Véritable fiasco commercial et critique, le spectacle méritait-il d’être autant assassiné ? Notre équipe de chroniqueurs avait à l’époque pu se rendre à New York pour découvrir ce spectacle musical très attendu. Notre verdict ? Spider-Man : Turn Off the Dark est loin d’avoir été incroyable et mémorable, mais n’est pas si nul que ça !
La première officielle de Spider-Man : Turn Off the Dark a eu lieu le 14 juin 2011 au Foxwoods Theatre après 182 « previews », de multiples réécritures, délais et accidents. En découvrant le spectacle, on comprend vite pourquoi : les cascades sont multiples et (très) dangereuses, peu adaptées pour un théâtre de Broadway. A l’origine, Julie Taymor (Le Roi Lion) espérait même monter le spectacle dans un cirque et prévoyait une tournée à Las Vegas dans une salle plus spacieuse.
Cette décision aurait sans doute pu éviter les difficultés techniques qu’ont dû surmonter les équipes de Spider-Man : Turn Off the Dark. Les surcoûts occasionnés pour assurer la sécurité des artistes et du public lors des cascades et combats aériens ont plombé le budget du spectacle, qui n’a cessé d’être ré-arrangé et ré-écrit au fil des représentations, jusqu’à faire venir un consultant créatif, Philippe William McKinley, au détriment de la créatrice du spectacle original, Julie Taymor (Le Roi Lion), aussitôt remerciée.
Un musical rock insipide et catastrophique pour les uns…
Les déboires créatifs et techniques de Spider-Man : Turn Off the Dark ont donné lieu à un spectacle musical très « rock » et visuel, haut en couleur, et malheureusement très décousu, peu attachant. Le livret et les musiques sont les gros points faibles du spectacle, il faut dire que le choix de Bono (du groupe U2) et The Edge pour composer les musiques avait de quoi étonner. Les chansons n’aident pas à faire avancer l’histoire, elles servent plutôt à donner un fond sonore électrisant pour les scènes d’action et mettre en valeur les personnages.
Le Gobelin Vert, interprété de manière très convaincante par Patrick Page (Hadestown), se retrouve notamment bien servi puisqu’il démarre en grandes pompes le 2ème acte avec « A Freak Like Me » et reprend plus tard avec un autre solo au piano (« I’ll Take Manhattan ») qui le voit ensuite affronter Peter Parker/Spider-man au sommet de l’Empire State Building avant un final spectaculaire avec toute la compagnie.
Près de 10 ans après avoir vu le spectacle, on ne peut pas dire que Spider-Man : Turn Off the Dark nous ait laissé de très bons souvenirs. L’histoire est très caricaturale et manichéenne, avec peu de surprises et d’émotions, un récit vu et revu au cinéma et dans les comics. Les producteurs ont visiblement souhaité nous en mettre plein la vue et espéraient probablement attirer en priorité les touristes et fans de super-héros, sauf qu’ils ont négligé les ingrédients essentiels d’une comédie musicale (l’écriture avant tout !) et l’ont rendue kitsch et impersonnelle. Un raté d’autant plus incompréhensible que le budget permettait d’espérer nettement mieux.
… un show spectaculaire et incompris pour les autres !
C’est d’autant plus dommageable que la distribution n’avait pas grand chose à se reprocher. Tous sont d’ailleurs aujourd’hui dans des comédies musicales très en vogue (Moulin Rouge ; Company ; Hadestown…). Reeve Carney, l’interprète principal de Peter Parker/Spider-man, a reçu de bonnes critiques pour sa performance, très exigeante physiquement, qui ne lui permettait d’ailleurs à la fin de ne faire que 6 shows sur 8 et d’être remplacé très régulièrement par Matthew James Thomas (Pippin), sa doublure. Jennifer Damiano (American Psycho) a fait ce qu’elle a pu dans le rôle très restreint de Mary Jane Watson, à l’occasion notamment de plusieurs duos amoureux avec Peter Parker/Spider-man, mais hélas sans numéro solo écrit pour elle. Quel gâchis !
Côté chansons, on retiendra à la rigueur « Rise Above », « Boys Fall From the Sky » et l’envoûtant « Turn off the Dark ». Mais surtout, ce qui nous a frappé, c’est la mise en scène spectaculaire, notamment sur les batailles aériennes au-dessus du public. En étant placé dans les premiers rangs de la mezzanine, nous avons eu le luxe de voir Spider-Man se poser juste devant nous et retirer son masque pour nous saluer d’un grand « Hey ! ».
Les décors et costumes sont aussi très réussis pour nous transporter dans le Queens natal de Peter Parker, les grands buildings de Manhattan et plus généralement dans l’univers coloré de cette adaptation du comics de Marvel. Spider-Man : Turn Off the Dark a beau avoir été décrié et causé un gouffre financier pour ses investisseurs (il se murmure qu’ils auraient perdu près de 60 millions de dollars), nous nous considérons comme chanceux d’avoir pu voir ce grand spectacle qui en mettait décidément plein les yeux, à défaut d’en mettre plein les oreilles et le cerveau.
A quand le retour d’une comédie musicale Marvel à Broadway ?
A l’heure où les films Marvel dominent le cinéma et la télévision grâce au développement de Netflix et Disney+, pouvons-nous espérer revoir de sitôt une comédie musicale inspirée des comics ? Depuis l’échec désastreux de Spider-Man : Turn Off the Dark, on ne peut pas dire qu’il y ait eu de projets très sérieux lancés depuis.
La série télévisée Hawkeye, dont l’épisode final a été diffusé le 22 décembre dernier, a toutefois redonné un espoir inespéré avec un numéro entier chanté, dansé et joué par les héros Avengers qui en a conquis plus d’un d’après les réactions enthousiastes sur les réseaux sociaux. La chanson « Save The City », du musical fictif Rogers: The Musical, a été écrite par Marc Shaiman et Scott Wittman (Mary Poppins Returns) qui rêvent d’écrire et composer le spectacle entier. Qui sait ? Le retour de Spider-Man sur la scène de Broadway n’est peut-être plus si lointain !
Spider-man : Turn off the Dark, de Julie Taymor, Glen Berger et Roberto Aguirre-Sacasa
Du 14 juin 2011 (première officielle) au 4 janvier 2014
Au Foxwoods Theatre
214 West 43rd Street, New York City
Mise en scène : Julie Taymor ; Livret : Julie Tamyor, Glen Berger et Roberto Aguirre-Sacasa ; Musique : Bono et The Edge
Avec Reeve Carney (Peter Parker / Spider-man), Jennifer Damiano (MJ Watson), T.V. Carpio (Arachne), Patrick Page (Norman Osborn), Michael Mulheren (J. Jonah Jameson), Ken Marks (Oncle Ben), Isabel Keating (Tante May), Jeb Brown (père de MJ Watson), Matthew James Thomas (doublure de Peter Parker / Spider-man), Laura Beth Wells (Emily Osborn), Matt Caplan, Dwayne Clark et Luther Creek