Adapter en Français l’un des spectacles chouchou des amateurs de comédies musicales américaines, voilà un pari culotté pour une équipe qui ne s’était jamais essayée à l’exercice du musical !
Bruno Gaccio (créateur des Guignols de l’Info) et Dominique Guillo (comédien et réalisateur) se sont lancés ce défi fou et, après quatre années de dur labeur, nous présentent enfin cet Avenue Q made in France qui promet d’être le succès surprise de la saison théâtrale !
Imaginé par Robert Lopez et Jeff Marx, deux jeunes auteurs et musiciens américains alors inconnus au bataillon, Avenue Q est d’abord un projet de série télévisée qui parodierait, avec des thèmes destinés aux adultes, le format d’une émission pour enfants culte outre-Atlantique : Sesame Street (1 rue Sésame en français, émission pédagogique inventée par Jim Henson, le créateur du Muppet Show).
Si les chaînes de télévision ne répondent pas à l’appel, le producteur new-yorkais Kevin McCollum décèle tout le potentiel de cette idée qui mêle des marionnettes chatoyantes à un humour qui rappelle parfois l’irrévérence de South Park.
Presque dix ans plus tard, Avenue Q a remporté 3 Tony Awards (dont celui du Meilleur Musical en 2004), a été adapté dans de nombreuses langues, vu par plus de 10 millions de spectateurs à travers le monde, et fait l’objet d’un "Qulte" alimenté par le buzz qu’ont fait les extraits du spectacles sur internet. Autant dire que l’arrivée du spectacle en France était attendue au tournant.
Une adaptation irrégulière
Jouant un véritable coup de poker, Bruno Gaccio, amoureux du spectacle mais complet néophyte en la matière, se lance dans la traduction des chansons en français.
Dévoilées au compte goutte au fil des semaines et de la promotion du spectacle, ses adaptations inégales ont hérissé le poil des fans de la version originale : aller-retour permanent entre idées géniales et vers médiocres, les chansons s’autorisent beaucoup de libertés, comme celle de ne pas toujours respecter les systèmes de rimes écrits par les auteurs originaux. Les rimes s’appauvrissent, quand elle ne disparaissent pas tout bonnement, et certaines chansons y perdent leur force.
Néanmoins, il n’y a guère que les fans les plus obtus qui verront là un véritable scandale, car Avenue Q en français est un véritable petit chef-d’œuvre de théâtre musical : ceux qui découvriront l’œuvre n’y verront que du feu et se laisseront immanquablement subjuguer par un spectacle irrésistible.
S’il trébuche parfois sur les chansons, Bruno Gaccio signe une adaptation hilarante du livret de la pièce, et trouve un juste équilibre entre le vocabulaire enfantin des émissions pour enfants et un argot interdit aux moins de 12 ans : l’humour fait mouche à tous les coins de rue dans Avenue Q, et cette version française est à la hauteur de l’originale. On restera néanmoins dubitatif quant au choix d’avoir transformé en Willy le personnage de Gary Coleman (interprète d’Arnold dans la fameuse série Arnold & Willy).
Une distribution stellaire
La force de cette comédie musicale, c’est de parvenir à nous faire oublier au bout de cinq minutes les comédiens qui se cachent derrière les marionnettes : même si leur manipulation s’effectue à vue, on se laisse rapidement transporter par les péripéties de ces personnages hauts en couleurs jusqu’à en oublier les artistes qui leur donnent vie.
Pour un soir de première, la troupe est déjà exceptionnellement bien rodée ! Si certains devront mettre à profit les premières représentations pour parfaire leur interprétation et leur manipulation des marionnettes (Emmanuel Suarez dans les rôles de Princeton et Rod), d’autres ont d’ores et déjà atteint l’excellence : Shirel (Notre-Dame de Paris ; Les Enfants du Soleil), aussi à l’aise en comédie qu’en chant — quelle voix ! — est brillante dans les rôles de Kate Monster et Lucy la Salope.
David Alexis (Cabaret ; Je t’aime, tu es parfait, change) est quant à lui absolument renversant dans la multitude de rôles qu’il incarne, de Trekkie Monster, l’obsédé du Q, au colocataire pénible Nicky, en passant par l’ours ami-pourri. Circassien et marionnettiste de formation, ce talentueux comédien-chanteur habitué des scènes parisiennes offre une prestation sans faille qui hisse le spectacle au niveau de ses productions anglophones.
Bienvenue à Broadway !
La mise en scène de Dominique Guillo et la scénographie de Anna Louizos ne sont pas en reste : très fidèles à la version originale, elles sont parsemées d’idées originales propres à cette mouture française, véritables pépites qui rendent le show encore plus brillant. Les moyens mis en œuvre sont tout simplement époustouflants : en dehors des productions signées Stage Entertainment, il est rare de voir à Paris un décor, des costumes et des lumières d’une telle qualité. C’est bien simple : on se croirait à Broadway !
On en ressort ému et hilare, avec pour unique envie celle de revenir au plus vite passer un moment avec les habitants de cette avenue délirante. Un retour obligatoire ne serait-ce que pour découvrir les autres artistes qui vont pendant plusieurs semaines alterner dans les différents rôles du spectacle (notamment Prisca Demarez en Kate/Lucy et Gaétan Borg en Princeton/Rod).
Que les spectateurs aillent et retournent moult fois se dérider devant ce spectacle fabuleux ne serait que justice, un succès attendu qui sera bien mérité ! Espérons que le public français suivra et ne résistera pas longtemps aux avances délirantes d’Avenue Q.
Avenue Q, de Robert Lopez et Jeff Marx
Du 7 février au 1er avril 2012
Du mardi au
vendredi à 21h, les samedi à 17h00 et 21h, le dimanche à 16h30
À Bobino
14-20 rue de la Gaité, 75014 Paris
Mise en scène de Dominique Guillo ; musique et paroels de Robert Lopez et Jeff Marx ; livret de Jeff Whitty ; adaptation française de Bruno Gaccio ; création des marionnettes : Rick Lyon ; direction des décors : Anna Louizos ; direction artistique marionnettes : François Guizérix ; direction musicale : Raphaël Sanchez ; direction du casting : Ashley Haussman.
Avec : Philippe Aglaé, David Alexis, David Ban, Gaétan Borg, Prisca Demarez, Alice Lyn, Emmanuel Quatra, Virginie Ramis, Shirel, Emmanuel Suarez et Jean-Michel Vaubien.