travail de lumières et quelques éléments mobiles, ce décor fait voyager à travers les différents lieux de l’intrigue. Le tout est accompagné par une bande originale entraînante, imaginée par Roman GianArthur. Puisant dans les titres de Radiohead, Anna Calvi et (bien évidemment) Nick Cave, il assemble un catalogue collant bien à l’univers de la série, auquel il incorpore des thèmes originaux. L’interprétation en live (assez rare pour ce genre de tournée) insuffle un véritable dynamisme à l’ensemble.

Un peu de douceur dans ce monde de brutes

Et la danse dans tout ça ? Si la chorégraphie n’est pas des plus originales – on sent l’influence des nombreux.ses chorégraphes cité.e.s plus haut – et un peu répétitive, elle est diablement efficace. Entre le contemporain, le Broadway/Street jazz et le cabaret, elle est surtout là pour accompagner le récit plutôt que pour exister par elle-même. Du moins, dans la première partie.

Le second acte tranche vraiment avec le précédent. On retrouve Thomas Shelby complètement anéanti par le drame qui s’est déroulé juste avant l’entracte et le spectacle retrace sa déchéance, aussi bien physique que mentale. Après des passages torturés et psychédéliques, l’ambiance s’apaise et devient presque poétique. À mi-chemin entre le dream ballet et l’acte blanc des grands ballets classiques, ces tableaux offrent les véritables moments de danse de la soirée.

© Johan Persson

Si le personnage de Thomas, incarné ce soir-là par Conor Kerrigan, se fait plutôt discret en début de soirée, il prend ici toute son ampleur. Le danseur fait preuve d’une très belle poésie dans sa danse, notamment lors d’un pas de deux très touchant, presque lyrique, avec son ancien camarade d’armée, Barney Thompson, interprété par Max Day.

Un spectacle pour les fans, mais pas que

Aussi belle soit-elle, cette rêverie sous opium prend un peu trop de place dans ce deuxième acte et finit par empiéter sur le déroulement narratif. La conclusion paraît donc précipitée, avec beaucoup d’informations à faire passer en une quinzaine de minutes, nuisant ainsi au climax dramatique. Une déconvenue rattrapée par une chorégraphie finale d’une élégante simplicité, dansée à l’unisson sur « Red Right Hand » de Nick Cave And The Bad Seeds, également utilisée pour le générique de la série.

Plus qu’une pièce chorégraphique, c’est un véritable spectacle total qui est présenté. L’efficacité reste le maître mot de cette œuvre qui fait son effet auprès du public tout en cédant très rarement à la facilité. Pas la peine d’être incollable sur la série ou un.e féru.e de danse pour se laisser séduire. Un joli voyage dans les bas-fonds de Birmingham, donc, à la découverte d’une belle compagnie qui défend cette chorégraphie avec fougue.

Peaky Blinders : The Redemption of Thomas Shelby
Image de Romain Lambert

Romain Lambert

Membre de Musical Avenue depuis juin 2012, je suis passionné bien évidemment de comédies musicales mais aussi de ballets. Je passe la majorité de mes soirées entre l'Opéra Garnier, Bastille et le Théâtre du Châtelet. Je voue un véritable culte a Stephen Sondheim et j'essaye de chanter "Glitter and be Gay" sous la douche.
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