Après une tournée débutée à Lille en octobre 2021 et un passage dans les plus grandes villes de France (et quelques interruptions liées au Covid), Je vais t’aimer arrive enfin à Paris. Très attendu et déjà salué par la critique depuis plusieurs mois, ce spectacle va-t-il conquérir le cœur de la capitale?
Un premier quart d’heure qui fait peur….
Ecrire un spectacle musical à partir des chansons de Michel Sardou est certainement d’une grande difficulté. Rien que la sélection des chansons, à opérer parmi les 26 albums studio du chanteur aux presque 40 années de carrière, représente une tâche considérable. Alors comment réussir à éviter le piège du spectacle jukebox et parvenir à créer une véritable histoire musicale, et non pas un amas de chansons les unes à la suite des autres sans vraie cohérence ? C’est la question que l’on se pose pendant les premières minutes. Il faut introduire de nombreux personnages, expliquer les liens qui les unit et les rêves qui les animent. Si les dialogues y contribuent, les chansons qui viennent accompagner ces premiers moments semblent artificiellement insérées entre deux conversations. C’est d’autant plus dommage que les premiers titres (“En chantant” ou “Les bals populaires” pour n’en citer que quelques uns) comptent parmi les plus grands tubes de Michel Sardou.
Nous ne revenons pas non plus sur le lien patriarcal qui permet d’amener le tableau des “Lacs du Connemara”, et l’on préfère retenir la scénographie et les chorégraphies précises et entraînantes de ce moment. Sur ces premières impressions en demi-teintes, l’arrivée du titre éponyme “Je vais t’aimer” marque un véritable tournant dans le spectacle. Outre l’interprétation assez séduisante d’EMJI et de Vinicius Timmermann (Hercule dans une histoire à la Grecque, Saturday Night Fever), ce moment est un point de bascule qui nous entraîne vers une histoire plus surprenante et mieux écrite. On oublie vite nos doutes pour profiter pleinement de cette création qui, de surprise en surprise, nous fait voyager dans le monde et à travers le temps.
…Qui laisse place à un spectacle haut en couleur
C’était l’une de nos plus grandes attentes dès les premières annonces du spectacle. Comment une histoire qui se déroule entre trois continents et sur plus de quarante années peut-elle être portée devant nous? La réponse tient peut-être dans la richesse des chansons de Michel Sardou. La variété de son répertoire est une source fantastique pour une narration croisant les destins de multiples individus. Qu’il s’agisse de raconter le rêve américain et les désillusions de la gloire, de voyager en Afrique jusqu’au village de Ghardaïa, ou d’évoquer les amours des couples ou de la famille, il y a toujours une chanson pour servir l’intrigue. La mort, la parentalité, l’émancipation ou l’affirmation de soi, de grands thèmes qui traversent les époques et les textes de Michel Sardou, et donnent une vraie profondeur à tous les personnages sur scène.
Les chansons qui ont marqué la carrière de l’artiste sont celles qui accompagnent les tableaux les plus forts. A n’en citer qu’un, c’est le mémorable “J’accuse” qui nous vient en tête. Puissance de l’interprétation, précision des danseurs, lumières, mise en scène, ce passage est particulièrement intense. Plus en tendresse, “Parlons de toi, de moi”, revient comme un lien entre les différents protagonistes et apporte de beaux moments d’émotion.
Avec plus de vingt-cinq titres pour porter l’histoire, (dont certains peu connus et que l’on découvre avec plaisir), on ne se lasse pas de ce spectacle qui dure plus de deux heures (si vous n’aimez pas du tout les chansons de Michel Sardou, vous n’aurez assurément pas le même ressenti). D’autant que l’ensemble des mélodies a été réorchestré pour l’occasion, avec certaines propositions innovantes (que les puristes détesteront peut-être et que les moins connaisseurs apprécieront sûrement par leur modernité). La qualité de la bande sonore est à souligner, surtout sur ce type de spectacle, même si on imagine que l’on aurait pu gagner en authenticité avec quelques instruments live (notamment sur “Le France” ou “Le privilège”).
Des chansons populaires pour un spectacle grand public
Qu’il s’agisse des chanteurs ou des danseurs, tous sont très investis. EMJI (Les 3 mousquetaires) fait évoluer le personnage de Louise tout au long du spectacle, d’une jeune femme libre et fougueuse jusqu’à une dame âgée qui s’accroche à ses souvenirs, accompagnée de son fils Nicolas, joué par Hakob Ghasabian, dont on peut regretter qu’il n’ait pas plus de chansons solo. Le couple formé par Léo et Nicole (Boris Barbé, et Sofia Mountassir – Bodyguard, Priscilla folle du désert ou Love Circus) est bouleversant. Vinicius Timmermann et Tony Bredelet (Star Académy saison 9, The Voice) portent leurs rôles et leur amitié avec brio. Sans oublier Hoobs dans le personnage de Mike, scéniquement et vocalement impeccable. Agréablement, chacun s’approprie les chansons qui lui sont confiées, n’essayant pas d’imiter Michel Sardou mais bel et bien de proposer une nouvelle version, tout à fait réussie dans l’ensemble.
Rien à redire non plus sur les décors et les projections en fond de scène. Si on se demande au début comment les espaces vont être créés, on constate très vite que tout a été soigneusement pensé à l’avance pour être transformé et réutilisé au cours du spectacle. Le pont avant du bateau devient le canapé d’un loft parisien, les portes d’un café se transforment en rame de métro ou en bus new yorkais. Une belle maîtrise de la synchronisation entre les accessoires physiques et les projections visuelles, qui sont harmonieusement ciblés sans excès. Chacun peut ainsi se créer son propre décor imaginaire. Les costumes sont nombreux pour accompagner l’univers visuel, la garde-robe de chaque personnage évolue au fur et à mesure du temps qui passe (tout comme les traits de leur visage qui vieillissent par un habile jeu de maquillage). On imagine la complexité et la précision qu’il faut en coulisses pour parvenir à des changements aussi rapides, dans des laps de temps parfois très courts.
“Vous savez déjà que vous allez chanter” ; voilà la promesse de Je vais t’aimer. Est-elle tenue ? Assurément à en croire les réactions de la salle, qui reprend à l’unisson tous les tubes de Michel Sardou lors du grand final, et qui oublie les quelques défauts de ce grand spectacle intergénérationnel. Si certains moments laissent un peu perplexe, le dynamisme, le talent vocal et l’énergie de toute la troupe sont ses grands atouts. Passionnés ou non de comédies musicales, vous ne pourrez qu’apprécier.
Après un mois à Paris et 20 représentations, le spectacle repartira en tournée en France dès octobre prochain. Ne manquez pas l’occasion d’applaudir ce spectacle en réservant dès maintenant votre place.
Remerciement également à notre chroniqueuse Eve-Marie Leroy pour sa collaboration.