Critique : « The Wizard Of Oz the Musical » au Gillian Lynne Theatre de Londres

Temps de lecture approx. 10 min.

Après une saison à succès au London Palladium en 2023 et une tournée record au Royaume-Uni et en Irlande, The Wizard of Oz est de retour à Londres pour trois semaines. Le Gillian Lynne Theatre accueille dans son enceinte moderne cette œuvre classique. Etes-vous prêts à voyager de l’autre côté de l’arc-en-ciel?

Des Munchkins, de la magie et des chansons

Pour tout fan de comédies musicales, le Magicien d’Oz est un classique incontournable. Et c’est également un monument de la culture américaine. D’abord roman pour enfants publié en 1900 aux Etats-Unis, cette œuvre a connu (et connaît encore) des adaptations de toutes sortes : dessins animés, bande dessinées, séries télévisées, et bien sûr un film sorti en 1939 considéré comme un chef d’œuvre du genre, multi récompensé aux Oscars. N’ayant cependant pas rencontré un immense succès public à ses débuts, le film acquiert peu à peu ses lettres de noblesse, jusqu’à être inscrit au registre international “Mémoire du monde” de l’UNESCO. Il est considéré aujourd’hui comme une des œuvres cinématographiques incontournables, pas seulement pour sa partition musicale, mais aussi pour les techniques utilisées ou la performance de ses acteurs.

En France, l’histoire de Dorothy et du Magicien d’Oz est cependant beaucoup moins connue ; si vous discutez avec des non passionnés de comédie musicale, l’échange se résume souvent à la chanson “Somewhere over the rainbow” interprétée par Judy Garland (quand on ne vous citera pas une référence artistique plus récente, même l’immense Judy ayant du mal à résister au temps qui passe). Aux Etats-Unis les choses changent aussi, et les productions de super héros remplacent les films rétro en noir et blanc. Les plus passionnés se souviendront peut-être qu’il existait une attraction au Disney’s Hollywood Studios en Floride, reconstituant les scènes des plus grands films, et dans laquelle on pouvait revivre quelques moments emblématiques du film. Mais “The Great Movie Ride” a un charme trop désuet et ne séduit plus les jeunes générations, cette attraction a définitivement fermé ses portes à l’été 2017, après 28 ans d’existence, emportant avec elle tout un pan de la culture cinématographique.

Heureusement, le monde des comédies musicales adore l’univers du Magicien d’Oz ; avec Wicked créé en 2003 à New York, l’histoire prend un nouveau tournant (et nous aurons l’occasion d’en reparler dans les prochains mois, avec la sortie du film attendue depuis tant d’année). Le musical joue toujours, et devient l’un des spectacles ayant une des plus longue longévité. Il aura cependant fallu attendre l’année 2012 pour voir enfin une production dans les théâtres basée sur le film lui-même. Avec un livret adapté par Andrew Lloyd Webber (et oui, encore lui!) et Jeremy Sams, la comédie musicale utilise les chansons du film écrites par Harold Arlen et Yip Harburg et comprend quelques nouvelles chansons et des musiques d’Andrew Lloyd Webber et des paroles de Tim Rice. Plusieurs productions se sont succédées, et voici que The Wizard of Oz revient dans le West End pour moins de quarante représentations. 

