Compte-rendu : Conférence "The Book of Musicals" sur la comédie musicale

Temps de lecture approx. 12 min.

Sensible à l’engouement croissant du public français pour les spectacles musicaux, un groupe d’étudiantes en Master Management Culturel à la Sorbonne a proposé samedi dernier une conférence sur le thème du genre de la comédie musicale. Nous vous avions déjà parlé du programme : intervenants experts et réflexions sur ce genre qui malheureusement peine à trouver sa place sur les bancs universitaires. Musical Avenue a assisté à cette conférence.
 

Un après-midi de débats avec des intervenants de qualité 

C’était samedi dernier dans une des amphithéâtres de la prestigieuse Sorbonne Nouvelle. Quatre étudiantes en première année de Master ont décidé de présenter cette année un projet sur la comédie musicale, fruit d’une passion en commun. Leur point de départ n’est pas des moindres : Londres, le West End, sa célèbre comédie musicale The Book of Mormon et l’interview de l’une de ses chanteuses Asmeret Grebremichael. Au retour, la courageuse initiative de débattre de la comédie musicale en France et de l’influence de Broadway et du West End et ceux avec des intervenants bien choisis et de qualité.
 

Quelles tendances aujourd’hui pour la comédie musicale ?  

Le premier intervenant en tête : Laurent Valière, journaliste, producteur et animateur de 42ème Rue sur France Musique. Les étudiantes lui ont demandé ce qu’il pensait être, de manière globale, la dernière tendance en matière de comédie musicale au XXIème siècle. Mis à part les musicals "bankables" (ndlr : dont l’intention est de prévoir de rapporter de l’argent), les Disney, les biopics et les "revivals" (ndlr : reprise ou adaptation), Laurent Valière révèle en avoir discerné cinq : la comédie musicale "rock" dont la singularité est de mettre en évidence jusqu’à 7 ou 8 musiciens sur scène avec une orchestration type guitare, basse, percussions et parfois des micros mis à disposition pour les chanteurs comme pour un concert. Il cite notamment Spiderman : Turn of the Dark, Spring Awakening, Hedwig and the Angry Inch, Next to Normal, American Idiot

Il évoque ensuite les  comédies musicales "trash", souvent générationnelles, qui dénoncent avec humour et autodérision un certain sens de l’absurdité ou le poids des non-dits, avec en exemple The Book of Mormon, The Producers, Avenue Q, Monty Python’s Spamalot
Puis c’est au tour du phénomène Lin Manuel Miranda avec son fameux Hamilton qui fait actuellement un carton à New York dont il est, chose étrange à Broadway, à la fois, auteur, compositeur, librettiste. Il s’agit d’un spectacle qui revisite l’histoire des Etats-Unis à travers sa diversité, ses ethnicités et à travers, encore une chose rare à Broadway, un style musical spécifique : le rap. 

Il aborde ensuite la tendance aux comédies musicales immersives, Once, Hair, où les musiciens sont également à vue, plongés souvent avec les artistes et les spectateurs dans un décor souvent intimiste. Ces derniers sont d’ailleurs souvent invités à monter sur la scène. Et enfin, il parle de la tendance des nouveaux compositeurs "classiques" qui envahissent le paysage de la production musicale et l’illustre avec une vidéo de The Bridges of Madison County, spectacle musical inspiré du film Sur la route de Madison, avec Clint Eastwood et Meryl Streep qui a connu un flop à Broadway

 

Les modèles économiques de la comédie musicale selon les pays 

C’est ensuite au tour de Xavier Dupuis, responsable du Master Management des Organisations Culturelles à l’université Paris Dauphine, qui lui, a pour mission de présenter les différents modèles économiques des spectacles musicaux théâtraux, à la française et à l’anglo-saxonne. Il évoque trois modèles très contrastés et un modèle hybride sans trop s’attarder sur le premier qui est celui du modèle de théâtre musical, proche du théâtre classique ou contemporain où des petites compagnies partent à la course à la subvention pour monter leur spectacle.

Il expose ensuite le modèle du "spectacle musical à la française". Le principe est souvent le même : exploitations dans des Zéniths et non pas des salles de spectacle à proprement parler, un modèle économique qui repose (presque) entièrement sur l’enregistrement du disque, un album qui compile des chansons qui peuvent être détachées de la trame dramatique, un "teasing" un an avant qui annonce un calendrier très calibré avec la sortie d’un single en janvier, une diffusion dans les médias et sur les ondes pour vendre le disque qui va vendre les places, des représentations à Paris en septembre pendant trois mois, puis une tournée en France et quelques pays francophones limitrophes, pour un retour à Paris pour quelques dates le temps de la vente de la captation du spectacle. On parle de budget de quelques millions d’euros pour un retour à court terme avec des chiffres d’affaire  autour des 100 millions d’euros à l’année.

