Gainsbourg – vie héroïque est sans doute le film français le plus attendu de ce début d’année. Après les derniers biopics sur Piaf et Coluche, Joann Sfar, auteur reconnu de BD, ose une première réalisation cinéma sur la vie devenue mythique du chanteur de "La Javanaise".
On suit donc le parcours du jeune Lucien Ginsburg, enfant déjà rebelle et anticonformiste dans le Paris occupé des années 40, qui se construisant sur sa fascination des femmes, sur une imagination débordante, et sur son renoncement à sa passion du dessin, deviendra un auteur et un personnage incontournable du paysage artistique et médiatique Français.
La principale réussite de ce biopic est d’oser sortir d’une représentation réaliste et de faire de cette vie là un conte. Dès le générique, le réalisateur nous plonge dans son univers, celui d’un rêveur aux fantaisies absurdes, burlesques et psychédéliques. Tout y participe : le personnage inquiétant de "La Gueule" ami/ennemi imaginaire du jeune Lucien puis du plus vieux Serge; les décors étonnants, toujours à la limite entre réalité historique et irréalité inquiétante ou magique; la lumière qui joue à la fois sur l’imagerie du conte en osant les ombres et les couleurs, mais aussi sur l’inconscient collectif cinéphilique qui fait de Bardot une brioche dorée sur un drap blanc, de Gréco une mystérieuse et sexy Belphégore, de Birkin la beauté libre, légère et rayonnante des années 70…
Cela passe aussi par la direction d’acteur. Joann Sfar prend le risque de ne faire de ces personnages que des « figures mythiques », unidimensionnels, sans s’attacher vraiment à leur profondeur. C’est peut-être ici l’une des premières limites du film.
Si la réussite du casting est incontestable, la partition que propose le scénario aux comédiens est inégale. On notera tout de même la justesse et la conviction d’Eric Emosnino dans le rôle de Gainsbourg, la présence sensuelle et lumineuse de Laetitia Casta, et l’apparition "Groucho Marx-esque" de Razvan Vasilescu dans le rôle du père de Gainsbourg.
Malheureusement, le film ne parvient pas totalement à éviter les difficultés du biopic. Si la première partie nous plonge vraiment dans la fantaisie, l’idée s’essouffle peu à peu. Nait alors l’impression d’une succession d’épisodes manquant un peu de force, d’intentions scénaristiques floues ou répétitives, et l’idée que si le réalisateur aime profondément Gainsbourg, il peine à affronter le monstre Gainsbarre…
Pourtant Gainsbourg – vie héroïque propose, notamment grâce à la musique, quelques scènes d’anthologie. Le réalisateur a eu la bonne idée de faire chanter ses comédiens et de proposer ainsi des nouvelles versions très réussies de grands standards ou des petits bijoux moins connus de Vian, Fréhel, Aznavour et évidemment surtout de Gainsbourg. Et la magie opère quand le film musical devient à quelques instants comédie musicale : l’action s’arrête et le réalisateur prend le temps de nous offrir de vrais moments de chanson.
"Je bois", par Éric Elmosnino et Philippe Katerine, dans Gainsbourg, Vie Héroïque de Joann Sfar :
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Comment ne pas prendre de plaisir alors dans ce duo original entre Boris Vian et Serge Gainsbourg (avec une apparition très remarquable de Philippe Katerine), dans la danse sensuelle de Brigitte Bardot (Laetitia Casta) sur "Comic Strip", ou même pendant cette séquence de l’enregistrement, qui prend encore aujourd’hui tellement de sens, du morceau "Aux Armes et caetera"…
Alors voilà : Gainsbourg – vie héroïque n’est pas totalement réussi. Les fans de l’homme à la tête de chou n’auront sans doute rien appris de neuf, ceux qui le découvriront ne comprendront pas forcement la complexité du personnage. Peut-on d’ailleurs la comprendre ?
Restent la sincérité et l’implication d’un jeune réalisateur à l’univers passionnant, reste un conte comme une déclaration d’amour, quelques images, quelques instants absolument surprenant. Restent surtout les chansons de Gainsbourg, ces mélodies et ces textes, comme le meilleur témoignage d’une vie Héroïque.
Gainsbourg – vie héroïque. Un film de Joann Sfar – Avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta, Anna Mouglalis, Sara Forestier, Mylène Jampanoï, Kacey Mottet, Razvan Vasilescu, Doug Jones.
Chef-opérateur Guillaume Schiffman – Décors Christian Marti – 2H10