Pépite repérée à Avignon cet été, Une Opérette à Ravensbrück est un spectacle inclassable à ne pas manquer lors de sa tournée à travers la France !
Un OVNI du théâtre musical
Il n’existe pas beaucoup d’œuvres comme cette Opérette à Ravensbrück, un spectacle généralement connu sous le titre du Verfügbar aux Enfers. C’est sous ce nom qu’il a été mis en scène pour la première fois, en 2007, sur la scène du Théâtre du Châtelet. L’œuvre en elle-même a pourtant été écrite pendant la Seconde guerre mondiale par la résistante Germaine Tillon et ses codétenues du camp de Ravensbrück.
Contre toute attente, ce spectacle est avant tout une comédie : les prisonnières politiques du camp l’ont écrit pendant leur détention pour rire de leurs conditions de vie. Elles imaginent l’histoire d’un naturaliste qui mène une conférence où il présente une espèce animale toute nouvelle : le « Verfügbar ». Ce terme (qui signifie « Corvéable à merci » en allemand), renvoie aux prisonnières du camp dont le naturaliste présente le quotidien désespéré avec humour noir et auto-dérision. Un sujet grave pour un spectacle qui demeure, malgré tout, une opérette et permettait à ces femmes de s’échapper de leur quotidien.
Faire dialoguer les époques
La scénographie est sobre : quatre marches d’escalier sur roulette, trois pendrillons, un pupitre et un écran composent un décor qui offre de nombreuses combinaisons et possibilités. Il permet d’échapper à une littéralité trop artificielle et de jouer sur le triple niveau d’élocution du spectacle qui se passe à la fois dans le camp de concentration, dans une salle de conférence naturaliste et sur la scène d’un théâtre.
Dans un coin se tient un musicien qui accompagne les six interprètes sur scène avec bruitages et accordéon. L’opérette écrite par Germaine Tillon et ses codétenues ne présentait que des paroles sans partition précise mais « écrites sur l’air de… » plusieurs chansons populaires de l’époque. Ces femmes, issues de toutes les classes sociales pouvaient ainsi écrire les paroles autant sur des airs d’opéra que de french cancan. Un travail de réarrangement de tous ces airs a ainsi été nécessaire pour donner une couleur musicale homogène au spectacle. Un défi que Grégoire Béranger a relevé avec brio ! On est ainsi amusé de reconnaitre l’air d’ « Au clair de la lune » lors de la « Chanson du Sex Appeal ».
Six interprètes mais d’innombrables rôles
La mise en scène de Claudine Van Beneden est efficace. Elle est servie par d’excellents interprètes qui multiplient les rôles tout en conservant leur identité propre. Elles ne sont que 5 femmes sur scène, mais l’on sent la multitude des prisonnières qui parlent à travers elles. De même, c’est toute la hiérarchie nazie qui parle à travers la bouche du naturaliste. La richesse de ce livret et l’ingéniosité de la mise en scène permettent de mettre en lumière la finesse d’un spectacle aux nombreux niveaux de lecture.
Une comédie musicale drôle, engagée et émouvante
Le spectateur ne s’ennuie pas une seconde et sourit à de nombreuses reprises devant cette autodérision désenchantée des prisonnières si parfaitement transmise par leurs interprètes. Plus que tout autre spectacle musical, Une Opérette à Ravensbrück est un spectacle hybride d’une grande qualité qui mêle les trois arts de la comédie musicale, à savoir du chant, du théâtre et de la danse, mais qui fait également appel aux muses de la comédie, de la tragédie et de l’histoire.
Véritable spectacle-témoignage, cette opérette offre une possibilité rare de parler de l’horreur des camps avec recul et sans tomber dans une pesanteur décourageante. De plus, ce spectacle est une excellente comédie musicale et un coup de cœur que nous vous encourageons tous à découvrir ! Le public parisien pourra notamment le découvrir à l’automne 2024 à la Bibliothèque Nationale de France.