Il présente ensuite le modèle anglo-saxon, le même à Broadway qu’au West End. Ici pas de disque, tout tourne autour du spectacle vivant avec une place majoritairement accordée au livret, à l’histoire mais également à la chorégraphie et à l’orchestre live. Ici les budgets tournent autour des 20 millions de dollars avec des rentabilités autour des 2 milliards de dollars, tournées en Amérique du Nord et ventes de licences comprises. Ici, pas de durée d’exploitation pré-déterminée, le spectacle est à l’affiche tant que les gens achètent leurs billets et le but est de jouer 8 fois par semaine dans des salles de 1500 à 2000 places le plus longtemps possible. Tout d’abord pour rembourser la mise de départ, ensuite pour profiter des bénéfices.

Et enfin il évoque brièvemment le modèle hybride qu’est le Théâtre du Châtelet qui conjugu
e les deux avec succès
, des productions subventionnées à vocation internationale et commerciale, avec une durée d’exploitation de quelques dates à quelques semaines et une importance pour le livret, la chorégraphie, la scénographie et à l’orchestre situé dans la fosse.

 

Comment vendre une comédie musicale, et avec qui ?  

Pour assurer la suite de la programmation de la conférence, Arnaud Cazet, directeur communication et marketing à Stage Entertainment est venu présenté à la fois la façon de vendre un spectacle pour en faire un succès et les métiers qui le composent. Il prend pour exemple Le Fantôme de l’Opéra qui sera à l’affiche du Théâtre Mogador à la rentrée. Pour ce dernier, un spectacle, aux places qui varient entre 25€ et 250€ en version premium, se vend beaucoup grâce à la publicité, aux relations presse et aux réseaux sociaux, mais son meilleur distributeur reste le bouche à oreille.
 
Pour séduire le public, le spectacle Le Fantôme de l’Opéra, est décortiqué pour en extraire son essence : le thème de l’amour, la meilleure équipe créative (Andrew Llyod Webber, Charles Hart et Richard Stilgoe, Gillian Lynne, etc…), une histoire universelle, celle d’un homme défiguré qui cherche à se faire aimer pour ce qu’il est, des chansons magnifiques, une scénographie époustouflante. Pour lui, c’est l’émotion qui vend des places. Et pour fournir cela, l’équipe travaille sur les thèmes du romantisme, du mystère, de la touche française, de Paris, Gaston Leroux, la promesse d’une soirée inoubliable à profiter d’un spectacle au succès international. Il nous présente même en exclusivité la bande-annonce inédite du spectacle.
Assez de promotions sur le spectacle pour illustrer le principe, parlons de Stage Entertainment : plus de 3 millions de spectateurs, 12% des entrées des théâtres privés de Paris, et des spectacles qui tournent autour de 4 millions d’euros, Arnaud Cazet finit sa présentation sur le succès d’une comédie musicale en concluant avec philosophie que de "ne parler que de succès, c’est travestir l’histoire" car cette dernière s’écrit avec de tout.
Il aborde ensuite les compétences  à acquérir pour réussir sur le monde du marché de la comédie musicales : bien évidemment les compétences artistiques indispensables mais attention, également le sport, la méditation et le yoga !
 
Il précise qu’il y aussi d’autres métiers qui gravitent autour de cela : metteur en scène résident, "dance captain", directeur de casting, adaptateur, régisseur plateau, musicien… et de la nécessité de s’y connaître en droit social, propriété intellectuelle, histoires politiques culturelles, comptabilité, marketing, etc… si on veut monter son spectacle. Il cite d’ailleurs Gillian Lynne (chorégraphe du spectacle, ndlr), pour réussir, c’est "du travail, du travail, du travail et de l’amour".

Il conclut avec un discours encourageant pour tout ceux qui se lancent dans un projet et dont les conseils trouvent résonance parmi une bonne partie du public : il faut travailler, être toujours préparé, être curieux, flexible, optimiste, proactif, bienveillant, savoir s’entourer de personnes positives et avoir le courage de rester soi-même en toutes circonstances. Le public salue, galvanisé.

 

Retour sur l’Âge d’or de Broadway, là où tout a décollé   

C’est au tour de Chantal Schutz, professeur de Théâtre musical anglophone à Polytechnique et Paris 3, de présenter sa partie et les étudiantes lui ont demandé d’évoquer l’âge d’or de Broadway. Un temps où les productions naissaient à foison. Un temps où les billets de spectacle ne coûtaient qu’environ $3,50. Un temps bien révolu. Mais un temps qui a définitivement fait le succès du genre, lui a donné ses lettres de noblesse… et de glamour.

