Critique : "Carousel" au Théâtre du Châtelet

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Critique : "Carousel" au Théâtre du ChâteletPremière œuvre du duo Rodgers et Hammerstein présentée à Paris depuis la sublime Mélodie du Bonheur, Carousel est un autre classique du répertoire de l’âge d’or de la comédie musicale américaine. Avec une distribution sans faille et une mise en scène poétique, les éléments sont réunis pour présenter l’œuvre dans les meilleures conditions.

Dans la Nouvelle Angleterre de la fin du XIXe siècle, le beau Billy Bigelow quitte son travail de bonimenteur sur un manège de fête foraine. Il tombe sous le charme de la jeune Julie Jordan et les tourtereaux s’installent rapidement ensemble chez la cousine de cette dernière, dans un village de pêcheur. N’assurant pas son rôle de jeune marié, Billy maltraite même son épouse, qui vient de lui avouer attendre un enfant de lui. Sous la mauvaise influence de son entourage, Billy accepte l’offre de son ami Jigger et prévoit de commettre un larcin lors du grand pique-nique organisé par le village.

Distribution, mise en scène et décor au service de Carousel

Cette coproduction entre le Théâtre du Châtelet et l’Opéra de Leeds en Angleterre est aussi luxueuse que le précédent spectacle de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, La Mélodie du Bonheur, présenté il y a deux ans au même Châtelet. La distribution, anglo-saxonne pour les premiers et seconds rôles et française pour l’ensemble et le chœur, est ravissante. L’antihéros Billy Bigelow est représenté par Duncan Rock alors que sa dulcinée Julie Jordan est interprétée par Kimy McLaren. Leurs duos parviennent à recréer toute la magie du jeu amoureux.

La mise en scène n’est pas en reste. Assurée par Jo Davies, elle se fait discrète et reste au service des mouvements des personnages et de la danse, inspirée des chorégraphies originales. Les décors tournants sont simplement et astucieusement utilisés. L’utilisation de projections vidéo surprend mais permet de souligner les touches fantastiques du récit. L’esthétisme du ballet d’ouverture fera date : il sert à la fois de prologue, de numéro d’ouverture et d’exposition, et reste une formidable introduction à l’œuvre.

Histoire désuète mais singulièrement sombre, voire choquante

Si le traitement quasiment opératique du récit ne frappe pas par son originalité, une rupture, intervenant vers le dernier tiers de la pièce vient chambouler les conventions établies dans le théâtre musical d’alors. Ajoutant une dimension fantastique au ton et rompant avec la linéarité du livret, la mort du personnage principal et son arrivée dans un semblant de purgatoire ajoutent à l’intérêt de l’œuvre. Carousel est une adaptation de la pièce hongroise à succès de 1909 Liliom, écrite par Ferenc Molnár, qui avait failli être adaptée par Giacomo Puccini, puis Kurt Weil. Avec son approche inédite, Carousel fait ainsi figure de précurseur dans la diversité des thèmes abordés par le théâtre musical, comme le vol, la manipulation, et même le suicide.

Pour un public contemporain cependant, la vision de la condition féminine fait frémir. Abordant le thème des violences conjugales, le texte laisse entendre en substance que ces dernières peuvent être justifiées par un amour profond… Ce message est même transmis par une mère à sa fille venant de connaître les accès de colères de son père. L’œuvre date bien de 1945.

Musique et chorégraphies originales sublimes

Mettant de côté ces relents mysogines, la musique et les danses demeurent. Fruit de la seconde collaboration des géants du répertoire musical américain Rodgers et Hammerstein, Carousel figure en bonne place parmi les chefs d’œuvres du genre. Certaines pièces de musique telles que "If I Loved You"», "June Is Bustin’ Out All Over", "Soliloquy" ou l’inoubliable "You’ll Never Walk Alone" (depuis transformé en hymne dans les stades anglais) sont sûrement les plus beaux morceaux écrits et composés par le duo. Divinement interprétés sur la scène du Châtelet, ces airs prennent toute leur dimension poétique et lyrique et provoquent l’enchantement recherché. 

Comme de nombreuses œuvres de la même période, Carousel fait la part belle au ballet. Interrompant le second acte, une longue séquence dansée met à l’honneur quelques splendides pas de deux et numéros de groupe. Kay Shepherd et Kim Brandstrup se sont inspirées de la chorégraphie originale d’Agnes de Mille. La chorégraphe américaine avait déjà travaillée avec Rodgers et Hammerstein pour Oklahoma! douze ans auparavant, et concevra les ballets de nombreux autres succès de Broadway des années 1950 et 1960, parmi lesquels Brigadoon, Gentlemen Prefer Blondes ou Paint Your Wagon.

 Carousel reste un divertissement classique qui ne séduira pas le spectateur en quête de nouveauté. Toutefois, malgré quelques notes dissonantes dans l’intrigue pour un public d’aujourd’hui, la pièce n’a pas volé son statut de chef-d’œuvre. Cette production, bien que fidèle à l’esprit original, sublime d’autant cette œuvre incontournable du répertoire.

Crédit photos : Marie-Noëlle Robert – Théâtre du Châtelet


Carousel, de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II

Les 18, 19, 20, 22, 23, 26 et 27 mars à 20h, le 24 mars à 16h.

Théâtre du Châtelet
2 rue Edouard Colonne, 75001 Paris

Musique : Richard Rodgers
Livret et paroles : Oscar Hammerstein II
D’après la pièce de Ferenc Molnár, adaptée par Benjamin F. Glazer
Danses originales : Agnes de Mille

Mise en scène : Jo Davies, direction musicale : Kevin Farrell, décors et costumes : Anthony Ward, chorégraphie : Kay Shepherd, chorégraphie du ballet : Kim Brandstrup, lumières : Bruno Poet, vidéo : Andrzej Goulding

Orchestre de chambre de Paris, Chœur du Châtelet, direction du chœur : Stéphane Petitjean, Chœur d’enfants Sotto Voce.

Avec : Duncan Rock, Kimy McLaren, Rebecca Botonne, Lisa Milne, David Curry, Nicholas Garrett, Beverley Grant ou Alex Newton, Candida Benson, Leslie Clack, Tercelin Kirtley, Nicholas Cass-Beggs, Jonathan St John, Florence Bonet, Brice Tripard, Olivier Podesta, Jean-Baptiste Henriat, Simon Jaymes, Martin Matthias Ysebaert, Théo Perzo, Eugène Chaufour ou Matteo Joyce.

Et : Tarek Aïtmeddour, Elisabetta d’Aloia, Rebecca Figuigui, Michaël Gadea, Nicolas Godefroy, Dorothée Goxe, Beverley Grant, Eva Margail, Alex Newton et Lucs Viallefond.

Site Internet : http://chatelet-theatre.com/2012-2013/carousel-fr

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