Il aura fallu de la patience aux fans québécois de Starmania. Depuis les premières représentations de cette nouvelle mouture à la Seine Musicale de Paris à l’automne 2022, ceux-ci trépignaient de la voir à leur tour. Enfin présenté au Québec depuis le 6 août, l’opéra-rock cultissime de Michel Berger et Luc Plamondon fait son grand retour dans la belle province, captivant une nouvelle génération de spectateurs tout en ravivant la flamme des fidèles de longue date.
Une soirée électrique
Pour accueillir cette nouvelle production au Québec comme il se doit, le tapis rouge a été déroulé lors de la grande première à la Place Bell de Laval. Des personnalités québécoises, curieuses de découvrir cette nouvelle adaptation, ont défilé aux côtés d’artistes ayant eux-mêmes participé à des versions antérieures de Starmania. Parmi eux, Martine St-Clair, Fabienne Thibeault, Isabelle Boulay, Marie Carmen, Anne Bisson et Patsy Gallant ont rejoint Luc Plamondon pour célébrer cet événement marquant.
Interprète emblématique de Cristal dans la version québécoise de 1980, puis dans la reprise française de 1988, Martine St-Clair nous a d’ailleurs révélé à cette occasion que ce personnage avait été déterminant pour renforcer sa confiance en elle : « Quand j’ai commencé dans les années 1980, j’étais une timide. Alors, grâce à Cristal, j’ai pris confiance. Cristal est une femme moderne, qui a son propre jeu de télévision. Elle reçoit les grands du monde sur son plateau de télé, Starmania. Cela m’a donné les ailes dont j’avais besoin pour commencer ma carrière. »
Une fois dans la salle, l’excitation n’a fait que monter. Lorsque les premières notes de la partition ont résonné, le public a su qu’il allait plonger dans un univers sans pareil.
Une production magistrale
Il faut dire que visuellement, les spectateurs ne peuvent qu’être happés. Lumières, écrans et décors tournants créent le monde où évoluent les personnages de Starmania. Cette impressionnante stimulation visuelle alterne entre puissance et poésie de tableau en tableau. La gigantesque structure centrale aux multiples facettes se déploie au rythme des chansons, permettant également aux artistes de s’y intégrer.
La mise en scène de Thomas Jolly, soutenue par les chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui, épouse cet impressionnant décor, ne laissant aucun répit aux spectateurs. Ceux-ci sont constamment attirés par ce qu’il se passe à Monopolis, tant chaque élément et mouvement sont soigneusement orchestrés pour captiver l’audience. Si tous les tableaux sont réussis, certains se démarquent particulièrement. « Le rêve de Stella Spotlight », interprété par l’envoûtante Maag, est à ce sujet éblouissant. Les idées sont également brillantes, comme la prestation énergique de Ziggy (Adrien Fruit) qui se démultiplie sur scène dans une chorégraphie effervescente sur le titre « La chanson de Ziggy ». Pour clore le spectacle, le mythique « Le monde est stone » est magnifiquement interprété par Alex Montembault, sous une pluie de cendres.
Les moyens déployés pour monter cette nouvelle production sont à la hauteur de cette ambition : 27 conteneurs ont été expédiés de France par bateau, transportant 500 projecteurs, 2 éléments scéniques de 7 tonnes et plus de 400 costumes, dont 250 environ réalisés par Louis Vuitton. Le montage, qui a nécessité 3 jours de travail et l’assistance de 100 techniciens, témoigne de l’ampleur de ce projet.
Si le public en prend plein les yeux tout au long du spectacle, il est également comblé par l’expérience sonore qui enrichit l’impact visuel de la production. Entre les voix exceptionnelles, les effets palpitants et les orchestrations grandioses, l’immersion est totale. Chaque membre de la troupe, doté d’un timbre unique, offre une performance vocale fascinante. Les airs, pourtant archi connus, sont interprétés avec une fraîcheur qui leur donne une nouvelle dimension.
Une complicité entre le Québec et la France
Pour mémoire, la création de Starmania à la fin des années 1970 a marqué le début d’une longue complicité entre le Québec et la France dans l’univers des comédies musicales. De la création aux artistes sur scène, le spectacle a toujours été un symbole de la collaboration entre Québécois et Français. Cette dernière production ne déroge pas à la règle. Après avoir parcouru l’Europe pendant plusieurs mois, les artistes québécois de la troupe (Gabrielle Lapointe dans le rôle de Cristal ; William Cloutier dans celui de Johnny Rockfort ; Manet-Miriam Baghdassarian en Sadia ; David Latulippe dans le rôle de Zéro Janvier et Heidi Jutras en Marie-Jeanne) peuvent enfin se produire au Québec.
Du côté des Français, Maag (Stella Spotlight), Adrien Fruit (Ziggy), Alex Montembault (Marie-Jeanne) – qui revient exceptionnellement pour ces quelques dates canadiennes – ou encore Malaïka Lacy (Gourou Marabout) changent de public pour offrir leurs talents à une nouvelle audience.
Cette troupe jeune et complémentaire a livré des prestations remarquables. Touchant, envoûtant, troublant ou percutant, chacun de ces artistes apporte une perspective originale à ces personnages que l’on croyait connaître par cœur. Aucune comparaison avec leurs prédécesseurs n’est de mise, puisqu’ils incarnent à leur manière, et de façon inédite, ces rôles ancrés dans notre imaginaire collectif. On ne peut que saluer aussi l’idée de réintégrer le personnage du Gourou Marabout (Malaïka Lacy en alternance avec Simon Geoffroy), un écologique fanatique qui tient tête à un Zéro Janvier lui aussi glaçant.
« Il se passe quelque chose à Monopolis… ». Aujourd’hui, comme il y a 45 ans, les thèmes abordés sont criants d’actualité. À l’image de cette ville dystopique, nos sociétés et leurs dérives sont confrontées plus que jamais aux questions de pouvoir, de corruption, de quête d’identité et de dépendance technologique. Œuvre visionnaire, Starmania demeure ainsi un spectacle incroyablement pertinent et sa nouvelle version lui confère une dimension encore plus intemporelle.