Toto, j'ai l'impression que nous ne sommes plus au Kansas

Qui dit nouvelle production dit nouveaux moyens techniques : la volonté de dépoussiérer l’œuvre d’origine est indéniable, tout en gardant l’essence même du film. Le livret y reste fidèle tout comme la trame du récit. Le spectacle ouvre sur Dorothy, personnage central, et son chien Toto. La jeune fille se sent incomprise des gens qui l’entourent, d’autant que Madame Gulch menace de s’en prendre physiquement au pauvre animal. Sur ce arrive une tornade qui emporte Dorothy et le fidèle Toto, réfugiés dans la ferme familiale, jusqu’au pays d’Oz. Un malheur n’arrivant jamais seul, la maison s’est écrasée sur la méchante sorcière de l’Est, qui n’y a pas survécu. Alors que les habitants célèbrent cette disparition (séquence un peu étrange où l’on s’interroge aujourd’hui sur la pertinence d’un tel réjouissement), la méchante sorcière de l’Ouest arrive et réclame les souliers de rubis de sa sœur décédée. Mais Dorothy ayant déjà pris lesdits chaussons, elle ne peut plus les rendre. Pour rentrer chez elle, elle doit demander de l’aide au Magicien d’Oz en se rendant à la Cité d’Emeraude, tout en évitant de tomber dans les pièges de la méchante sorcière. En chemin, elle rencontre de nouveaux personnages et amis, qui l’aide dans sa quête. 

Il est vrai que ainsi rapidement raconté, on ne saisit pas bien tous les contours et subtilités de l’histoire. Malheureusement, c’est également ce que nous ressentons en voyant le spectacle. Alors que le film réussit à créer des tensions narratives et des enjeux émotionnels avec les personnages (tout comme l’autre comédie musicale Wicked qui explore très habilement le passé des personnages emblématiques), The Wizard of Oz laisse une impression de tableaux se succédant dans un effet catalogue, mais sans réel lien conducteur entre eux. Bien sur, l’histoire reste compréhensible et la volonté de fidélité au film aide à suivre l’aventure, mais il manque un effort de réécriture ou d’adaptation pour donner une légitimité aux scènes venues du grand écran.

Les décors, ou plutôt leur rareté, n’aident pas non plus à atténuer les changements brutaux entre les tableaux. Quelques accessoires physiques sont pourtant présents : la ferme de Dorothy, l’évocation du chemin de briques jaunes (grâce à trois grandes flèches sur roulettes, mimant le chemin qui défile sous nos pieds), ou le château de la sorcière. Malgré ces efforts, difficile d’habiller l’immense scène (aussi profonde que haute) du Gillian Lynne Theatre, et ces éléments se perdent sur scène, entre la troupe qui malgré la quinzaine d’artistes qui la compose, semble également trop petite pour meubler l’ensemble des espaces (et ce malgré une énergie débordante et des costumes variés). Nous n’arrivons pas à ressentir l’impression de grandeur ou d’émerveillement que l’on peut espérer (et dont on se souvient par exemple sur le tableau de “One Short Day” pour Wicked). 

Toute la magie visuelle repose sur des projections d’images en fond de scène, créant les ambiances. Là aussi, on appréciera (ou pas) tantôt la fidélité au film d’origine avec une colorimétrie rappelant de vieilles pellicules du cinéma (notamment pour les scènes du début au Kansas) tantôt des visuels modernes, clairement créés par procédé numérique et intelligence artificielle. La ballade dans la Cité d’Emeraude par exemple devient une promenade sur Times Square, où tout a été “verdi” et où les publicités habituelles pour Coca-Cola et Starbucks sont détournées pour créer des références amusantes au monde d’Oz (avec McOzalds ou Ozbucks) ou à la cité d’Emeraude. Les plus passionnés reconnaîtront aussi un tas d’affiches des grandes comédies musicales de Broadway, avec là encore des noms détournés et des visuels couleur jade. C’est finalement tout l’univers d’Oz qui se veut technologique (à l’image du Magicien lui-même, sorte d’agrégat technologique fantasmé aux allures d’araignée) et modernisé. Cette proposition est assumée et plaira certainement aux jeunes générations venues découvrir le spectacle et ayant un premier contact avec l’œuvre, alors que les aficionados auront du mal à retrouver la nostalgie des années 1940.