C’est ainsi que nous partons sur un voyage en musique qui nous prend au départ des années 20 avec les Ziegfled Follies, avec pas mal d’aller-retour d’inspiration réciproque entre Hollywood et Broadway, l’évènement Showboat qui marqua la naissance de la comédie musicale américaine telle qu’on la connaît aujourd’hui. En passant par les Frères Gershwin (Funny Face, Lady Be Good), d’autres confrères tout aussi incontournables Irving Berlin, Cole Porter, Rodgers & Hart…

 
On aborde quelques films et spectacles qui furent des tournants : Lady in the dark, Oklahoma!, Annie Get Your Gun, Kiss me Kate et pour finir les années 50 avec le duo Rodgers & Hammerstein et les comédies musicales marquantes de l’époque comme par exemple Guys and Dolls ou My Fair Lady.
 

L’exemple de The Rocky Horror Picture Show 

 

C’est enfin Julien Monterosso, Responsable au Studio Galande qui dresse la conclusion de cette conférence en image et musique en présentant les origines, le phénomène et l’héritage du film culte The Rocky Horror Picture Show qui est depuis quarante à l’affiche et, est, pour ceux qui l’ont testé, une aventure cinématographique singulière et inoubliable. A bon entendeur parmi ceux qui l’ont pas encore vu, salut !

Il nous raconte comment le show s’est inspiré à la fois des années soixante et de son esprit hippie, de révolution sexuelle, on parle de Hair, Jesus Christ Superstar. D’ailleurs Richard O’Brien décide d’écrire la pièce "The Rocky Horror Show" à la suite d’une audition qui ne s’est pas révélée prometteuse. Le spectacle prend aussi racine dans la culture populaire de la science fiction des années cinquante, mais également dans le glam et punk des années soixante-dix avec par exemple les icônes David Bowie, Sex Pistols, Vivienne Westwood. Puis c’est la mode de l’opéra rock, on évoque Phantom of the Paradise, Tommy

La pièce eut un grand succès à Londres, bien qu’un échec cuisant à Broadway. Une petite production entreprend d’en faire un film musical, mêlant certains comédiens du début de la pièce à des nouveaux acteurs ou actrices comme Susan Sa
randon. De nouveau un échec cuisant. Et pourtant il a la chance de sortir dans un autre cadre de distribution : les midnight movies au Waverly Theater.

Et là, c’est le début du succès, qui se voudra grandissant et international, entre le public et les blagues, les interventions, puis les quolibets, puis les annonces, puis le pré-show, puis les costumes, puis le "shadow casting" dont nous ne révèlerons pas trop, bien que nous en ayons eu une charmante prestation pendant la conférence, pour ne pas gâcher le plaisir de découvrir cette expérience.

Julien Monterosso conclut avec l’influence qu’à eu The Rocky Horror Picture Show sur la culture populaire, épisodes Simpsons, That’s 70’s Show, Fame et Glee à l’appui, voire même la possibilité que ce dernier ait pu ouvrir la voie à des comédies musicales d’un genre nouveau comme Reefer Madness, Hedwig and the Angry Inch ou encore Evil Dead the musical. Il nous apprend même qu’il y a eu une suite au film : Shock Treatment. Vous en avez entendu parlé ? Et bien non, ce fut lui aussi un flop au cinéma. Décidément.

 

The Book of Musicals, une initiative à féliciter !  

Ce fut donc à une conférence très intéressante, riches d’anecdotes et d’extraits musicaux à laquelle nous avons participé. Une conférence qui s’est attachée à aborder l’histoire de la comédie musicale, mais aussi son économie, son industrie, son marché, ses acteurs, son public et son influence sociale et esthétique.
 
Et une conférence dont on espère qu’elle donnera naissance à d’autres conférences qui iront plus loin dans ces domaines et qui, on l’espère, sensibiliseront les acteurs de la culture à prendre au sérieux ce genre de spectacle qui mérite lui aussi sa place sur les bancs universitaires. 


The Book of Musicals, de Tatiana Sanichanh, Estelle Marie, Justine Laguerre et Patricia Lam 

Le 16 avril 2016
A la Sorbonne Nouvelle, Amphithéâtre D02 
13 rue Santeuil 75005 Paris 
 

Avec : Laurent Valière, Xavier Dupuis, Arnaud Cazet, Chantal Schutz et Julien Monterosso

Image de Margot Capespine

Margot Capespine

Etudiante en cinéma, c'est ce dernier qui m'a mené à la comédie musicale en visionnant les perles de l'âge d'or d'Hollywood. Le virus s'est développé avec une passion pour la version spectacle vivant de ce genre, jusqu'à envahir ma vie professionnelle puisque je produis les spectacles et parades d'un célèbre parc d'attractions dans l'est parisien. J'ai rejoint Musical Avenue et sa merveilleuse équipe en 2013 par envie de développer la légitimité et la popularisation de ce genre qui mérite d'être incontournable à Paris.
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