En France, où le public aime la comédie musicale autant qu’il aime la détester, les producteurs de spectacles ont pris l’habitude de nous vendre leurs créations comme des concerts plutôt que des pièces de théâtre : on amadoue le chaland avec un album de variétés présentant un vague fil rouge en rapport avec le thème du spectacle, et c’est quand vous connaissez enfin par cœur les chansons qui la composent qu’on vous vend les places pour cette comédie musicale qui n’en a que le nom…
Mozart, l’opéra rock, dernière production de Dove Attia et Albert Cohen (Les 10 Commandements, Le Roi Soleil) ne déroge pas à la règle, mais pourrait bien se révéler à la hauteur de ses ambitions de rompre avec une tradition du spectacle musicale obsolète et qui ne dupera bientôt plus un public de plus en plus habitué aux musicals de Broadway.
Album de Variétés ou B.O. de comédie musicale ?
Premier constat : par pudeur et sans doute par prudence, les producteurs écartent d’emblée les termes de "comédie musicale", encombrés qu’ils sont de préjugés accumulés au fil des années et des productions médiocres. On parlera ici d’Opéra Rock, sans doute pour nous faire comprendre qu’on sera résolument dans l’air du temps et dans une approche infiniment plus noble.
Et probablement en accord avec le thème puisqu’après tout, c’est tout de même de Mozart dont il s’agit !
On aurait pu craindre que Mozart, l’opéra rock (dont les textes sont écrits par un des deux producteurs) sombre dans les méandres de la mauvaise chanson de variétés, dont le spectacle musical nous abreuve depuis des années.
Hé bien non, c’est la surprise : sur les 12 titres qui constituent cet album un peu trop court, prélude au spectacle, une bonne majorité sonne immédiatement comme de vraies chansons de comédie musicale. Point de romance cul-cul la praline sans lien avec le récit. Ici, Dove Attia nous étonne avec des textes qui ont vraisemblablement quelque chose à raconter et mettre en scène !
Tatoue-moi, le premier single du spectacle, est à ce titre exemplaire avec cette déclaration d’un Mozart (Mikelangelo Loconte) tombé en amour devant la ville de Paris qui va le dévorer. Dans Le Trublion, Mozart joue la carte de la provoc’ fasse à ses détracteurs en assumant son côté "emmerdeur", tandis que son rival Salieri (Florent Mothe) tergiverse sur la légitimité de son succès dans le très accrocheur Victime de ma Victoire.
Si l’on perçoit un véritable effort de tendre vers le musical à l’anglosaxonne, avec des chansons participant d’une véritable dramaturgie, les vieux démons finissent par resurgir et certains titres (dont Le Bien qui fait Mal, dernier single sorti à ce jour) n’évitent pas la médiocrité apparemment inévitable dans ce genre de productions.
Et que dire de l’agencement des chansons sur l’album ? Les trois singles ouvrent le bal, suivis par des titres ordonnés de manière arbitraire sans respect aucun pour le synopsis de la pièce… un choix très discutable, qui nous renvoie irrémédiablement aux mauvaises habitudes de ce type de spectacles.
Plus "rock" qu’opéra
Ce qui fait incontestablement le succès de cet album (et par extension, le succès du futur spectacle), c’est le style musical que les créateurs ont choisi d’aborder.
Dans les chansons de Mozart, l’opéra rock, on retrouve pêle-mêle les influences de légendes du glam-rock comme Queen (Tatoue-Moi, Si je défaille) ou The Sparks (Victime de ma Victoire), et de leurs héritiers : Muse (Penser l’Impossible, Quand le Rideau Tombe) et Placebo (Le Trublion, L’Assasymphonie, Dors mon Ange).
Mais peut-on vraiment parler d’Opéra Rock quand ce genre si particulier est d’ordinaire une œuvre marquée par l’univers et le style d’un seul artiste (David Bowie, Lou Reed) ou d’un seul groupe (The Who, Pink Floyd) ?
Pour Mozart, Dove Attia a choisi de réunir une troupe de jeunes compositeurs talentueux à qui il a été demandé de composer "dans le style de"… Le résultat est un album qui manque de cohérence. Certaines chansons dénotent carrément, comme Bim Bam Boum, apparemment composée sur mesure pour une Mélissa Mars. On aurait d’ailleurs aimé l’entendre employée dans un registre différent de ce à quoi elle nous a habitués.
En tout cas, on ne peut qu’admettre que tout cela s’harmonise de manière plutôt joyeuse avec les différentes références au répertoire de Mozart glissées ici et là (La Flûte Enchantée dans Victime de ma Victoire, Don Giovanni dans Quand le Rideau Tombe, etc…).
Malgré de beaux efforts, les interprètes féminines s’en tirent avec les morceaux les moins excitants, et le côté sulfureux annoncé par les premiers vidéo-clips et les costumes aperçus en showcase s’efface derrière les minauderies pré-pubères d’un titre comme Les Solos sous les Draps, qui fait s’effondrer l’érotisme et l’audace bienvenue vers lesquels semblait s’orienter le spectacle.
On craint que Mozart ne soit au final qu’un Opéra-Rock-à-minettes… pas de quoi révolutionner le genre finalement.
Une édition collector bien maigre
Avec son DVD réalisé à la va-vite (menu très sommaire, montage et post-production bâclés), on ne peut pas vraiment dire que l’édition bonus de l’album vaille le détour. Tout juste retrouvera-t-on les images de reportages déjà maintes fois diffusées à la télévision, enrichies du workshop pendant lequel les compositeurs ont conçu l’œuvre en 2008.
Pire, les 45 minutes de reportages et making-of insipides nous assènent en boucle les refrains des meilleures chansons de l’album, et on en ressort avec une désagréable impression de trop entendu.
Le packaging ne saurait pas non plus justifier l’intérêt de cette version "deluxe", bien que l’écart de prix avec l’édition normale soit vraiment faible.
Les fans devront faire attention à bien faire leur choix entre l’édition collector CD et la version digitale proposée sur les plateformes de téléchargement légal, dans laquelle les making-off sont réduits comme peau de chagrin pour une durée totale d’un quart d’heure, clips y compris.
Mozart, l’opéra rock, m
algré ses lacunes, est un très bon album de variétés rock qui annonce un spectacle prometteur. On espère qu’il sera à la hauteur des ambitions voulues par les producteurs, et que la patte du réalisateur Olivier Dahan, qui en assurera la mise en scène, en fera une œuvre à même de réconcilier les amateurs de musicals avec le spectacle musical à la française.
Mozart, l’opéra rock en CD, CD collector, et éditions digitales
Avec Mikelangelo Loconte, Mélissa Mars, Maeva Méline, Florent Mothe, Claire Pérot, Solal
Paroles de Dove Attia, Vincent Baguian, Patrice Guirao, Philippe Uminski
Musiques de Dove Attia, Elio, Antoine Essertier, Rodrigue Jannois, Rémi Lacroix, Nicolas Luciani, Jean-Pierre Pilot, William Rousseau, Olivier Schultheis, Lili Ster
Date de sortie en CD : 27 avril 2009