Somewhere, over the rainbow

Passer à côté du Wizard of Oz serait une erreur. Car la force ultime de ce spectacle réside certainement dans ses artistes, et le plaisir d’entendre des chansons iconiques, réarrangées pour être sublimées par l’orchestre. Disons-le d’emblée, Aviva Tulley parvient à faire oublier Judy Garland et livre une performance mémorable, en ne quittant qu’à de très rares instants la scène et tenant son rôle de bout en bout avec émotion. Le tableau “Somewehre over the rainbow” restera longtemps dans son mémoire : alors qu’elle est seule en scène, avec une botte de paille pour seul décor et peu d’éclairage, elle procure des frissons à chaque note, alternant entre force et fragilité. Un moment dénué de tout artifice et superflu, où l’artiste touche en plein coeur chaque spectateur par son talent. 

Le plaisir se retrouve avec chaque interprète. Tour à tour, les personnages ont leur moment dédié avec leur solo (car encore une fois, le spectacle renferme peu de moments chorales et décline plutôt une succession de chansons au cours de laquelle chaque personnage explique son défi et où chaque artiste va briller). Benjamin Yates, qui incarne l’épouvantail, est lui aussi un des piliers du spectacle, et crée de beaux moments de complicité et d’amitié avec le personnage de Dorothy. L’excellent Aston Merrygold (The X factor, Strictly Come Dancing) donne vie à un homme de fer beaucoup plus robotique que la version d’origine, et les amateurs de danse mêlant street et hip hop seront comblés, d’autant que la performance vocale est également sans faute. Et puis il y a la Méchante Sorcière : The Vivienne (connue Outre-Manche pour avoir remporté la première saison de RuPaul’s Drag Race Uk) est exceptionnelle, créant une atmosphère de crainte et d’agressivité à chaque apparition, dans de sublimes costumes et maquillage. Une sorte de Miranda Priestly (Le Diable s’habille en Prada) en plus verte ! The Vivienne est une méchante sorcière dépoussiérée (à l’image de son arrivée en side-car) et authentique, également très juste dans son jeu et dans sa voix, utilisant accessoires et effets pyrotechniques à souhait pour créer un climat de tension (même si son balai est profilé comme un Nimbus 2000 emprunté à Harry Potter!). On regrette finalement de ne pas la voir d’avantage, même si le second acte la met en avant régulièrement, et lui permet de livrer une grande prestation lors de la scène du “lancé de seau d’eau”, qui malheureusement arrive trop vite à notre goût.

La scène ne serait pas complète sans le chien Toto ; sous forme de marionnette articulée sur scène par une artiste, c’est un vrai personnage à part entière, vivant et interagissant avec les autres. La qualité de la marionnette aux multiples possibilités d’articulations est une des bonnes surprises du spectacle, lui donnant un aspect tout à fait réaliste, tout comme l’énergie de sa manipulatrice qui court très souvent d’un bout à l’autre de la scène, en arrivant pourtant à se faire discrète derrière la manipulation de son animal canin.

The Wizard of Oz demeure l’une des comédies musicales les plus connues et nostalgiques de tous les temps. Avec un casting de stars et une bande-son qui a conquis les cœurs du monde entier, cette production allie l’ancien (avec des répliques emblématiques du film et les chansons) avec une vision moderne du monde d’Oz façon 21ème siècle. Les idées fondatrices d’amitié, de confiance en soi et d’entraide restent intemporelles et centrales, et vous feront vivre un très bon moment. Que vous souhaitez raviver des souvenirs d’enfance ou vous laisser porter par la découverte, ce spectacle coloré et emblématique vous fera rêver au-dessus de l’arc-en-ciel.

Pour un petit aperçu du spectacle : 

The Wizard Of Oz the Musical
Image de Fabrice Felez

Fabrice Felez

Après une enfance où mes loisirs sont centrés autour de la musique et de la danse, c’est tout naturellement que la comédie musicale se présente à moi. En parallèle de mes études de droit, je m’initie aux spectacles, tant modernes que plus traditionnels, qui font naître en moi une véritable passion. Cet élan me pousse à intégrer l’équipe de Musical Avenue pour partager mes découvertes et vous donner envie d’apprécier les trésors de la scène parisienne et française.
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