La sortie en France en ce début 2013 de la version cinématographique de la comédie musicale Les Misérables est un événement. Quelques 23 années après les premières représentations parisiennes de la pièce musicale – entièrement chantée – de Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil, c’est le réalisateur anglais Tom Hooper, récemment courroné du succès du Discours d’un Roi, qui a le privilège, aussi immense que les espérances provoquées, de signer cette adaptation tant attendue.
Associé aux Misérables, le réalisateur ne reste néanmoins qu’une signature marketing. En effet, Tom Hooper n’est crédité sur l’affiche du film que par la mention anonyme "par le réalisateur oscarisé du film Le Discours d’un Roi". On sait que le projet d’adaptation de la comédie musicale basée sur le roman de Victor Hugo, dans les cartons depuis 1988, sous l’impulsion d’Alan Parker, est passé de mains en mains et a finalement réussi à voir le jour sous la production de Cameron Mackintosh. À grand renfort d’effets visuels spectaculaires (la scène du bagne, les vues des toits de Paris, les barricades…), la réalisation s’attache à capturer l’essence des personnages et se caractérise par quelques plans séquences poignants.
Dès l’ouverture, qui marque la première confrontation entre Valjean et Javert, le ton magistral du film est donné. Décors, mouvements de caméra, son étourdissant, tous les éléments semblent réunis pour réussir ce passage sur pellicule. Les difficultés sont pourtant nombreuses, la première étant sûrement la forme du musical, qui a été respectée à quelques libertés près. La partition, presque opératique tant les thèmes sont récurrents et les airs aussi longs que des dialogues chantés, a connu des modifications que l’on pourra qualifier de mineures. L’intégralité est ainsi quasiment restituée et même si les puristes noteront quelques inversions, ils salueront sûrement l’effort de préserver l’œuvre initiale de coupes trop franches comme c’est très souvent le cas pour les besoin d’un format cinématographique.
L’émotion, presque intacte, est donc au rendez-vous. Pourtant, Hugh Jackman (X-Men ; Le Prestige), habituellement aussi parfait dans des rôles d’action que dans des personnages plus nuancés (on se souvient de sa flamboyante interprétation sur scène dans The Boy From Oz ou son Curly très convainquant de Oklahoma!) ne parvient pas à créer le Valjean que l’on pourrait attendre de lui. Si physiquement et dans son jeu l’acteur australien bluffe par tant de métamorphoses, c’est dans son chant que l’on perçoit une technique surprenante tendant à allonger de manière exagérée chaque fin de vers, l’accompagnant systématiquement d’un agaçant vibrato… N’est pas Colm Wilkinson ou John Owen-Jones [NDLR : respectivement créateur du rôle en anglais en 1985 et plus jeune interprète à l’avoir endossé en 1998 ] qui veut. Jackman retombe cependant dans une certaine sobriété pour l’émouvante ballade écrite spécialement pour le film, "Suddenly". La surprise vient donc des autres interprètes qui incarnent parfaitement les personnages emblématiques de cette saga.
Anne Hathaway (Princesse malgré elle ; Le diable s’habille en Prada) est sublime. Elle fait une Fantine des plus touchantes. La ballade "I Dreamed A Dream" est une véritable leçon de chant et de comédie. En une seule séquence, en plan très rapproché, l’actrice parvient à faire passer un sentiment progressif qui fait peut-être de la tragique déchéance de Fantine un des plus beaux passages du film. En inspecteur Javert, Russel Crowe (Gladiator ; Un Homme d’exception) parvient également à tenir le haut de l’affiche avec talent. Souligné par de vertigineux angles de caméra sur la pointe des toits de Paris, son solo "Stars" est une totale réussite.
Le jeune premier Marius est également une des surprises de la distribution : Eddie Redmayne passe grâcieusement du théâtre au cinéma musical. Loin des têtes d’affiches hollywoodiennes, les seconds rôles, interprétés pas des artistes du West End ou de Broadway, comme Samantha Barks en Eponine ou Aaron Tveit en Enjolras, respectent le cahier des charges à la perfection et sont sans conteste les meilleurs chanteurs de la distribution. Les Thénardier, incarnés par le couple très "Sweeney Toddesque" Sacha Baron Cohen (Borat ; Bruno) et Helena Bonham Carter (Fight Club ; Harry Potter), forment, comme dans le musical, le seul ressort comique de l’œuvre et s’amusent sûrement autant qu’ils nous amusent. La crudité de certaines scènes dans l’auberge des Thénardier souligne la violence graphique générale du film, dans lequel le réalisme de la maladie, de la saleté et de la souffrance en général est poussé à son comble et n’est nullement édulcoré pour le grand écran.
D’une fidélité appréciable et malgré une distribution inégale, cette adaptation est comme une luxueuse brochure souvenir pour les amoureux du célèbre musical. On doute, en revanche, qu’elle permette de conquérir un nouveau public. Les curieux, les amateurs de littérature ou d’Histoire risquent d’être troublés dans leurs répères face à cette œuvre musicale épique. Difficile en tout cas de ne pas quitter la salle les yeux humides en fredonnant "Do you hear the people sing…"
Les Misérables, de Tom Hooper
Musique : Claude-Michel Schönberg, paroles : Alain Boublil, Herbert Kretzmer.
Production : Tim Bevan, Eric Fellner, Debra Hayward, Cameron Mackintosh
Scénario : William Nicholson, Alain Boublil, Claude-Michel Schönberg, Herbert Kretzmer
Cinématographie : Danny Cohen, montage : Melanie Ann Oliver, Chris Dickens
Avec : Hugh Jackman, Russel Crowe, Anne Hathaway, Amanda Seyfried, Sacha Baron Cohen, Helena Bonham Carter, Eddie Redmayne, Aaron Tveit, Samantha Barks, Daniel Huttlestone
Durée : 158 mn